Crise politique et financière : La Tunisie sous haute pression
Ce qu’on chuchotait il y a quelque temps, s’est transformé ces derniers jours en déclarations publiques. Toutes expriment une inquiétude croissante des partenaires de la Tunisie, de l’effondrement de l’économie du pays, rappellent la nécessité de rétablir l’Etat de droit et des libertés et alertent sur les risques croissants d’amplification de l’immigration clandestine vers l’Europe.
Dirigeants européens, français, italiens, notamment, américains et experts des organisations internationales ont, cette fois-ci, tiré la sonnette d’alarme n’écartant pas que l’irréparable pourrait, cette fois-ci, se produire, si le pays ne parvient pas à signer un accord avec le FMI et n’engage pas les réformes exigées pour bénéficier de ressources financières salvatrices pour boucler le budget de l’Etat 2023 qui accuse un trou béant, l’équivalent de 4,8 milliards de dollars à lever auprès des bailleurs étrangers.
La majorité des dirigeants européens et des institutions financières internationales et régionales conditionnent leur appui à la Tunisie à la signature de l’accord avec le FMI portant sur un prêt de 1,9 milliards de dollars. Aucune autre piste de sortie n’est possible ou envisageable pour l’instant.
Tout en rappelant que l’Europe a exprimé sa détermination qu’elle ne laissera pas la Tunisie seule dans cette épreuve difficile et qu’elle fournira son appui pour éviter son effondrement, le pays fait face à une pression internationale sans précédent.
Le ton a été donné le 20 mars dernier, jour de la célébration de l’indépendance du pays, par l’Union Européenne qui a adressé, à l’issue d’une réunion de ses ministres des Affaires étrangères à Bruxelles, une mise en garde claire à la Tunisie.
Les vingt-sept ont appelé la Tunisie à respecter « l’Etat de droit, les droits de l’Homme, les engagements pour d’importantes réformes structurelles » et d’assurer « la finalisation du programme déjà convenu avec le Fonds monétaire international ».
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Cette mise en garde a été assortie d’une autre condition : « Le président tunisien doit le signer, c’est indispensable », et cela « doit être fait rapidement sinon la situation sera très grave pour la Tunisie ».
Cette inquiétude est motivée par la crainte qui découlerait d’un tel scénario. « Cela risque de provoquer des flux migratoires vers l’UE et entraîner une instabilité dans la région MENA », prévient l’Union Européenne.
Le 22 mars, le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, a alerté sur la nécessité pour la Tunisie de trouver un accord avec le FMI, sans lequel l’économie du pays pourrait « s’effondrer ».
En réponse à une question lors d’une audition devant le Sénat à Washington, Blinken rappelle que « la chose la plus importante qu’ils puissent faire en matière économique est de trouver un accord avec le FMI », tout en faisant part des inquiétudes des Etats-Unis vis-à-vis de la situation politique en Tunisie.
Le même discours a été exprimé lors du sommet européen de Bruxelles, le 24 mars 2023, par le président français, Emmanuel Macron et la présidente du Conseil des ministres d’Italie, Giorgia Meloni, qui engagent une action concertée pour aider la Tunisie à dépasser une crise qui risque de provoquer une pression migratoire à l’Europe.
Pour le président français, « Notre volonté est d’agir ensemble pour pouvoir aider la Tunisie à retrouver la stabilité politique, à trouver un accord avec le FMI et aussi à engager des voies de coopération dont l’une des composantes est la maîtrise de l’émigration à travers la Tunisie « .
Pour Giorgia Meloni, tout le monde n’a pas conscience des risques engendrés par la situation en Tunisie et de la nécessité de soutenir la stabilité dans le pays devant la crise financière qu’il traverse et qui pourrait mener vers une vague migratoire « sans précédent ».
Pour donner un caractère opérationnel à sa démarche, l’UE a dépêché, le 27 mars à Tunis, le commissaire européen chargé de l’Economie, Paolo Gentiloni, pour pousser les responsables politiques à agir sans tarder pour circonscrire une situation jugée grave, tout en rassurant que » la Tunisie ne sera pas laissée seule ».
Au terme de sa visite, le commissaire européen a annoncé que la Commission européenne est prête à envisager une aide macrofinancière supplémentaire « si les conditions nécessaires sont réunies ».
Selon lui, la première condition est l’adoption par le FMI d’un nouveau programme de financement.
Pour Gentiloni, « il est primordial que ceci puisse avoir lieu dans les meilleurs délais ».
Au regard des perspectives pessimistes de l’économie tunisienne qui, selon le FMI, devrait connaître une croissance de 1,6% en 2023 et l’inflation 8,5%, la mise en œuvre des réformes, douloureuses, s’avère le seul moyen pour réduire les déficits.
Cela exigera, selon l’institution, « la levée graduelle des subventions généralisées et coûteuses des prix, en procédant à des ajustements réguliers pour aligner les prix nationaux aux prix mondiaux, tout en offrant une protection ciblée adéquate aux catégories vulnérables de la population (notamment par le biais de transferts sociaux) ».
D’ailleurs, reconnaît la DG du FMI, Kristalina Georgieva dans une interview accordée récemment à « The National », quotidien anglophone basé à Londres, certaines des réformes attendues de la part de la Tunisie « se sont avérées plus difficiles » nécessitant « plus de temps aux autorités pour les mettre en œuvre ».
Certains observateurs attribuent la non signature par le président tunisien de l’accord par sa crainte de voir la mise en œuvre de mesures jugées « impopulaires » comme la fin de subventions sur les produits de base et des hydrocarbures et la restructuration des entreprises publiques, se transformer en une sorte d’implosion sociale.
Dans la situation difficile et complexe qui prévaut actuellement, la Tunisie n’a pas vraiment l’embarras du choix. Si elle ne parvient pas à un accord avec le FMI, elle risque un effondrement dont les conséquences risquent d’être encore plus désastreuses que les mesures douloureuses redoutées.
Avec MAP