Covid 19 : crise sanitaire, économique, et enfin politique ?
L’épidémie que le monde vit actuellement n’est pas la première de l’Histoire. Mais ce qui est nouveau, c’est sa gestion par un confinement mondial inédit. Lorsqu’ils ont pris cette décision, les dirigeants de la Planète n’en ignoraient pas les conséquences sur l’économie mondiale, mais ils pensaient que les 15 jours d’incubation du virus suffiraient à le faire disparaître, et qu’une petite dose de keynésianisme en effacerait le souvenir. On parlait alors d’un à deux points de PIB, que même les plus pauvres pourraient assumer en bénéficiant du soutien des plus riches. Mais après plus de deux mois de confinement, et un virus qui pourrait bien y survivre, on parle désormais d’une récession mondiale de plus ou moins 10%, soit une crise dont les précédents laissent penser que plus rien ne sera comme avant. Sans doute les dirigeants n’avaient-ils pas le choix pour faire accepter le confinement à des populations de plus en plus inquiètes, mais ils savent qu’ils sont assis sur une bombe à retardement. Sauront-ils remettre la machine en route avant qu’elle n’explose ?
Le rêve d’une courbe en V
En déclenchant le confinement, les gouvernements ont anticipé un scénario de récession en “V” où la remontée de la courbe de croissance serait aussi brutale que la chute. C’est le scénario idéal, qui voit un retour à la normale rapide, avec un effet de rebond qui peut amener à une croissance un peu plus importante à la reprise pour compenser le manque à gagner de la période de récession. Ils ont pensé ainsi préserver une machine économique à l’arrêt en évitant les faillites et les licenciements pour lui permettre de redémarrer à plein régime lorsqu’on appuierait sur le bouton.
C’est le pari keynésien par excellence, où tout le monde se remettrait à dépenser les revenus accumulés pendant le confinement, et permettrait ainsi aux entreprises d’écouler les stocks accumulés, ou de produire très rapidement grâce à une trésorerie intacte et des banques généreuses. Pour financer tout cela alors que les Etats comme les entreprises sont surendettées, les gouvernements bénéficient depuis une dizaine d’année d’une planche à billets qui ne dit pas son nom avec l’assouplissement quantitatif” pratiqué par les banques centrales depuis la crise de 2008.
La perspective d’une courbe en U
Le scénario en “V” repose néanmoins sur une élasticité telle de la production et de la consommation qu’elle permette de rattraper en quelques semaines toute la richesse non produite pendant deux à trois mois. Or cette élasticité est très variable selon les secteurs, et si les restaurants peuvent espérer profiter d’une soudaine envie de sortir, les coiffeurs ne verront pas le même client deux jours de suite même si ce dernier en aura été privé pendant trois mois. Et même s’il s’agit d’un achat différé comme une voiture, faut-il encore que les usines puissent répondre à la demande alors que leur production aura également été différée. Le risque est alors que l’argent injecté dans l’économie se perde dans l’inflation.
Il est en outre possible que les habitudes de consommation changent après le confinement. Le télétravail testé à grande échelle peut être définitivement adopté par certains. Ils économiseront des transports et de l’énergie, et même de l’immobilier lorsque les populations obligées jusqu’ici de se loger à grands frais près des pôles d’activité pourront vivre éloignées des grandes villes. Avec de surcroît l’aversion prolongée pour les lieux publics sur-fréquentés, les restaurants, salles de spectacle, cinémas ou voyagistes auront du souci à se faire, davantage que le e-commerce ou le streaming qui en seraient les principaux bénéficiaires.
C’est pourquoi la reprise peut être précédée d’une restructuration de l’économie pour s’adapter aux nouveaux besoins et nouveaux modes de consommation. Cela peut prendre du temps, et même réduire le besoin de consommation de la société mondialisée. Les salariés qui y perdront leur emploi sont rarement flexibles au point de se recycler dans les secteurs dynamiques, d’où une tension sur le marché du travail entre chômage structurel d’un côté et pénurie de l’autre. Ce temps plus ou moins long et douloureux de restructuration prolongera le creux de la vague, d’où la reprise en “U”.
Le spectre de la courbe en L
L’hypothèse du “U” est le scénario privilégié par les experts, mais il requiert des moyens, alors que les Etats et les économies en général sont plombés par le poids de la dette.
Les politiques de relance échouent depuis les années 70, parce que la reprise de la consommation suppose, d’une part, que les agents consomment au lieu d’épargner, et que, d’autre part, ils consomment national pour rembourser à l’Etat sous forme d’impôts, le pouvoir d’achat qu’il leur a octroyé en l’empruntant sur les marchés financiers. Or presque à chaque fois, les consommateurs ont acheté asiatique en alimentant la croissance chinoise, ou immobilier dont ils ont fait exploser les prix. Le résultat est une accumulation de dettes qui non seulement ne sont jamais remboursées, mais qui se creusent par des déficits structurels consécutifs aux avancées sociales sur lesquelles les Etats peuvent rarement revenir.
Avant même le confinement, le niveau d’endettement mondial, qui atteint plus de 300% du PIB, suscitait déjà des inquiétudes, car une grande partie n’est plus solvable. Or aujourd’hui, le monde entier finance le confinement par de la dette publique gagée sur une illusoire reprise en “V”. Lorsque l’on s’apercevra que la richesse perdue ne sera pas retrouvée, les autorités devront choisir entre les banques ou les contribuables.
Certains économistes commencent alors à citer en exemple la tradition biblique du “Jubilée”, qui voulait que tous les 50 ans, l’ensemble des dettes des individus soient annulées pour remettre les compteurs à zéro. Longtemps considérée comme un mythe, elle a été mise en œuvre en 1953 pour éponger toutes les créances en cours, dans une Allemagne détruite par la Seconde Guerre Mondiale, avec le succès que l’on sait. En théorie, les Etats ont cette possibilité d’annuler tout ou une partie des dettes par décision souveraine, mais ils ont trop peur de la réaction des banques qui leur couperaient les crédits.
Surtout, dans une logique du chacun pour soi, les règles de la mondialisation l’interdisent parce que les économies sont trop dépendantes des importations pour se permettre une dévaluation. Elles le sont d’ailleurs tellement que lorsque l’appareil de production chinois s’est arrêté, la plupart des pays du monde se sont retrouvés en incapacité de fournir ne serait-ce que des masques de protection pour assurer la sécurité de leurs populations. Ces dernières ne l’oublieront pas, et pourront bien voter massivement pour des gouvernements “populistes” prônant le repli sur soi au nom de la sécurité nationale. De tels régimes préfèrent toujours reporter la faute sur un bouc émissaire étranger au prix d’une dangereuse insécurité collective, et la courbe de croissance restera désespérément plate en forme de “L”.
Le besoin d’autorité
Si les peuples veulent se tourner vers des démagogues, c’est que les principaux leaders de la communauté internationale ne semblent pas savoir où ils vont. La confusion la plus totale règne sur les scenarii de déconfinement, et alimente l’attentisme des consommateurs comme des investisseurs.
Dans ce spectacle d’incompétence, rares sont les pays exemplaires. Le Maroc a pourtant su prendre une longueur d’avance au point d’être cité comme modèle dans la presse internationale pour sa gestion de la crise. Si le Royaume a bien anticipé le confinement et mis en place les aides d’urgence aux plus démunis comme aux entreprises avec une efficacité remarquable pour un pays émergeant, il fait surtout l’admiration du monde pour avoir su internaliser, en un temps record, la production des équipements stratégiques que sont les masques et les respirateurs.
La gouvernance du Royaume capable de prendre des décisions rapides n’est certainement pas étrangère à cette capacité d’adaptation qui sera la clé de la reprise économique. Paradoxalement, la crise économique du Covid-19 peut ainsi se révéler une opportunité pour le Maroc, qui depuis des décennies, dépend du FMI pour garder ses marges de manœuvre budgétaires au prix d’ajustements structurels parfois subis. En faisant mieux que ses principaux bailleurs de fonds, le Royaume a soudain moins de leçons à recevoir, et peut avancer sereinement son nouveau modèle de développement. Surtout, le lien de confiance entre le Chef de l’Etat et son peuple légitimement inquiet n’a pas été rompu. Plus que jamais, la solution réside dans le leadership.
Par Nabil BAYAHYA : Associé Exécutif Mazars, Expert auprès de l’Institut