De quel nouveau populisme Benkirane est-il encore le nom ?
Ainsi donc, Abdelilah Benkirane a-t-il fait une « sortie » supplémentaire, se rappelant à notre bon souvenir ? Avec des accents au même ton populiste, l’avalanche des récriminations, les unes voilées et les autres directes, collet monté, le secrétaire général du PJD n’épargne personne. Face aux jeunesses de son parti, il s’est fait le héraut de l’enfumage, oubliant que le parti majoritaire qui gouverne est bel et bien le sien. Et que l’éthique devrait en principe le dispenser de tailler des croupières à ses « camarades » (Ikhwani, aime-t-il à dire) membres de la coalition !
On s’interroge donc sur le discours de samedi que la presse qui le soutient nous livre comme la parole d’un Messie…
Autant que le gouvernement, l’opposition – ou ce qu’il en reste comme le Parti de l’Authenticité et de la Modernité (PAM) -, institutionnelle et isolée, nous donne l’impression de se chercher ! Il lui faut fédérer ses acteurs pour constituer un bloc à la cohérence et la solidité de marbre et être une force de proposition…Nous n’y sommes pas encore, or elle se trouve plutôt dans un vase clos caractérisé par une certaine inertie !
A quoi ressemble de nos jours la politique au Maroc ?
Sans doute l’interrogation paraîtrait-elle d’emblée saugrenue. Toutefois, elle taraude bien des esprits et, pour peu que l’on y regarde de plus près, elle nous interpelle. Il y a huit mois maintenant que le Maroc entrait de plain-pied dans une campagne électorale dont la caractéristique essentielle à l’époque est qu’elle allait changer son visage et, partant, finir par donner la victoire au PJD. Tous ceux et celles qui redoutaient ou souhaitaient « mezzo voce » son triomphe, et quelle que soit leur position, chacun à sa manière, en ont eu pour leur grade.
Voilà donc 8 mois que la coalition gouvernementale, à dominante islamique, a maintenu la « relève » à la tête du pays. Hétéroclite de par sa composition – car elle regroupe côte à côte les islamistes, la droite traditionnelle en mal de reconversion et une partie la gauche fourvoyée. Elle reste solidaire par principe. Or, de l’unité organique, elle n’a que l’apparence, tant il est vrai que le vent de la discordance la menace à tout moment. Et l’affaire d’al-Hoceima nous en offre l’illustration, parce que le PJD est sous l’effet d’un stress et d’une secousse tellurique .
A telle enseigne, et ce n’est pas nouveau, que le chef du gouvernement est enclin de rappeler régulièrement les uns et les autres à l’ordre et à réaffirmer à tout bout de champ la sacro sainte règle de la « discipline gouvernementale ». Après s’être accommodée des tirs croisés qui, tout au long de ces huit mois, ont fait le miel d’une aguichante actualité concernant la légitimité de Saad Eddine El Othmani , des divers procès en sorcellerie et de la vindicte interne au parti islamique, la classe politique semble se prêter à présent à un réalisme de bon aloi. Parti sur le feu de l’action, le PJD a bien entendu revendiqué le « droit d’inventaire » des majorités gouvernementales qui l’ont précédé. Il en a même fait un mode d’emploi, jouant tour à tour l’imprécation et l’effet de manche.
Il aura, en tout cas, réussi à alimenter les manchettes de certains organes de presse et les nombreux sites de journaux électroniques. Cela dit, rien non plus ne peut l’exonérer au « devoir d’inventaire » que l’opposition ou l’opinion pourraient lui réclamer. Notamment sur la crise du Rif dont l’ancien chef de gouvernement , Abdelilah Benkirane porte également le chapeau et sur laquelle, sauf mauvaise foi, il ne peut se défausser. La crise du Rif a ensemencé le pourrissement pendant 8 mois pour cause de crise gouvernementale.
Le Maroc , dont l’histoire trempe dans la durée des énergies , des éternels défis et d’une longue quête unitaire, ne change pas pour si peu. Tant s’en faut. Pourtant, excepté l’irréductible attachement à la Monarchie et le dogme de l’intégrité territoriale, l’unanimité n’a jamais constitué sa règle essentielle, mais plutôt l’exception. ! On n’a cessé tout au long des longs mois qui ont précédé les élections de septembre 2007 , remportées par le parti de l’Istiqlal et celles de novembre 2011 par le PJD, comme enfin de celles d’octobre 2016 de nous rebattre les oreilles sur le salutaire changement d’équipe, de gestion voire d’hommes, porteurs de renouveau et réformateurs !
Si tant est que l’on puisse faire preuve d’optimisme béat, non seulement le progrès a été très lent et n’est pas encore au rendez-vous, mais les engagements pris publiquement pendant la campagne électorale semblent être renvoyés aux calendes grecques. Et le Roi Mohammed VI, dans le Discours du Trône du 29 juillet 2017, ne s’est pas fait faute de faire le procès adéquat aux partis politiques qui n’ont de cesse de nous berner.
Demain sera meilleur…Pour l’instant, contentons-nous des proses et monologues éblouissants. Le gouvernement, composé de 6 formations, ne veut pas porter la totale responsabilité de ce glissement vers l’autosatisfaction triomphaliste, pire que le contentement…Une certaine opposition – incarnée par le seul PAM et une multitude d’autres petites formations – ne semble guère en état d’assumer son rôle. Là aussi, la béance meuble les comportements et plombe les initiatives. Quant aux petites formations, y compris celles qui par chance se prévalent de justifier le fameux seuil des 5% au parlement, autant leur nombre et leur faiblesse faussent irrémédiablement le jeu des cohérences politiques, autant ils sont réduits à une peau de chagrin.
Beaucoup d’entre eux croient jouer la « force du centre » capable de déterminer les alliances comme dans un puzzle. Mais c’est un jeu à somme nulle. Ils sont le « centre ontologique », parce que devenus tout simplement petites sommes d’appoint. Parce que le PJD a arraché 27,8% des suffrages le 25 novembre 2011 et 7 octobre 2016 quelque 27,88 % et 125 sièges. Ses supporters, outre crier victoire sur un ton de revanche, ont cru aussi par la même occasion et non sans une certaine arrogance, sonner un peu trop vite le glas de tout ce qui s’apparentait à leur antinomie !
Populisme et méconnaissance
En septembre 2007, avec un taux d’abstention aggravé et choquant, le parti de l’Istiqlal avait obtenu 10,7% des voix, deux points en moins que le PJD…Il avait pourtant été choisi pour former le gouvernement. L’un et l’autre des deux partis, tour à tour chouchoutés par les électeurs en cinq ans d’intervalle, ne se sont pas fait faute de claironner leur volonté de « recomposer le paysage politique et de partir à l’assaut de la corruption » ! L’Istiqlal a déchanté au bout de cinq ans, après avoir plongé et épuisé le pays dans l’immobilisme qu’incarnait un certain Abbès El Fassi, ci-devant secrétaire général au mol consensus. Mais Premier ministre alors dévoré par la rage d’accéder au « maroquin » de la Présidence du Conseil – comme nous disait Mohamed M’Jid, impitoyable contempteur de la scène politique.
Le PJD a triomphé en novembre 2011, il s’était évertué à transformer sa victoire électorale en « révolution politique », l’arrogance aidant de ses partisans voire leur mépris érigé en mode de penser et de gouverner. Mais cinq ans de mauvaise gestion, de populisme et de méconnaissance des réalités du monde en ont fait une petite bouchée. Nous n’avons pas fini de digérer la grave régression dans laquelle le Maroc a été plongé depuis.
Benkirane en est encore à l’amer désenchantement annoncé, avant de passer au cycle du purgatoire, sur fond d’une colère amplifiée par des revendications sociales exacerbées et des grèves qui inclinent le gouvernement à réagir, qui font aussi le lit de la politique des promesses et des belles intentions. Son arrivée au pouvoir en janvier 2012 dernier n’avait-elle pas laissé d’abord croire à une contre tendance ?