Crise économique en Algérie : la face cachée de l’iceberg
Par Saad Bouzrou
Depuis plusieurs semaines, les Algériens ont dit non à un 5e mandat du président Abdelaziz Bouteflika, puis au report sine die des élections présidentielles et du prolongement de son 4ème mandat. Une revendication populaire inédite qui a fait vaciller les anciens alliés d’un chef d’Etat grabataire depuis près de six ans, qui par conséquent, l’ont lâch, tour à tour, en lançant un appel pour le déclarer inapte en vertu de l’article 102 de la constitution, ce qui a précipité sa démission le 02 avril 2019. Cependant, derrière cette crise politique, il y a un pays déjà fragilisé par une situation économique alarmante.
Dépendance « excessive » aux hydrocarbures
D’abord, il faut rappeler que l’économie algérienne repose, en grande partie, sur le pétrole et le gaz. Etant donné qu’elle est le troisième plus grand fournisseur de gaz naturel de l’Europe, l’Algérie dépend, depuis longtemps, des exportations d’hydrocarbures pour générer plus de 95% des recettes en devises. Ensuite, les recettes pétrolières et gazières en 2018 ont représenté environ 40% de son budget. « Le débat est désormais centré sur la politique, mais le véritable iceberg est le risque d’une crise économique dans les prochaines années et personne n’a de stratégie pour y faire face », déclare Riccardo Fabiani, analyste algérien chez Energy Aspects, un groupe de Conseils basé à Londres. « Les réserves en devises baissent très rapidement et il leur reste probablement moins de deux ans de couverture des importations », dit-il.
Depuis 2014, la capacité du gouvernement algérien à respecter ses engagements est mise à mal par les bas prix du pétrole, qui ont pesé sur les finances publiques et réduit les réserves algériennes de 178 milliards de dollars, en 2014, à 88,6 milliards de dollars, en juin dernier, avec, en filigrane, un déficit budgétaire de 9% du PIB, selon le FMI. Mais les fluctuations du prix du pétrole ne constituent pas le seul défi pour le secteur pétrolier et gazier dans le pays. Le secteur souffre également d’une production réduite due à l’épuisement des champs pétrolifères, une demande intérieure croissante pour le gaz naturel et un climat d’investissement difficile qui a découragé les entreprises internationales de mener des activités d’exploration et de production
Paralysie politique : économie en panne
Les autres raisons, cependant, ont trait à des conditions fiscales et bureaucratiques peu attrayantes. Les entreprises ont eu diverses entraves, allant d’un lourd fardeau fiscal à la longue attente des autorisations de projets, en passant par une règle limitant la participation étrangère à des coentreprises. En novembre 2019, le centre d’analyses International Crisis Group a publié un rapport intitulé « Surmonter la paralysie économique de l’Algérie », dans lequel il indique que « les nouvelles réalités financières ne permettent plus de maintenir le niveau élevé de dépenses publiques des dix dernières années, qui vident rapidement les caisses de l’Etat ». « Malgré les promesses des gouvernements successifs de faire des réformes et de rééquilibrer les finances publiques, la paralysie politique a fait obstacle à toute mesure décisive », constate le centre. Le rapport a souligné également, à l’époque, que « Les autorités reconnaissent que le modèle actuel est à bout de souffle mais peinent à le corriger », s’inquiétant ainsi d’une « politique monétaire expansionniste, qui alimente l’inflation et permet seulement au gouvernement de gagner du temps sans s’attaquer aux problèmes de fond ».
« Le débat est désormais centré sur la politique, mais le véritable iceberg est le risque d’une crise économique dans les prochaines années et personne n’a de stratégie pour y faire face »,
Selon des informations parues en mars, les discussions entre la compagnie américaine «ExxonMobil» et l’Algérie, sur le développement, d’un champ de gaz naturel ont échoué en raison des bouleversements actuels. Les analystes ont déclaré qu’il était peu probable que des réformes économiques, y compris la nouvelle loi sur les hydrocarbures, soient introduites cette année. D’après Reuters, des responsables des deux parties ont eu des entretiens, en début d’année à Houston, au Texas, afin de trouver un accord, mais Exxon a choisi de suspendre les discussions, du moins temporairement, en raison de la vague de manifestations en Algérie contre le président Bouteflika. L’échec des négociations fait donc suite à des années de tentatives de Sonatrach (société nationale des hydrocarbures) d’attirer des sociétés étrangères pour développer ses ressources en pétrole et en gaz naturel.
Une forte intervention étatique
La désuétude, il y a belle lurette, du modèle économique socialiste, ne semble pas convaincre ceux qui tiennent les rênes du pouvoir en Algérie. L’économie algérienne reste, jusqu’à aujourd’hui, marquée par une forte intervention étatique. Avec d’importants marchés publics offerts, par exemple, à toute une pléthore de nouveaux magnats réputés pour leur proximité avec le régime. Ainsi, la rente pétrolière subventionne notamment le carburant, l’eau, l’énergie, la santé, les logements et les produits de base, ce qui fait que de larges pans de la société dépendent des aides de l’Etat et autres subventions.
« Toute renégociation doit être envisagée avec prudence », souligne l’ICG. Les moins de 30 ans (55 % de la population selon les statistiques officielles) « entrent, aujourd’hui, sur le marché du travail avec de sombres perspectives d’avenir et une capacité considérablement réduite de l’Etat à les soutenir ». Le pays peut, néanmoins, compter sur une dette extérieure inférieure à 2 % du PIB et sur des partenaires, européens notamment, « prêts à apporter leur soutien », argue le centre.
Par ailleurs, les analystes ont appelé Alger à plus de transparence sur l’état des finances publiques, les difficultés économiques, les réformes nécessaires et leurs résultats attendus, et à « mettre l’accent sur les jeunes dans l’élaboration du programme de réformes ». Ils l’ont aussi invité à élargir son « éventail » d’interlocuteurs, limités à l’ex-syndicat unique UGTA et au Forum des chefs d’entreprises, organisation patronale proche du pouvoir.
L’Algérie a, aujourd’hui, besoin de réformes et d’un leadership libéré des logiques militaires, capable de garantir une plus grande cohésion sociale à partir de la résolution de la crise financière. La chute des prix du pétrole et la crise politique actuelle ne rendent pas l’Algérie à l’abri d’autres problèmes. Les revendications populaires non satisfaites, et qui vont en crescendo, pourraient avoir un impact négatif sur les générations futures, ce qui ne peut être maîtrisé que par une réforme politique et une intervention économique efficace visant à moderniser le pays et à accroître et renforcer la participation démocratique du peuple à la vie politique et gouvernementale.