Culture : Nayda 4.0

Réalisé par Bahaa TRABELSI

L’aviez-vous remarqué ? On parle de culture comme on parle d’amour, avec pudeur, inquiétude et culpabilités. Culpabilité de ne pas prioriser ce qui représente le foyer de nos images miroirs, de notre créativité et de nos libertés, ou culpabilité de le prioriser alors que nous avons d’autres chats à fouetter comme la santé, l’éducation et la justice, piliers des droits humains.

Or l’amour à l’échelle individuelle et la culture à l’échelle d’un pays sont les leviers de développement personnel et de développement d’une nation. Car comment envisager une vie sans amour ou un pays sans culture ? Ils font partie de l’équilibre même de ce qui propulse en avant et nourrit les cœurs et les esprits.

Les Industries culturelles et créatives (ICC) ont donc un rôle primordial à jouer dans le développement durable du Maroc si elles sont soutenues à la fois par les pouvoirs publics et le secteur privé.

C’est ce constat qui a été à l’initiative d’une étude menée par Driss Ksikés, Mehdi Azdem et Sabrina Kamili : « Quelles transformations pour les ICC au Maroc ? Focus sur quatre filières : l’édition, le spectacle vivant, l’audiovisuel et la musique».

L’étude est une initiative de la délégation Wallonie-Bruxelles (WB) qui a sélectionné des chercheurs marocains puis a sollicité le partenariat de la Fédération des Industries culturelles et créatives de la CGEM (FICC). Un travail considérable a alors été mené par cette équipe de chercheurs qui a établi un constat de l’existant et des perspectives de réformes concernant les ICC.

Est-ce que les conclusions et les recommandations de cette mission resteront un vœu pieux ou allons-nous, enfin, prendre conscience que nos ICC sont un des leviers majeurs de notre développement ?

Le ministre actuel de la Culture, de la Jeunesse et des Sports et de la Communication, Mehdi Bensaïd, a cinq ans devant lui pour amorcer et consolider ce changement.

Ce ne sont pas cent jours, concept importé et arbitraire, qui vont lui permettre de démontrer un changement tant le chantier est énorme et les moyens actuels limités. Il semble animé par une réelle volonté de changer les choses, mais comme on dit chez nous « une main n’applaudit pas toute seule ».

C’est d’une vraie culture de la citoyenneté que nous avons besoin, aujourd’hui, pour travailler ensemble et en synergie dans la perspective de développer nos industries culturelles.

Notre culture est notre ambassadrice dans le monde et les ICC s’appuient sur le vivier de notre créativité, notre modernité et notre volonté d’évoluer. Notre culture est un temple pour notre jeunesse qui peut y trouver à la fois inspiration, emploi et perspectives d’avenir.

Nous avons eu droit à une étude animée par un souffle de libertés et des recommandations ambitieuses, à même de répondre aux espérances de la jeunesse et à un nouveau développement des ICC. Un document précieux, à la fois riche en enseignements pour les décideurs et représentant une véritable feuille de route pour le secteur.

Jusqu’à aujourd’hui, la culture a été décrite comme le parent pauvre, une laissée pour compte, la reléguant au second plan, ignorant son importance aussi bien comme levier de développement que comme ambassadrice de notre pays dans le monde.

Pour preuve, le secteur de la culture a toujours eu un des plus faibles portefeuilles budgétaires du Gouvernement (toujours largement inférieur à 1% du budget global recommandé par l’UNESCO).

Par ailleurs, il est vrai qu’une bonne dizaine d’années au cours desquelles on a voulu rendre la culture « propre » ainsi que plus récemment la crise du Covid l’ont embarquée dans une traversée du désert affligeante.

Cependant à quelque chose malheur est bon, cela a aussi peut-être permis de reconsidérer son importance et son impact. Les chiffres de la FICC nous révèlent que plus de 100 000 emplois directs ont été menacés et environ 1.100 entreprises ont accusé 70% de baisse de leur chiffre d’affaires suite au premier confinement qui s’est achevé en juillet 2020.

La réalité actuelle, après deux années de crise pandémique, est probablement beaucoup plus grave eu égard à la durée de cette crise entraînant des fermetures, des reconversions d’entreprises, de professionnels, d’artistes et de techniciens. Il est difficile d’évaluer l’impact exact de cette crise en raison de l’absence de données précises et actualisées et de l’ampleur de la partie informelle des ICC.

Et pourtant, déjà en octobre 2019, les 1ères Assises des ICC, à l’initiative de la FICC et en partenariat avec le Ministère de la Culture, de la Jeunesse et des Sports et de la Communication ont été organisées et ont abouti à des recommandations qui permettraient de dynamiser le secteur. La crise du Covid n’a fait que confirmer cette urgence de donner un nouveau souffle à ce département sinistré.

Dans la préface de l’étude, Neïla Tazi, Présidente de la FICC à la CGEM, rappelle que les Industries culturelles occupent, au niveau mondial, la cinquième place dans la liste des secteurs les plus porteurs économiquement. L’économie de la culture est non seulement une réalité, mais surtout une chance. Des territoires à travers le monde ont retrouvé une vitalité portée par une communauté artistique et créative. Des entreprises se sont développées à l’échelle mondiale telles que les plateformes Netflix, Deezer ou Spotify.

Les recommandations de cette étude envisagent un remodelage total de la configuration actuelle du secteur. Elles préconisent une série de transformations à la fois structurelles et dynamiques d’inspiration libérale qui pourraient mettre les ICC du Maroc au diapason des sphères culturelles internationales.

Un programme ambitieux qui suppose une prise de conscience de l’importance du développement des ICC au service du développement par les autorités publiques et le secteur privé, et une réelle volonté de travailler en concert pour le réaliser, au-delà des divergences et des orientations politiques.

Sortir du marasme de la crise actuelle et surtout de l’archaïsme du secteur exige une refonte du système, inscrite dans la modernité et les ouvertures, qui permettrait de donner ses lettres de noblesse à notre culture dans le monde.

A titre d’exemple, le soft power coréen (la capacité d’un État à séduire et à attirer une audience étrangère) est étroitement lié à l’essor des produits culturels coréens à l’étranger et à ce qu’on a commencé à appeler, au début des années 2000, la « vague coréenne » (hallyu). Et pourtant, la Corée du Sud, jusqu’à la fin des années quatre-vingts, était indifférente à l’industrie culturelle. Le développement et le succès rencontrés par les produits culturels coréens est à l’image du développement économique du pays : extrêmement rapide. Le terme « hallyu » apparaît, pour la première fois, dans des magazines chinois pour traduire l’inquiétude de ce pays devant l’importance prise par certains produits culturels coréens, puis il est relayé dans les médias coréens, en 2001, avant que le gouvernement ne se l’approprie pour en faire un élément stratégique de développement.

Les recommandations (éclairées) du rapport :

Elles sont au nombre de six et tiennent compte en profondeur des caractéristiques des ICC. Ambitieuses, elles peuvent être considérées comme une véritable feuille de route pour le secteur. A la condition que l’ensemble des acteurs concernés soient investis par la mission. Cela exige des compromis et des concessions au profit du sens de la citoyenneté et de l’intérêt général.

  1. Culture transversale

La transversalité de la culture, par exemple, nécessite un travail de fond, en établissant des synergies à la fois à l’intérieur, entre les départements du Ministère de la Culture, de la Jeunesse et des Sports et de la Communication, et avec les autres Ministères notamment  de l’Artisanat et du Tourisme (pour la mise à niveau de l’ensemble des filières), de l’Éducation nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (pour stimuler la créativité, renforcer les savoirs sur les arts et recruter des passeurs de culture), du Ministère de l’Intérieur (collectivités territoriales), du Ministère de l’Aménagement du Territoire national, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Politique de la Ville (pour le design et les espaces publics) avec le Ministère de l’Industrie (pour renforcer les liens avec les industries numériques) et celui des Affaires étrangères. Tout un programme ! Mais le potentiel est là, nous ne manquons ni de bonnes volontés publiques et privées, ni de temps à consacrer. Avec de la détermination et de l’organisation, cela devrait être possible.

  1. La réforme du modèle de subvention publique

L’étude est partie du constat que soutenir les structures de production sur la base de projets ponctuels ne suffit plus. Il ne s’agit plus de renforcer l’offre à partir de l’existant, mais plutôt d’élargir la demande en subventionnant la qualité de la production. Cela suppose forcément d’identifier les producteurs de contenus de qualité et de permettre aux autres d’améliorer la leur.

Cette exigence par rapport à la qualité est à la fois nouvelle et nécessaire si nous voulons être au niveau de la production internationale.

En parallèle, subventionner des initiatives en lien avec les publics, les étudiants, les bibliothèques publiques et autres structures non marchandes dispenseraient à la culture un rôle social. Et c’est particulièrement aux jeunes, la force vive de notre pays que ces subventions bénéficieraient.

  1. La libéralisation de l’audiovisuel

L’étude souligne le paradoxe saisissant d’une économie qui tend à se libéraliser et un État qui tient à maintenir le contrôle sur l’audiovisuel et surtout le monopole et la centralisation de l’audiovisuel.

Peut-être faut-il nuancer cette conclusion. Il faut comprendre que tous les États dans le monde ont un pôle audiovisuel public fort, et c’est aussi le cas du Maroc. Ce pôle public joue un rôle important qui gagnerait, certes, à évoluer dans un cadre législatif renouvelé en adéquation avec l’évolution de notre société et les tendances mondiales. Mais des efforts continus sont faits pour améliorer les programmes afin de coexister avec un audiovisuel mondial 4.0 dont la liberté est quasi absolue tant au niveau des productions de contenus qu’en termes de consommation par nos compatriotes et particulièrement par les jeunes (YouTube, Netflix, Amazon, téléchargements etc). Nos chaînes nationales, dans un contexte international performant aux frontières ouvertes, travaillent dans le sens de l’amélioration des programmes.

Elles ne peuvent plus se permettre, en un sens, de ne plus tenir compte de l’évolution de notre société, des aspirations et des rêves de nos jeunes qui, de toute façon, vont systématiquement voir ailleurs. Quant au contrôle, n’oublions pas que le Maroc est un pays de droit positif, avec des lois et des organismes de régulation tels que la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA), toute infraction qui pourrait advenir pourrait être sanctionnée à posteriori en lieu et place du contexte actuel.

En réalité, libéraliser l’audiovisuel signifierait surtout délivrer des licences nouvelles et libéraliser les médias télévisuels. Un souffle de liberté tant espéré ! Et enfin une créativité libre de s’exprimer. « Le rôle de catalyseur pour l’ensemble des filières que constitue l’audiovisuel rend ainsi sa libéralisation une nécessité non seulement politique pour libérer les initiatives et les énergies, mais également économique pour monter en gamme au niveau des synergies possibles », ajoute l’étude.

En tout état de cause, l’argument du manque de budget, en raison de la faiblesse des recettes publicitaires, est à relativiser. En effet, la qualité des productions crée le succès des programmes qui attirent les annonceurs et crée ainsi la demande des téléspectateurs alimentant ainsi un cercle vertueux.

  1. L’identification par l’État desentreprises culturelles et la reconnaissance des associations culturelles

Identifier ces entités est une forme de reconnaissance à la fois de leurs compétences et de leur compétitivité sur le marché. C’est leur permettre de travailler dans les meilleures conditions en mettant en place un cadre aussi bien fiscal que juridique, et surtout d’éviter les amalgames qu’il y a entre associations et entreprises.

L’étude évoque la nécessité impérieuse d’alléger les conditions d’obtention de l’utilité publique et surtout de mettre en place un système de labellisation des structures culturelles reconnues.

  1. La réforme du BMDA et la libéralisation de la gestion des droits d’auteur

La gestion de cet organisme gagnerait à être restructurée en termes de méthodologie de collecte des droits et de leur redistribution transparente dans le cadre de la reddition des comptes, ce qui précède pourrait être le fait d’une gestion collégiale assurée par les intervenants du secteur culturel.

Cette réforme est au cœur des problématiques des ICC. Il est inconcevable, aujourd’hui, que les auteurs et les artistes, de manière globale, se trouvent dans la précarité, sans protection quant à la reconnaissance et à la garantie de la juste rémunération de leur travail.

Un organe de gestion tel que le bureau marocain des droits d’auteur (BMDA) mérite non seulement d’être connu par les acteurs de la profession des créatifs, mais aussi d’en faire un outil d’une économie de la culture qui respecte l’autonomie des créateurs. Les auteurs et artistes devraient avoir un accès équitable à leurs droits. Le BMDA a déjà amorcé un virage en se digitalisant, il convient de consolider son rôle afin de permettre aux auteurs et artistes de vivre dans la dignité.

Même si un programme conjoint entre le ministère de la Communication et l’Union européenne a permis d’aboutir à un projet de loi de réforme du Bureau marocain des droits d’auteur (BMDA) et le dépôt du nouveau projet de loi au Parlement, il convient de noter les résistances qui entravent cette réforme et le manque de confiance de certains acteurs à l’égard de cette institution.

Les défaillances structurelles à combler par la formation

Le secteur a un besoin urgent de professionnalisme. En ce qui concerne l’édition par exemple, la réécriture d’un livre est parfois indispensable, comme cela se fait ailleurs, avec des critères d’excellence. Revisiter un livre pour en faire un produit abouti est un métier. Et nous manquons cruellement de directions éditoriales compétentes.

De même, en ce qui concerne l’écriture des scenarii et la post-production dans l’audiovisuel. Les productions marocaines sont très éloignées des standards internationaux – en termes de qualité – et à ce titre, la formation et la professionnalisation des acteurs de la chaîne productive, permettraient un saut qualitatif indispensable pour insérer lesdites productions dans un environnement mondialisé.

Former devient donc nécessaire pour être compétitif à l’international. Par ailleurs, il existe un manque réel de communication qualitative. C’est le rôle des managers culturels. Gérer un projet culturel, le valoriser pour que sa diffusion soit accompagnée. Encore un autre métier à développer pour optimiser les retombées d’une œuvre.

L’article 25 de la constitution 2011 dispose que « Sont garanties les libertés de pensée, d’opinion et d’expression sous toutes leurs formes. Sont garanties les libertés de création, de publication et d’exposition en matière littéraire et artistique et de recherche au sein des filières culturelles marocaines ». C’est clairement une directive dans le sens du développement des ICC. Reste à implémenter la volonté politique et la dynamique construite autour pour y arriver.

Une convention-cadre qui a pour objectif de renforcer les partenariats entre les secteurs public et privé au service de l’essor culturel du Royaume, du développement du système industriel de la culture et de la professionnalisation des métiers du secteur a été signée, en janvier 2022, entre le ministère de la Culture, de la Jeunesse et des sports et de la Communication et la FICC, avec pour objectif de renforcer la coopération entre le Ministère et la Fédération pour le développement du domaine des industries culturelles et créatives.

Elle a également pour objectifs de structurer les cadres juridiques et fiscaux de l’entreprise culturelle, encourager la création d’entreprises culturelles, organiser des réunions de sensibilisation sur l’importance des ICC, former les professionnels du domaine culturel, ainsi que d’assurer le suivi des acteurs culturels pendant la phase post-Covid 19.

Pour le ministre, Mehdi Bensaïd, l’industrie culturelle est à même d’apporter une solution à de nombreux problèmes économiques et de créer de nouvelles opportunités d’emploi et de professions pour les jeunes. Voilà qui est de bon augure. Croisons les doigts et ne ratons pas le train, ensemble.

INTERVIEW

Driss KSIKES : « Il est crucial de changer les mentalités pour comprendre la transversalité de la culture »

Driss Ksikes est écrivain et dramaturge. Il est directeur d’Economia, centre de recherche de HEM, où il encadre des équipes de recherche interdisciplinaires. Ancien rédacteur en chef du magazine TelQuel (2001-2006), il est, depuis 1996, professeur à HEM de méthodologie et de grands débats politiques, et depuis 2007, chercheur en médias et culture, auteur associé à plusieurs revues littéraires et critiques internationales. Professeur visiteur et conférencier dans plusieurs universités américaines (Northwestern, UCLA, Tulane, Williams), il a dirigé l’étude sur l’industrie de la culture au Maroc.

  • MAROC DIPLOMATIQUE : Vous avez effectué un travail important sur la situation des ICC au Maroc, aujourd’hui. Dans le contexte actuel de crise du Covid et d’un héritage peu reluisant jusque-là minimisant le rôle de la culture comme levier de développement, pensez-vous qu’une volonté politique suivra et tiendra compte de vos recommandations ? Autrement dit, quelle est la limite de ce genre d’étude aujourd’hui ?

 – Driss KSIKES : Je commence par la fin : il serait fallacieux de croire que toute étude produite donne lieu immédiatement à des mesures concrètes. Si nous partons d’une logique utilitariste à l’extrême, nous pourrions sous-estimer le besoin permanent de recherches et d’études qui permettent de documenter au mieux les réalités vécues et perçues, et outiller aussi bien les médias, les acteurs culturels que les décideurs par des éléments de compréhension et des grilles de lecture à exploiter. Je ne dis pas cela pour dédouaner les décideurs politiques. Bien au contraire. Sur ce point, je suis tiraillé. Je suis en même temps sceptique, vu l’ignorance et l’indifférence assez répandues au sein des politiques par rapport à l’importance cruciale des arts et de la culture. Et je me dis que dans une rationalité économique – la seule que la plupart savent entendre -, cette étude fait la démonstration d’un potentiel largement sous exploité. Peut-être que cela pourra aider. Mais il va bien falloir qu’il y ait de la pression des acteurs, des amateurs et des passionnés pour que ce besoin ne soit pas traité en surplus ou à la vingt-cinquième heure.

  • Cette étude a été menée à l’initiative de la Wallonie Bruxelles International, étant donné la topologie actuelle des rapports Nord-Sud, quel réel avantage avons-nous à tirer de ce partenariat en termes d’échanges équitables ?

 – Le premier intérêt exprimé par la délégation Wallonie Bruxelles a été de créer des ponts avec des professionnels, connecteurs, intermédiaires des deux rives pour inventer de nouvelles coopérations. En allant vers une étude plus approfondie sur les réalités marocaines, le but est d’avoir une feuille de route utile aux décideurs mais aussi aux opérateurs pour cibler au mieux des institutions, fonds, partenaires du Nord. La dynamique Nord-Sud demeure nécessaire pour dynamiser les industries culturelles créatives que ce soit en formations, en co-productions ou en co-construction de projets.

  • Obtenir des implications plus effectives à la fois du gouvernement actuel et du secteur privé exige-t-il de mettre en place des passerelles dans chaque segment des ICC afin de faciliter les processus de financement et de participation ? 

–  Il est crucial, comme nous l’expliquons dans les recommandations en lien avec la gouvernance, de changer les mentalités pour comprendre la transversalité de la culture, de réaliser que tous les départements du gouvernement doivent coordonner les actions, mais le faire d’abord au niveau des territoires, et en étant, avant tout, des facilitateurs des acteurs associatifs et privés. C’est une affaire de ponts, de reconnaissance des acteurs, de confiance dans les relais et de mise en place des conditions d’auto-régulation et de transparence qui donnent envie à des acteurs sceptiques ou marginalisés de prendre part à la dynamique et à d’autres solides économiquement d’investir et soutenir la créativité. C’est un chemin qui demande un vrai engagement, sincère et attentif à l’ensemble de l’éco-système. Et cela manque terriblement dans nos institutions.

  • Il n’est pas question de cinéma dans votre rapport, mais plutôt d’audiovisuel, alors que des amalgames sont pratiqués aussi bien au niveau juridique que dans la pratique… Pourquoi ?

– Le cinéma est un champ qui mérite une étude à part. Ce travail s’est concentré sur des segments faiblement organisés, peu soutenus ou sous-exploités. Le cinéma est fortement subventionné et représente d’autres défis comme celui de l’écriture de scénario, de qualité de post-production ou encore d’inclusion des différents métiers et d’élargissement du parc de distribution. Ceci dit, l’un des points à peine esquissés dans cette étude est le manque de synergies entre cinéma et audiovisuel, l’absence de plateformes Trans média, et en amont de tout cela dans la société, la limitation par la loi et les pratiques sécuritaires d’accès à l’espace public pour un simple Youtubeur ou journaliste amateur.

  • En quoi la culture est-elle un secteur producteur de richesses et de valeurs ?

– Mettons-nous d’accord avant tout sur le sens que nous donnons à richesses et valeurs. Elles ne sont pas que matérielles mais immatérielles également. Elles ne sont pas que numéraires mais humaines également. Et elles ne sont pas qu’économiques, dans le sens restreint, mais systémiques englobant plusieurs dimensions, sociale, culturelle et territoriale. Ici, nous ne parlons pas de culture, comme la somme d’expressions, habitudes, signes qui nous renseignent sur une collectivité, mais d’industries culturelles et créatives qui, à part des logiques de conception, production et diffusion, valorisent des créations individuelles ou collectives et en assurent la reproduction, la large circulation et, de par les imaginaires qu’elles mobilisent, l’enrichissement symbolique. En plus des emplois, directs et indirects, que ces secteurs créent, des effets d’entraînement que cela engendre à travers le tourisme culturel par exemple, il y a la valorisation d’héritages dormants ou encore le surplus d’âme et de richesses à des territoires oubliés. Le spectre est très large, mais tout part du respect des droits d’auteur, de la valorisation de la création imaginaire comme source de renouvellement.

  • Libérer le secteur audiovisuel ne signifie-t-il pas de ne plus le contrôler en termes de contenu par le biais notamment des cahiers des charges ?

– L’étude insiste sur le caractère limitatif, dépersonnalisant et hyper-contrôlé de ces cahiers de charge. Mais la libéralisation de l’audiovisuel demeure avant tout le dépassement de la frilosité politique qui entoure ce secteur, qui fait que les médias communautaires sont faibles, les télévisions privées à peine tolérées ou en embuscade et surtout le service public faiblement engagé dans l’appui aux industries culturelles et créatives que ce soit en termes de diffusion ou d’appui à des productions de grande qualité.

  • Qui dit culture, dit liberté, et donc dynamique en termes d’ouvertures, de remise en question. Sommes-nous prêts ?

– C’est le point d’achoppement. Qui nous ? L’État ? Je ne vois pas de signaux dans ce sens. La société ? On y confond licence et liberté. Arriver à être libres, en connaissance des contraintes et en étant autonome dans ses choix, n’est pas un préalable mais une résultante que la libération des expressions culturelles favorisent et cultivent dans le temps. Sans fenêtres ouvertes sur l’inconnu, le différent, l’inhabituel, la liberté serait réduite à une expression spontanée de désirs et de pulsions. Sommes-nous prêts à libérer l’art de la censure morale et politique, à desserrer l’étau économique sur les initiatives créatrices, à élargir la demande de culture ? Le jour où nos dirigeants, trop contrés sur la sécurité et le contrôle, comprendront que c’est le seul moyen qui permettra à notre société de prendre son envol, nous en reparlerons.

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