Conférences, Sommets, Forums,… à quoi ça sert ?
Forum de Davos, Forum Crans Montana, Africa CEO Forum, nous assistons aujourd’hui à une explosion d’organisation d’événements sur des sujets très variés. Si pour beaucoup, leur utilité est incontestable, il s’agit d’une plateforme d’échanges et de rencontres au service de la diplomatie et de l’économie, d’autres ne saisissent pas leur intérêt. Pour mieux comprendre ce phénomène, MAROC DIPLOMATIQUE s’est entretenu avec Yann Coelenbier, Directeur des Affaires Internationales du Forum Crans Montana.
Un phénomène qui puise ses racines dans l’Histoire
La multiplication de ce type d’événements est due, tout d’abord, à l’ouverture du monde et des relations internationales. On pense notamment à la chute du mur de Berlin qui a instauré un nouveau paradigme. Avant cette époque, il était difficile pour les dirigeants d’échanger. Cela leur a permis de se rencontrer, dans des formats moins confidentiels, « sans avoir à chuchoter à l’oreille de l’interlocuteur et à froisser quiconque ». Il s’agit maintenant d’une formidable ouverture pour débattre de thématiques de grande importance.
Un impact économique et diplomatique
Une telle initiative peut générer de nombreux impacts notamment économiques. Un ambassadeur ou un chef d’Etat sera accompagné d’une délégation, de chefs d’entreprises, de lobbys. Ils vont communiquer, faire des interviews, et c’est tout un modèle économique qui se met en place et qui donne lieu à l’organisation d’activités Business en parallèle et la création de partenariats. Il est essentiel pour une entreprise de faire du networking, et ces événements sont parfois une plateforme d’exception pour un acteur économique de développer son activité ou d’élargir son réseau.
Par ailleurs, « l’influence et le leadership doivent pouvoir s‘exprimer au grand jour et il n’y a rien de mieux qu’un Forum pour le matérialiser ». Les gouvernements, les corps diplomatiques, la société civile et le secteur privé doivent se rencontrer et dialoguer parce qu’ils portent les mêmes intérêts et possèdent les mêmes attentes. Un ambassadeur qui va se rendre à un Forum, va représenter tous les engagements, les valeurs, les nouveautés de son pays. Le matin, il assistera à une réunion sur les énergies, l’heure d’après, il parlera infrastructure, et l’après-midi, il discutera accords de coopération.
« L’autre intérêt, c’est de pouvoir faire le tour du monde en une journée seulement ». Un chef d’Etat n’a plus besoin de visiter 54 pays pour discuter et faire passer un message à un continent. « Se rendre à un Sommet à Addis-Abeba par exemple, lui permettra de rencontrer tous les représentants, faire passer un message, et cela en 3 jours seulement ». C’est un gain de temps incroyable, compte tenu des agendas chargés.
Toutefois, il est vrai qu’au vu de la multiplication de ces derniers, c’est un modèle qui peut être amené à s’essouffler dans quelques temps, il n’en restera plus beaucoup, certains, demeureront, les plus importants, mais les événements satellites seront amenés à disparaître, sauf s’ils sont porteurs d’un agenda très spécial qui intéresse un grand nombre.
Une importante médiatisation que beaucoup ne comprennent pas
Si l’objectif d’une conférence est de se rencontrer et d’échanger, qu’est ce qui explique une telle médiatisation d’un événement ? Ce qu’il faut d’abord savoir, c’est que c’est l’organisateur qui prend la décision ou non de médiatiser un événement. Il existe des formats fermés aux journalistes. Mais si les journalistes sont là, c’est que l’organisation souhaite faire passer un message, c’est dans sa feuille de route. Maintenant, libre à l’organisateur de choisir le moment où il va médiatiser. Soit tout au long de la conférence, soit en amont comme Davos. « Le but étant de cristalliser les faits. Untel a pris la parole et s’est engagé pour telle chose, nous ne sommes plus dans l’annonce mais bien plus que cela . Le média intervient de façon très stratégique. Il n’est pas un simple observateur mais fait partie du dispositif de manière non innocente ». Il faut donc différencier le format confidentiel du format public, qui devient une plateforme d’influence, de leadership, de débat et de partage d’idées
D’où provient l’argent utilisé par les organisateurs ?
Il y a plusieurs possibilités : « Soit l’organisateur va recourir à un sponsor – la fameuse image comportant les logos de plusieurs entreprises-, soit l’argent sera issu d’une coopération plus approfondie. Mais pour cela, le porteur de projet devra intégrer un agenda stratégique, il ne s’agira pas de travailler uniquement sur l’image de l’entreprise mais aussi sur ses éléments stratégiques avec une création de liens de confiance, de dialogue pour un partage » et un échange gagnant-gagnant. Enfin, cela peut provenir d’intérêt d’un Etat, « pour des raisons stratégiques, géopolitiques, sécuritaires ou environnementales, des fonds seront apportés spécialement pour la cause ».
Différencier un événement réussi d’un échec
Cela va dépendre de la nature de l’événement et de l’objectif fixé. « Pour certains, le seul et unique objectif est économique, quelle que soit la thématique, le but est de faire de l’argent. Ils n’ont pas de lecture claire de ce qu’ils veulent, aujourd’hui, ils vont organiser un événement politique, demain économique et après-demain un mariage et ensuite un voyage touristique.
Un exemple de réussite est lorsque le nom de l’événement devient un label, l’événement devient induplicable, une référence, et dispose d’une véritable notoriété comme le Davos. L’événement devient complétement marketable.
Pour le Forum Crans Montana, nous restons attachés à nos valeurs, favoriser le dialogue, l’émergence de nouveaux leaders et nous préoccuper de l’impact pour l’humanité. »
Organiser une conférence n’est pas à la portée de n’importe qui
Il y a trente ans, n’importe qui aurait pu organiser une conférence. « Aujourd’hui, c’est devenu un métier, voire l’association de plusieurs métiers où beaucoup de compétences sont nécessaires ».
Yann Coelenbier nous explique que de multiples compétences sont nécessaires comme l’envie, l’intérêt, l’appétence et la flexibilité intellectuelle, l’engagement au quotidien, la capacité de communiquer avec les bonnes personnes pour convaincre et étoffer son carnet d’adresses, être à l’écoute des autres et observateur, déléguer lorsque l’on ne sait pas et être un logisticien, un excellent commercial et gestionnaire sont les compétences nécessaires pour organiser un Forum, de nos jours. Tout cela sans oublier qu’il faut tenir compte de beaucoup de paramètres notamment confessionnels, la parité, l’intégration, le confort. « Pour un Forum comme Crans Montana, il nous faut 5 à 6 mois d’organisation, mais c’est la pérennisation de nombreuses années d’expériences et la fidélisation des acteurs qui simplifient les choses . La création d’un nouvel événement nécessitera beaucoup plus de temps et mobilisera beaucoup plus de personnes et d’efforts. Enfin, une vision extrêmement pragmatique est nécessaire, si vous souhaitez inviter un chef d’Etat par exemple, il faut être capable de présenter un programme qui corresponde à son cahier des charges et à ses intérêts. »