Le dérapage de Nabil Benabdellah ou l’interrogation de pour qui il roule
Nabil Benabdellah , pour qui roule-t-il en fin de compte ? Pour son parti, le Parti du Progrès et du socialisme (PPS) dont il a repris les rênes après le départ de Moulay Ismail Alaoui, le 31 mai 2010 ? Pour le Parti de la Justice et du développement (PJD) auquel, sans complexe, il s’est allié comme quatrième formation de la coalition gouvernementale en décembre 2011 ? Pour sa personne, en désarroi parce que sa survie politique dépend cruellement du PJD et de Abdelilah Benkirane ?
L’interrogation, si elle n’est pas nouvelle, prend aujourd’hui une dimension ontologique. Elle s’aggrave de surcroît suite au communiqué que le Cabinet Royal, réagissant à ses dérapages ahurissants, a rendu publique mardi soir pour tancer un tonitruant secrétaire général du PPS dans un langage de fermeté inédit jusque là parce qu’il ne fait pas la part des choses, se noie dans les logomachies et cède à l’amalgame ! Ce n’est pas par hasard que ledit communiqué condamne des propos « irresponsables (…) outil de diversion politique en période électorale, qui requiert de s’abstenir de lancer des déclarations non fondées »…
Nabil Benabdellah a cru se disculper en croyant avancer que « sa formation politique n’a pas de problème avec le parti Authenticité et Modernité (PAM), mais avec la personne qui se trouve derrière ce parti, précisant que la personne sous entendue est le fondateur de ce parti qui incarne l’autoritarisme ». La malhonnêteté caractérisée de ce propos est de s’efforcer de faire un distinguo machiavélique entre le parti qu’il entend neutraliser avec un air de rien, et ses fondateurs, en fait celui qu’il persiste à décrire comme le fondateur qu’il n’a jamais cessé de critiquer, ne porte pas dans son cœur…Et pourtant, pourtant que ne dirait l’Histoire un jour sur ce qu’il lui doit…
Nabil Benabdellah voudrait-il s’attirer les foudres du Palais qu’il ne s’en serait pas pris autrement. Et la question n’est pas tant de savoir si oui ou non il déverse sa hargne contre le PAM et Fouad Ali El Himma, que de comprendre ses motivations qui relèvent du caractère personnalisé et de cette volonté de se faire le porte-parole des islamistes… Qu’il démente ses propos sur le PAM et ses fondateurs, prêtés par l’hebdomadaire « Al Ayyam » peu importe à vrai dire. Son hostilité à leur égard ne s’est jamais démentie et, jusqu’à il n’y a pas longtemps encore il s’est déchaîné, notamment dans une réunion de Sciences Pô, dans des propos désobligeants contre le PAM que, d’ailleurs, certains titres de presse dont Tel Quel se sont fait l’écho.
Défenseur du PJD plus que de raison, héraut d’une croisade contre ses fondateurs et, plus particulièrement contre le Conseiller de Sa Majesté le Roi, Fouad Ali El Himma, qui s’est pourtant retiré de la scène politique depuis plus de cinq ans ? Nabil Benabdellah est-il tout ça à la fois et, en même temps, est-il cet outsider qui n’a eu de cesse de se distinguer dans la mêlée à la fois par son positionnement tactique, politisé à outrance par une communication bien orchestrée, et depuis quelques temps par un langage et des déclarations ciblés ? La déclaration accordée à l’hebdomadaire Al Ayyam n’est-elle pas un affront de plus, contre l’éthique et la bienséance, n’est-elle pas une violation de la ligne rouge au-delà de laquelle un responsable politique, membre du gouvernement, ne peut aller sous peine de remontrance ?
On s’est étonné un certain jour de décembre 2011 lorsque le secrétaire général du PPS, abandonnant allégrement ses convictions, ses vertus socialistes et ses amis de gauche de la Koutla, ait cédé au mirage de la cohabitation avec un parti islamique. Sans scrupules, ni état d’âme…Réalisme oblige ? Opportunisme, à coup sûr. Mais aussi contradiction grave avec les principes fondateurs du marxisme-léninisme qui constituaient le socle du parti crée il y a 70 ans par un groupe de militants nationalistes, avec à leur tête feu Ali Yata. Ce dernier se retournerait dans sa tombe, en apprenant que l’actuel secrétaire général du parti qu’il avait fondé, deuxième successeur – compromis dans un pacte diabolique – se fait non seulement l’allié mais le zélateur des islamistes et de leur idéologie fascisante.
Pour qui roule Nabil Benabdellah qui, dans ses vertueuses proclamations d’opportuniste, n’avait de cesse ces derniers mois de se faire l’avocat « pro domo » de l’allié inconditionnel du PJD ? Et qui n’a cessé de crier sa fidélité à Abdelilah Benkirane, au sein ou hors du gouvernement, reprenant à son compte la vieille rengaine et les litanies de son « alter ego » du PJD, prévenant lui aussi les électeurs que si l’alliance avec les islamistes venaient à perdre le scrutin du 7 octobre, ce serait parce que celui-ci, bien évidemment, porterait la marque des irrégularités… Autrement dit, on gagne parce que c’est nous PJD et PPS, on perd parce que les forces du pouvoir, Attahakoum comme ils disent, aurait déployé sa main noire….
Le concept Attahakoum , inventé de toutes pièces et soufflé à la presse alliée du PJD qui en fait ses choux gras, est venu enrichir un vocabulaire populiste usé jusqu’à la corde. En 2011, à la veille des législatives, nous avions droit au thème mobilisateur mais monopolisé de « lutte anti-corruption » ( al-fassad)…Cinq ans se sont passés depuis sa proclamation à tout va, et le résultat est le même : le PJD, auquel Nabil Benabdellah a lié son sort et envers lequel il voue un attachement viscéral, n’a pas plus réussi à éradiquer la corruption qu’il n’a réalisé le dixième des réformes annoncées…
Sentant à coup sûr un possible retour du pendule, Nabil Benabdallah qui se fait le chantre du déni a tenté encore une fois de discréditer et le PAM et ses fondateurs, faisant de Fouad Ali El Himma le bouc émissaire facile, reprenant à son propre compte la rhétorique des islamistes. Il a oublié le discours solennel que Sa Majesté le Roi a prononcé le 30 juillet dernier, à l’occasion du 17ème anniversaire de la Fête du Trône, où il a précisé avec force qu’il n’est le « partisan » que du Maroc et d’aucun parti, qu’il s’élève au-dessus de la mêlée. De la même manière que ses collaborateurs, conseillers proches et autres auxquels est requise une obligation de réserve scrupuleuse.
Le secrétaire général du PPS « se trouve aujourd’hui, comme nous l’a affirmé un des membres du PPS, dans une logique de survie. Il lui est difficile d’en payer le prix…Sa déclaration à propos du Conseiller de Sa Majesté le Roi est de trop… Mais on ne tire pas sur l’ambulance». Le propos est pour ainsi dire sans nuance, cruel même, il traduit toutefois le sentiment – ou le ressentiment – d’un certain nombre de militants désemparés par les virages rocambolesques et la mainmise, un véritable attahakoum du secrétaire général sur le parti
Il reste que sa déclaration est inconséquente, irresponsable et opportuniste. C’est peu dire que le Cabinet Royal, prompt à rétablir la vérité et, soucieux d’une communication transparente, a décidé de réagir : « Les Conseillers de S.M. le Roi , affirme-t-il, n’agissent que dans le cadre de leurs fonctions, en suivant les hautes instructions précises et directes qui leur sont données par Sa Majesté le Roi, que Dieu L’assiste ».
Il est cependant une précision de taille que le communiqué du Cabinet Royal met en exergue avec quelques trois lignes dont la portée n’échappera à personne et qui en disent long sur l’attachement du Palais et des équipes à l’œuvre autour de Sa Majesté le Roi au devoir de mémoire patriotique : « Il est à noter que cette affaire ne concerne que la personne ayant fait ces déclarations et elle n’a aucun rapport avec le PPS, parti reconnu pour son rôle historique de militantisme et sa contribution constructive au processus politique et institutionnel national… ».