Diplomatie : Ainsi parla Joe Biden
Par Ahmed FAOUZI
Le 20 janvier 2021 Joe Biden prêtera serment et sera ainsi le 46e président des Etats-Unis. A 77 ans il est le plus âgé d’entre eux, avec une carrière politique commencée à l’âge de 29 ans comme sénateur de Delaware et puis comme vice-président de l’ère Obama. Il était le plus jeune élu, et on lui prédisait, à l’époque, une vie politique longue et riche. Fervent catholique, il est passé par des épreuves familiales difficiles dont la perte d’abord de son fils, puis de sa femme et de sa fille dans un accident de voiture.
Homme de caractère, il prête serment à l’hôpital en tant que sénateur. Il se présente par la suite, et à deux reprises, aux élections des démocrates pour briguer la présidence mais sans succès. Barak Obama, élu en 2009, le nomme vice-président durant ses deux mandats. Il lui en garde une grande reconnaissance et une profonde amitié. L’homme est combatif, sérieux et serviable selon ses proches. Lui, aime par contre bien se rappeler le conseil de son père, vendeur de voiture : « Il faut que le client parte content… mais avec la voiture ».
Jamais un président américain élu n’a pris une telle revanche contre son prédécesseur que Biden à l’encontre de Donald Trump. Nationaliste, il a été critique contre ce dernier qui a bradé, selon lui, le prestige de l’Amérique aux yeux du monde. Tout les sépare, lui est issu d’une famille modeste alors que l’autre est milliardaire. L’un est proche des minorités et l’autre s’affiche avec les racialistes. Quand l’un est tourné uniquement sur la nation, l’autre part de la nation pour s’ouvrir plus sur l’extérieur. Tout en fait les oppose.
Biden, très critique à l’égard de Trump
Il l’a toujours été depuis que ce dernier a pris la relève de Barak Obama. Il pense qu’il a dilapidé les atouts des États-Unis dans des actions aussi bien inutiles que farfelues avec des conséquences néfastes sur le pays. Ses critiques visent aussi bien la politique intérieure que l’action extérieure. Il lui reproche d’avoir renoncé au leadership américain dans le monde en s’éloignant des valeurs démocratiques qui ont constitué la force qui a unifié le pays, et le socle sur lequel s’est basé le modèle américain. Pour lui, Trump a déconstruit rapidement ce qui a été patiemment construit pendant des années.
Dans sa gestion du pays en tant que président, Biden compte adopter une politique à l’opposé de ce qu’a fait Trump durant les quatre dernières années. Aucune action de Trump ne trouve donc grâce à ses yeux. Il faudrait réparer les dommages de l’ancien chef d’Etat “pièce par pièce”, ce qui ne sera pas une tâche facile, a-t-il avoué une fois. Son administration voudrait sur le plan intérieur reconstituer la confiance du peuple dans ses institutions, et sur le plan extérieur mobiliser les pays alliés pour défendre la démocratie et le monde libre. Ce sont là les deux axes majeurs pour surmonter les défis à venir.
Au niveau domestique, Biden a développé des stratégies qui visent à améliorer les conditions de vie des classes défavorisées, et renforcer le poids de la classe moyenne au sein de la société. Il compte à ce propos initier des programmes qui visent l’emploi, la santé et l’éducation pour tous. Chaque Américain aura sa place dans ce dispositif, indépendamment de sa race, de sa religion, de son sexe, ou de la couleur de sa peau.
Les réformes qui seront menées à l’intérieur du pays, permettront, selon Biden, de mener une politique extérieure conséquente. L’action à l’international n’est là que pour renforcer la prospérité et les intérêts américains d’abord, et ceux du monde libre ensuite. C’est-à-dire tous ceux qui partagent les valeurs démocratiques, à l’exception des autres, souvent ouvertement nommés par Biden, à savoir : la Russie, la Chine, la Corée du Nord, et l’Iran pour ne citer que ceux-là.
Mais toute action extérieure des États-Unis doit, selon Biden, se décider avec les alliés et les pays amis qui ont en partage les mêmes valeurs libérales et démocratiques que l’Amérique. Biden a rappelé, durant sa campagne électorale, que son pays représente à lui seul le quart de la richesse mondiale et qu’avec ses alliés ils représentent la moitié de cette richesse. C’est donc pour lui un levier important pour définir, pour longtemps encore, les règles de l’environnement économique, commercial et technologique qui reflètent les valeurs des pays démocratiques.
La mobilisation des alliés autour du leadership américain aura comme objectif d’instaurer une action collective contre les menaces actuelles et celles à venir. Biden pense que durant les administrations démocrates comme républicaines, l’intérêt des Etats-Unis, c’est-à-dire la sécurité collective et la prospérité, a été bien défendu jusqu’à l’arrivée de Donald Trump. Si la politique de ce dernier devait continuer, selon les présomptions de Biden, soit une autre puissance prendra la place de l’Amérique, mais pas dans le sens qui va protéger ses intérêts et ses valeurs, ou alors aucune puissance ne le fera et ce serait le chaos.
De « America first » à « America alone »
Dès le premier jour de son investiture Biden compte agir en conséquence sur les grandes questions qu’il a abordées durant sa campagne électorale. Le premier pas serait de réintégrer l’accord de Paris sur le climat et de travailler avec la communauté internationale pour réduire les émissions carbones. La lutte contre le coronavirus est aussi une priorité pour lui. Il compte établir une coalition pour venir à bout de cette pandémie internationale.
Biden voudrait également réintégrer l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), et l’accord sur le nucléaire iranien pour réduire la prolifération des armes atomiques. Il compte reprendre la place qui revient à son pays pour restaurer la puissance des Etats-Unis d’autrefois et finir avec l’approche isolationniste. Cette politique devrait mener vers une meilleure coordination avec les alliés pour venir à bout des problèmes et défis qui menacent l’humanité.
L’adage « America first », que Trump aimait répéter n’est pour Biden que « America alone ». Trump a isolé dangereusement le pays, réduit son influence et son prestige et Biden a l’intention de se réapproprier le rôle et le prestige d’antan de son pays face à une Chine toute menaçante. Pour ce faire, il appellera à un premier sommet mondial sur la démocratie dès la première année de sa présidence de façon à arrêter un agenda international commun qui vise à promouvoir et protéger les droits humains et lutter contre toutes les formes d’autoritarisme dans le monde.
Sur les autres dossiers de politique internationale, l’administration Biden tentera de garder le statu quo concernant les conflits de Moyen-Orient. Il ne reviendra probablement pas sur la décision de reconnaître la souveraineté marocaine sur ses provinces du Sud ou sur Jérusalem comme capitale unifiée d’Israël pour ne pas mécontenter la communauté juive américaine. Cependant, tout indique qu’il restera toujours favorable à une solution de paix basée sur deux Etats.
Quant aux relations avec la Chine, Biden juge l’approche de Trump erratique face à la montée vertigineuse de l’économie de ce pays. Lui, il compte par contre adopter des actions unifiées avec ses alliés pour instaurer un front commun pour faire adhérer Pékin à un système mondial mieux régi et plus contrôlé au profit de tous. Quant à la Russie, elle demeure, aux yeux de Biden, l’ennemi de toujours. Il s’opposera à toutes les interventions de Moscou dans les affaires américaines comme dans d’autres pays alliés. De même, il souhaiterait trouver avec la Russie des arrangements pour la réduction des armements nucléaires.
Quant aux autres conflits, Biden a également une vision claire en la matière. En Afghanistan, il est pour la réduction des troupes américaines et encourage les afghans à trouver une sortie à la crise. Au Yémen, il n’est pas pour l’intervention militaire de l’Arabie saoudite et voudrait que les droits de l’Homme y soient respectés. En Corée du Nord, il a été très critique vis-à-vis de Trump qui voulait benoîtement établir des relations amicales avec le dictateur Kim Jung Un, sans obtenir d’abord l’annulation de ses essais nucléaires.
Sur ces questions, et sur bien d’autres, Biden espère que sa diplomatie renouera avec l’aura du temps d’Obama, quand elle a pu faire aboutir l’accord sur le climat, une sortie à la crise avec l’Iran, ou l’éradication de la maladie Ébola. Mais il le sait, les temps ont changé et la réadaptation sera difficile. Le monde n’est plus celui de l’après-guerre et les stratégies du passé ne correspondent plus au monde moderne. Pur produit du siècle dernier où régnait la guerre froide, Biden aura des difficultés à sortir d’un schéma traditionnel où les Etats-Unis étaient le leader du monde. Il lui faut désormais composer avec d’autres puissances qui, eux aussi, ont leur mot à dire et certaines contestent déjà ce « new american imperialism ».
L’autre réalité dont il faudrait qu’il prenne en compte est économique. Les États-Unis sont très endettés et il est temps de faire des choix pour réduire ses dépenses à l’étranger ainsi que le coût excessif de ses armements pour investir dans les infrastructures et la recherche/développement s’il veut réellement faire face à la Chine. Choix cornélien s’il en est, et qui sera difficilement atteignable sans le soutien du Congrès. Mais la Chine, à travers son économie dynamique et compétitive, a déjà mis la main sur une grande partie de l’économie mondiale. Elle est poussée en cela par un système politique qui, contrairement à l’américain, n’est pas obligé de se renouveler chaque quatre ans, et a le temps long pour imposer sa stratégie.
*Ancien ambassadeur, chercheur en Relations internationales, docteur en Coopération internationale et développement de l’Université Paris VII Jussieu et de la Sorbonne Paris I