Conférence à l’Académie du Royaume du Maroc consacrée au rayonnement de l’Alhambra
L’Académie du Royaume du Maroc et le Collège de France ont organisé, mercredi soir à Rabat, une conférence-débat autour des « Regards croisés sur l’Alhambra au dix-neuvième siècle« , qui a offert l’opportunité de mettre en valeur le rayonnement mondial de ce joyau architectural exceptionnel et sa perception à la fois dans le monde occidental et chez les musulmans.
Initiée dans le cadre du cycle de conférences « Collège de France au Maroc« , en collaboration avec l’Institut français du Maroc, cette conférence a été animée par le professeur Edhem Eldem, membre du Collège de France à Paris, qui a mis l’accent sur l’Alhambra au dix-neuvième siècle et la perception de ce monument de moyen âge musulman à la fois pour les occidentaux et les musulmans de l’époque moderne, tout en mettant en exergue leurs commentaires sur la manière dont ils perçoivent ce véritable joyau de l’architecture nasride.
Dans son intervention, Eldem, également professeur au département d’histoire de l’université de Boğaziçi (Turquie) et titulaire de la Chaire internationale d’histoire turque et ottomane au Collège de France, a mis en évidence deux visions différentes : l’une occidentale qui s’invente un romantisme médiéviste d’un Islam du passé, et l’autre se rapporte à l’Islam contemporain au 19e siècle aussi bien des Maghrébins que des Orientalistes, qui découvrent la richesse de ce patrimoine à travers le prisme de la modernité et essayent d’en tirer parti.
Le rayonnement de l’Alhambra à travers le monde occidental tout au long du dix-neuvième siècle est bien connu. De la prose de Chateaubriand aux nouvelles de Washington Irving, des relevés architecturaux d’Owen Jones et Jules Goury aux fantaisies architecturales de style mauresque, ce chef d’œuvre de l’art andalou s’empara de l’imaginaire moderne par le biais de courants artistiques et de phénomènes sociaux puissants, du romantisme à l’orientalisme et du médiévisme au tourisme, a relevé l’académicien.
« Ce magnifique palais à Grenade a été redécouvert par les Occidentaux servant d’inspiration à la littérature, à la poésie, à l’architecture et à l’art« , a-t-il poursuivi, précisant la manière dont ces derniers eux-mêmes, les musulmans, les maghrébins, et les gens de Machreq ont vécu cette redécouverte de l’Alhambra au 19éme siècle.
Il a de même souligné la nécessité de faire une analyse textuelle des registres des visiteurs (livre d’or de l’Alhambra), où figurent une dizaine d’inscriptions en arabe, provenant dans la plupart du Maroc, des ambassadeurs du Royaume à Madrid au 19e siècle qui font escale à Grenade pour visiter le monument et laissent une trace de leur passage.
L’étude de ses transcriptions inscrites dans ce livre d’or de la part des Arabes du Maghreb et des Arabes du Machreq, dont bien des chrétiens, et enfin les musulmans non arabes, notamment des Turcs, permet de revisiter « un mythe de la modernité occidentale à l’aune des réactions de ceux qu’il était censé représenter« , a-t-il ajouté.
Avec cet éventail d’attitude, d’origine et de culture, il y a une redécouverte de l’Alhambra qui se fait différemment, a-t-il dit, notant que chacune de ces visions mérite par conséquent d’être creusée pour vérifier la manière dont ce monument incarnant à la fois l’exotisme et le romantisme occidental au 19éme siècle a été vu, perçu, visité et réinventé par les Orientaux et les Musulmans.
Pour sa part, le secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume du Maroc, Abdeljalil Lahjomri, a indiqué que cette conférence revêt une grande importance pour les historiens et chercheurs d’Andalousie et d’Occident islamique et pour ceux qui s’intéressent à l’Alhambra et à Grenade, vu qu’elles constituent deux espaces de recherche qui suscitent l’intérêt des architectes, des artisans, des poètes et des romanciers entre autres.
L’Alhambra a été enracinée dans la pensée occidentale et arabe en tant que monument architectural, ayant préservé des aspects socio-politiques et culturels, a-t-il dit, rappelant que ce palais mythique a été une source d’inspiration en romantisme durant les 18e et 19e siècles.
D’après les écrits historiques, le palais d’Alhambra a été mis aux oubliettes depuis la chute de Grenade à la fin du 15e siècle jusqu’au 19e siècle, avant qu’il soit redécouvert dans le sillage des efforts fournis plus tard pour revisiter la civilisation arabo-musulmane en Andalousie.
Les faits historiques et les dimensions symboliques du palais de l’Alhambra dans l’imaginaire littéraire et culturelle ont en effet façonné l’image d’une histoire tragique qui continue de perpétuer la mémoire de la civilisation arabo-musulmane en Andalousie, a ajouté Lahjomri.
Eldem a enseigné dans plusieurs prestigieuses institutions, dont Berkeley, Harvard, Columbia, l’École des hautes études en sciences sociales, l’École pratique des hautes études ainsi qu’à l’école normale supérieure et il a écrit une série d’ouvrages tels que « Un Ottoman en Orient. Osman Hamdi Bey en Irak » (1869-1871), « Le voyage à Nemrud Daği d’Osman Hamdi Bey et Osgan Efendi, Istanbul-Paris, IFEA-De Boccard » et « Banque Impériale Ottomane : Inventaire commenté des archives« .
Cette conférence a notamment été notamment marquée par la présence du secrétaire général du Conseil économique, social et environnemental, Driss Guerraoui, le Haut-commissaire aux anciens résistants et anciens membres de l`armée de libération, El Mostafa Elktiri, l’ancien secrétaire général du gouvernement, Driss Dahak, et les membres de l’Académie du Royaume du Maroc, Mohammed Kettani et Driss Alaoui Abdellaoui, ainsi qu’une pléiade d’historiens, de professeurs universitaires et doctorants.