Par Hassan Alaoui
Ce que, faute de mieux, nous appelons « l’affaire de l’Escobar du Sahara » n’est en somme qu’un jeu de mots qui ne saurait honorer nos provinces du sud et qu’il faut tout de suite rejeter. A la limite la face visible d’un immense iceberg. On dira aussi que ce n’est pas la première fois que l’on est soufflé, secoués par ce genre de scandale, la corruption ayant été l’un des signes distinctifs de nos sociétés, comme partout dans le monde, à des échelles bien entendu différentes.
Pour en percer la complexité voire les mystères, il faut juste faire confiance à la justice, y croire à vrai dire. La caractéristique essentielle de cette affaire, outre ses aspects sordides et les horreurs d’immoralité qu’elle invoque pour nous, est la menace sur la démocratie, la notre en l’occurrence. D’emblée, il faut souligner cette dimension. Car, on aura beau dire le contraire ou la négliger eu égard à ce que le trafic multidimensionnel – en termes d’argent, de biens immobiliers, de politique violée tout court – représente, les atteintes à notre démocratie apparaissent d’ores et déjà comme terrifiantes.
La justice, cette seule chose que nous devrions défendre face à ce déluge de corruption, semble elle-même menacée, attaquée comme la vertu par le vice. Nous sommes en face d’une entreprise de déstabilisation qui, Dieu seul sait, depuis quand dure-t-elle et sur quelle impunité joue-t-elle ! Entre trafic de drogue, blanchiment d’argent, abus d’autorité, dilapidations en tous genres devenues tarte à la crème de golden boys et des carriéristes sans foi, ni loi adossés à des lois presqu’élaborées pour eux quand ce n’est pas eux qui les fabriquent…Chaque jour qui passe désormais, nous apprenons la mise en examen ou l’arrestation d’élus, députés en disgrâce qui peuplent les prétoires, d’autres dont j’imagine qu’ils ne dorment pas ou qui attendent leur tour d’être interpellés. Et j’en passe !
Le Maroc ne saurait être cette Ecurie d’Augias où la liberté s’exerce par défaut et la loi se fait violer impunément. Le credo, l’armure de glace que l’on ne doit jamais frayer demeure ce principe sacro-saint : personne n’est au-dessus de la loi. L’abondante liste des prévaricateurs et comme disait un certain feu Mohamed M’Jid, des « délapidateurs » se nourrit chaque jours de méfaits qui sont le propre et l’envers du décor de démocraties exposées. Elle tient en haleine des milliers de citoyens pour ne pas dire plus, attirés par une certaine presse devenue sensationnaliste qui – le slogan « en-veux-tu-en-voilà encore » inscrit sur son fronton – nourrit à en vomir leur malsaine avidité, et nous livre chaque jour en pâture le triste sort des prévenus, hier encore d’illustres personnalités, aujourd’hui démons en cage…
Bien sûr, on ne brûle que ce que l’on a adoré ! Ce principe a valeur d’intempestive boutade, notamment quand il s’agit de confronter l’implacable rouleau compresseur de la justice, ce « Moloch » qui, en tout état de cause ne se trompe jamais, a toujours raison et nous confond dans nos propres illusions. Séparée et échappant à la tutelle du pouvoir politique – à tout le moins officiellement – la justice fait son travail dans une implacable sérénité, la preuve est sa discrétion impalpable depuis de longs mois. On ne peut pas ne pas se réjouir de ce qu’on peut appeler le regain d’une justice qui, depuis toujours, est discréditée, malmenée même, mal jugée par les Marocains et qui plus est s’attaque à présent à des citadelles que sont les détenteurs de puissances financières voire étatiques. En 2012, le Roi Mohammed VI avait lancé un programme ambitieux de la réforme novatrice de la Justice quelques mois après l’adoption de l’importante et historique réforme de la Constitution et l’arrivée au pouvoir du PJD. Celui qui devait en l’occurrence porter cette réforme de la Justice, qui n’était que Mustapha Ramid, a fini dans les méandres marécageuses d’une affaire de justice engagée contre lui par sa femme de ménage, qui l’avait accusé de l’avoir dépouillée de ses droits.
On pouvait tout imaginer sauf une plainte d’une employée de maison – dite secrétaire – contre un symbole de l’Etat, de surcroît membre d’un parti politique qui jouait les parangons de la justice. Parmi les proclamations vertueuses du PJD à son accession au pouvoir figurait en bonne et due forme la séduisante et noble lutte contre la corruption. Populiste et courageux engagement qui a vite fait long feu, Abdelilah Benkirane, peccamineux leader cédant en 2015 aux lobbies pétroliers, devenant même leur meilleur avocat, cassant la mission de la Caisse de compensation, enfonçant le pays dans le désastre économique, enfonçant le pays dans un marasme dont on ne sortira pas de sitôt.
Le Roi n’a eu de cesse d’en appeler à la réhabilitation de la politique, noble, digne et incarnant à la fois le véritable visage et la réalité du pays. A présent, la question, quasi tragique se pose crûment : les partis politiques jouent-ils leur rôle, le veulent-ils, le veulent-ils ? Ne sont-ils pas, ces partis politiques si amorphes, dans l’incapacité totale d’assumer leur responsabilité nationale, de sortir de leur gangue et leur zone de confort pour remplir leur mission ? Sont-ils en train de devenir une coquille vide ? La tentation de s’en prendre, à présent, au parti du PAM au seul prétexte que certains de ses élus sont confrontés à la justice dans cette nébuleuse affaire de trafic de drogue et de malveillances, n’autorise nullement les démagogues et les populistes de tous les camps à se prévaloir d’une quelconque vertu. Avant le PAM, les affaires de trafic de drogue et autres malversations existaient bel et bien. Sous d’autres partis, sous d’autres cieux politiques et par d’autres figures emblématiques.
En somme, tout ce qui procède d’une manière d’inquisition participe aussi de l’Inquisition moyanageneuse ! Une douce mais persistante révolution se déroule à présent dans ce Maroc qui se cherche, celle de la réhabilitation de l’Etat de droit, elle inscrit sur son fronton la souveraineté de la justice et, dans le même souci, celle du peuple qui est au principe de la démocratie ce que la présente révolution de la justice est au droit et à la loi pour tous.