Crise des étudiants en médecine : la transition comme solution à l’enlisement
Mounira Lourhzal (*)
Mercredi soir, le rassemblement des étudiants en médecine dans un sit-in pacifique a été dispersé par la force. Plusieurs blessures et arrestations parmi les étudiants ont été documentées par vidéos et partagées sur les réseaux sociaux. Cette scène rappelle celle du 25 mai 2011, quand une marée humaine en blouse blanche militait pour d’autres droits. Treize ans auparavant, une autre impasse opposait la Commission nationale des médecins résidents et internes et la ministre de la santé de l’époque. Les déserts médicaux n’ont pas évolué depuis, et la réduction des années d’études afin d’accélérer la cadence de promotion de médecins ne semble pas aussi convaincante. Les sit-in prévus se poursuivront devant les facultés de médecine à Oujda, Rabat et Tanger.
Le bras de fer entre Abdellatif Miraoui et les futurs médecins est parti pour durer. L’extrait de la vidéo du ministre de l’enseignement supérieur, pris au pied de la lettre, est juxtaposé à celles de salles combles montrant des étudiants, assis à même le sol et sur les marches de l’amphithéâtre, dans les réseaux sociaux. Lors de la conférence de presse, le ministre de l’enseignement supérieur prenait à témoin les journalistes afin de rendre compte de la capacité d’accueil des facultés de médecine, dont les amphithéâtres seraient largement suffisants pour accueillir tous les étudiants de médecine non tenus par ailleurs d’assister aux cours théoriques « facultatifs ». Khalid Ait Taleb l’appuyait par la précision étymologique. C’est bien de « faculté » de médecine dont il s’agissait effectivement. Avec ce montage orwellien, les étudiants entament une deuxième (seconde ?) année académique de protestation contre la réforme de leur formation.
Arbitrage du Médiateur du Royaume
Plus de neuf mois après le déclenchement de la crise, les étudiants de pharmacie acceptent les propositions gouvernementales grâce à l’intervention du Médiateur du Royaume. Un procès-verbal inscrit donc l’acceptation des solutions proposées et la réponse aux revendications, notamment en matière d’indemnités, de stages et de (re)programmation des examens. La limitation du nombre d’étudiants a été rejetée car relevant de la politique publique et l’attribution des bourses continuera de dépendre du Registre Social Unifié (RSU).
A la Commission nationale des étudiants en médecine et médecine dentaire, c’est un soulagement. Le sérieux et la prise en considération des revendications ont prouvé l’efficacité de la médiation, affirme la Représentation du mouvement de boycott.
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Les disciples marocains d’Hippocrate ont organisé un référendum national en ligne qui s’est soldé par un rejet de plus de 80% des propositions du médiateur, selon lesquelles celles-ci «ne contenaient pas beaucoup d’explications concernant les points qui inquiètent les étudiants en médecine, dans la proposition gouvernementale datant de quatre mois dont une septième année « optionnelle » (6+1). Le déroulement, le contenu académique, le cadre juridique, la comptabilisation de cette année dans le CNPS, restent flous » , disent-ils. Non sans ajouter que « ’autres revendications n’ont toujours pas trouvé de réponse, à savoir le maintien des sanctions disciplinaires contre certains étudiants et le zéro collectif aux boycotteurs ainsi que la dissolution des Bureaux des étudiants », nous explique une source à la Commission nationale des étudiants en médecine et médecine dentaire.
Si des solutions locales au niveau de chaque faculté de médecine sont admises par la Commission, l’uniformité des conseils disciplinaires en termes de dates, de contenus et de sanctions, partout au Maroc confèrent à cette crise une globalité et un caractère politique dont l’issue doit être tout aussi politique et…globale.
«La loi ne peut avoir d’effet rétroactif ».
Avec la nouvelle rentrée universitaire, l’application de la nouvelle réforme académique, officialisée par sa publication dans le Bulletin officiel du 13 mars 2023 est nous interpelle : pourquoi le gouvernement n’applique-t-il pas ses nouvelles normes pédagogiques uniquement aux nouveaux entrants dont l’inscription signifie de facto l’acceptation du nouveau cadre académique du Royaume ? C’est la non rétroactivité de la loi garantie par l’article 6 de la Constitution qui s’impose dans ce cas. Si les étudiants en 7e et 6e année de médecine ont déjà rempli une partie des volumes horaires de l’ancien cahier pédagogique incluant également les 5e années, les autres promotions n’avaient pas adhéré à cette nouvelle politique qu’ils trouvent injuste et incohérente par rapport à leur cursus. Une période de transition s’impose.
Et notre source de souligner que la réforme actuelle ne signifie pas la fin de la fuite des cerveaux. Les correspondances des étudiants en médecine avec les pôles de formation à l’étranger ont confirmé la possibilité de terminer les études entamées au Maroc quel que soit leur stade, avant l’obtention du diplôme de Doctorat ou plus tard en spécialité. Le parcours est adapté et complété selon les normes respectives de chaque système de santé.
«Résoudre les lacunes du système marocain en termes de couverture médicale passe d’abord par la mise en place de conditions de travail de l’hôpital publique. Il faut remédier au délabrement de la Santé publique avant d’incriminer ou de diaboliser les médecins. Si l’offre d’emploi est attractive et les conditions idéales, si le médecin dispose des moyens de soin, il restera au Maroc, pour pratiquer la vraie médecine ». Comme une antienne, un tel argument est repris en chœur.
Alors que la pénurie du personnel médical se généralise, le bras de fer ne semble pas le meilleur moyen de convaincre les soignants de…rester. 70% des étudiants marocains en dernière année de médecine sondés en 2021 avaient l’intention de quitter le Royaume selon une étude publiée par la revue European Journal of Public Health. Chaque année près de 700 praticiens embarquent pour d’autres cieux, malgré des statuts précaires imposés par leur recrutement dans les hôpitaux français en tant que « Faisant fonction d’interne » (FFI), « Attachés associés » ou « Assistants associés ».
Pourtant, en toute connaissance de la conjoncture actuelle, les autorités consulaires françaises et le Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM) signaient, le 25 mars 2024, un premier accord de partenariat relatif aux visas, afin de «promouvoir la mobilité entre la France et le Maroc ».
(*) Mounira Lourhzal , journaliste