Coût social de la crise, le patronat a sa petite idée sur qui devra trinquer
Absence de visibilité et confiance sérieusement entamée, voici les signes sous lesquels se profile la rentrée économique 2020-2021 pour les entreprises. Lors d’une conférence tenue le 9 septembre, le président de la CGEM et son colistier ont dressé en ce sens un état des lieux assez morose de la situation. Pour s’en sortir, la recette est simple selon le patronat : libérer l’économie et donner plus de flexibilité aux entreprises pour licencier.
C’est un patronat totalement groggy qui est venu à la rencontre des journalistes ce 9 septembre pour la présentation de sa vision de la rentrée économique. Et il y a de quoi, entre une communication gouvernementale erratique, le spectre du reconfinement qui plane sur la capitale économique et une absence de visibilité sur l’évolution des choses, les plus solides ont été déboussolés. Alors certes, certains secteurs font preuve de résilience et la CGEM a pu compter sur de petits succès (réouverture des frontières pour les étrangers), mais la situation générale ne prête pas du tout à l’optimisme et menace la survie de tout un pan de l’économie.
Ce manque d’optimisme se ressent d’abord dans le discours adopté par le syndicat patronal qui dénote d’une perte de confiance flagrante dans l’action du gouvernement. « La rapidité et la pertinence des décisions des premiers mois a instauré une grande confiance, mais aujourd’hui, cette confiance est moins présente parce que les règles ne sont pas aussi claires qu’elles étaient et la communication des décisions ont provoqué une certaine anxiété », se désole Mehdi Tazi, vice-président de la CGEM. Il est bien loin le temps de la proximité des autorités et de l’efficacité qui a été démontrée par le CVE, qui avaient valu au royaume une reconnaissance à l’international de sa gestion de la crise. D’ailleurs, que devient le Comité de veille ? « La dernière réunion du CVE a eu lieu au mois d’août et je pense qu’une autre réunion est certainement prévue dès qu’il y aura des réponses concrètes à toutes les mesures de relance qui sont prévues », a précisé Chakib Alj. En comprendre que les membres du CVE sont en train de plancher sur les directives contenues dans le dernier discours royal et comment les implémenter. Mais ces réponses tardent à venir et les entreprises ne peuvent plus se permettre le luxe de perdre plus de temps. C’est pour cette raison que la CGEM a décidé de prendre les devants et d’exprimer clairement dans des « positions fortes et assumées » ses besoins.
Libérez, délivrez…
« Libérer les énergies », « Libérer ce qui peut être libéré », « Libération économique »…, le mot d’ordre était sur toutes les lèvres et résumait la position du patronat (qui craint plus que tout un retour au confinement) par rapport aux dernières décisions gouvernementales. Et la logique de cette demande est simple. En effet, après être passé d’une situation où l’enjeu était de prévenir l’intrusion du virus et sa prolifération (grâce à la fermeture des frontières et à un confinement précoce) à une situation où le virus est bien présent, il n’est plus pertinent d’adopter des mesures qui renferment et freinent l’économie. « Le virus est aujourd’hui présent chez nous dans des proportions qui sont comparables à celle de certains pays partenaires, une ouverture des frontières et des déplacements inter-villes, sous réserve bien sûr de tests et d’un respect strict des mesures sanitaires, nous permettrait une libération économique qui aujourd’hui s’avère nécessaire », insiste Mehdi Tazi. Ainsi, il ne s’agit pas tant de restreindre que de contrôler pour la CGEM qui refuse d’être prise en otage de comportements imprudents ou inciviques. « Nous sommes pour le contrôle et la mise en application stricte des décisions prises, quitte à sanctionner ceux qui ne les respectent pas », poursuit le vice-président. Salutaire, cette libération permettrait donc, et c’est le deuxième argument du patronat de diminuer l’impact de la baisse d’emplois dans plusieurs secteurs, notamment celui de la restauration. Ce qui aboutirait in fine à la réduction au maximum des indemnisations pour des raisons exogènes pour concentrer les aides aux secteurs et catégories qui en ont le plus besoin. Car, avec le manque de ressources, l’urgence est surtout de relancer la demande et le patronat a en tête des mesures bien spécifiques pour la redynamiser.
Et si on supprimait la TVA… ?
La première concerne l’encouragement de la préférence nationale que ce soit par rapport à la consommation ou dans la commande publique. Une orientation générale prônée par plusieurs pays en cette période de crise. Vient ensuite la demande de s’attaquer à la TVA en la supprimant, ou en tout cas la réduire. « Il faut orienter notre système de taxation sur l’acte de consommer en allégeant voire supprimant toute taxation qui porte sur la valeur créée par l’entreprise », déclare Chakib Alj. Cette recommandation fait d’ailleurs partie des axes fondamentaux présentés par la CGEM à prendre en compte dans la prochaine loi de Finances. Jusque-là, rien de méchant même si le discours sur l’augmentation du pouvoir d’achat par la baisse de la TVA occulte celui de la hausse des salaires, à l’heure où l’augmentation du SMIG a été reportée en faveur des entreprises, mais on peut comprendre qu’avec la crise, les caisses des sociétés se soient vidées. Par contre, là où la CGEM tape fort c’est par rapport au volet social. Non content d’avoir eu l’accord tacite de se séparer de 20% de leur personnel, les entreprises souhaitent que ce soit l’État qui finance ce dégraissage en instaurant une indemnité de perte d’emploi (IPE) de 6 mois pour tous les secteurs. « Nous savons que les moyens de l’État sont limités, mais certaines mesures s’avèrent nécessaires et celle-là en fait partie », reconnaît Mehdi Tazi.
À mon commandement, virez !
Las de tourner autour du pot, le patronat profite de la crise pour annoncer la couleur de sa vision du « volet social » et ne mâche pas ses mots pour le faire. « Il faut repenser carrément le Code de travail ! », lâche Hicham Zouanat, président de la Commission sociale au sein de la CGEM. « Je peux vous dire que maintenant, les entreprises n’ont pas besoin de beaucoup de mesures ou d’incitations fiscales. Ce qu’il nous faut c’est plus de flexibilité. Vu la lenteur du dialogue social, avoir un amendement du Code dans 3 ans ne nous servirait pas à grand-chose », ajoute-t-il. Le président de la Commission sociale prend d’ailleurs exemple sur la RAM en lui octroyant le mérite d’avoir donné le coup d’envoi d’un mouvement de « plans sociaux » qui devraient devenir plus nombreux. « En attendant de légiférer, il faut déjà commencer à appliquer certaines dispositions qui existent déjà dans le Code du travail et qui faciliteraient l’impact sur les séparations », persiste Zouanat qui nuance tout de même en précisant que ces séparations « avec une petite partie » permettraient à l’entreprise de garder une taille vivable pendant cette période de crise afin de garder le maximum d’emploi, quitte même à retrouver, une fois la crise passée, les 20% perdus. Une prise de position forte, mais qui a le mérite de s’inscrire en parfaite cohérence avec la ligne directrice de la Confédération qui est dans son droit. Charge maintenant au gouvernement et autres interlocuteurs sociaux de peser dans la balance afin d’équilibrer le tout et accuser le coup de cette crise sans trop de dégâts, qu’ils soient économiques ou sociaux.