Maroc-Chine : Vers un partenariat stratégique ?
Par Farida Moha
Le président du Comité Permanent de l’Assemblée populaire Nationale de la République de Chine Zhao Leji était en visite les 12 et 13 Mai au Maroc. La question de l’élargissement et du renforcement du partenariat maroco- chinois était au cœur des entretiens menés successivement avec le Chef du gouvernement, le ministre des affaires étrangères, le président du parlement et le ministre en charge de l’investissement et d’autres hauts responsables politiques et économiques . Une visite marquante qui traduit la volonté du Royaume de renforcer la diversité de ses relations stratégiques intercontinentales et son partenariat avec la Chine.
« One Belt One road » une vision à l’échelle du monde . Au début était le projet lancé en 2013 « One Belt, One Road », dit OBOR ou « Belt and Road Initiative » (BRI), qui vise ainsi à faire renaître la ceinture « Belt » terrestre et route « Road » maritime reliant la Chine à l’Europe et à l’Afrique, à travers l’Asie centrale, le Caucase, les Balkans et le Moyen-Orient mais également la Chine à l’Europe ; ainsi qu’à travers les « quatre mers » : mer de Chine ; Océan indien-mer Rouge ; mer Caspienne ; mer Noire- Méditerranée d’où l’importance des ports. Pour ce projet la Chine s’engage à investir 1000 milliards de dollars en infrastructures d’ici 2049 qui correspondent au centenaire de la création de la République Populaire de Chine, tout au long de six corridors traversant 68 pays représentants 1/3 du PIB mondial et rassemblant 60% de la population mondiale.
Malgré la nouvelle donne créée par la guerre d’Ukraine, mais grâce à la nouvelle dynamique de la politique étrangère chinoise, le chantier de la route maritime de la Soie devrait intensifier le commerce depuis les principaux ports chinois de l’Asie jusqu’à l’Europe. Il relierait les ports européens, via la Méditerranée, le canal de Suez et l’Océan Indien, à Shanghai. En matière de transport et de logistique, les Chinois contrôlent déjà 10% de la capacité des terminaux portuaires européens avec le port du Pirée en Grèce, avec la reprise de Noatum Port en Espagne, qui permet à des groupes chinois de contrôler les terminaux pour conteneurs de Valence et de Bilbao, et des ports de l’arrière-pays Madrid et Saragosse. En France, Marseille, à travers son port ne cache pas son ambition d’en devenir une étape importante. Le Président Macron a inauguré du reste, vendredi 11 mai dernier, une usine de batteries à Dunkerque, fruit d’un partenariat franco- chinois.
La Chine est d’autre part, en moins de deux décennies, devenue le premier partenaire économique de l’Afrique, avec trois pays aux avant-postes, Kenya, Ethiopie et Djibouti où Les ports, les voies ferrées et les routes sont largement financés par la Chine. Plus de la moitié des investissements prévus par la Chine dans le cadre de cette « nouvelle Route de la soie » devraient aller à l’Afrique. Ce sont surtout les installations portuaires qui sont concernées, les ports correspondant à cette « ceinture » évoquée par Pékin. Ce sont aussi 90 % des importations et des exportations africaines qui passent par la mer, c’est dire l’intérêt porté par Pékin pour les ports. Durban en Afrique du Sud et Port-Saïd en Egypte étant les deux importants ports de conteneurs du continent africain, il était indispensable pour Pékin de préconiser d’autres portes d’entrée en Afrique de l’Ouest et du Nord pour réaliser les nombreux projets dans les domaines de l’énergie et des infrastructures notamment. D’où l’intérêt porté à Tanger Med, troisième port mondial en terme de connectivité après Shanghai et Panama.
Un chantier où la diplomatie chinoise joue sur du velours. Avec le projet de connectivité maritime, terrestre, digital, projet globalisé, la Chine, grande puissance financière, technologique et économique est le seul pays au monde en effet, qui possède une vision d’ici à 2050. Une vision supportée aujourd’hui par la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, du fonds pour la Route de la soie ou de la nouvelle banque de développement fondée par les pays-membres des BRICS -Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud.
Quid du Royaume du Maroc ?
Depuis deux décennies, le Maroc où l’on compte quatre instituts Confucius, a largement libéralisé et diversifié son économie en multipliant les accords de libre-échange et en procédant à de multiples réformes pour améliorer l’environnement des affaires. L’accord commercial et économique signé entre le Maroc et la Chine en septembre 1995 est entré en vigueur en 1999. Il sera enrichi de plusieurs conventions mais c’est la visite officielle à Pékin du Roi Mohammed VI en Mai 2016 qui permet de passer d’un accord commercial à un accord stratégique. Quinze conventions ont été signées entre des groupes marocains et chinois, lors de cette visite. Plusieurs secteurs sont concernés avec la création de parcs industriels et d’unités similaires pour la fabrication de pièces automobiles et aéronautiques. Le groupe Bank of Africa, sera la première banque marocaine à ouvrir un bureau de représentation en Chine en 2000, l’ambition étant de créer au Maroc un parc industriel sino-marocain et un fonds d’investissement sino-marocain. Les secteurs ciblés par ce fonds sont : l’aéronautique, la finance, les parcs industriels et les infrastructures. Les deux partenaires s’étaient engagés à lancer une société de gestion de fonds et à renforcer leur partenariat dans les domaines de l’assurance-vie en Chine et du leasing d’avions.
Des projets ralentis néanmoins par la pandémie du Covid 19 mais jamais abandonnés. Une batterie de projets avaient donc été lancés avec la création des unités de production industrielle de chauffe eaux solaires, de production de cellules et de panneaux solaires, d’unités de fabrication de bus, de projets de développement de zones logistiques en Afrique, pour la fabrication de pièces de rechange, comme DIcastal à Kenitra, des industries ferroviaires, automobiles et aéronautiques et de Clevy China pour le développement d’une plateforme de e-commerce destinée à l’Afrique. Enfin, le China Africa Development Fund (CAD Fund) a signé deux conventions avec BMCE Bank of Africa et Attijariwafa Bank portant sur le financement de projets de développement en Afrique et l’investissement sur le marché de la dette
Un partenariat stratégique avec l’Afrique mais à quel prix ?
« L’avenir sera sûrement fait d’une approche triangulaire, même si chacun des acteurs ne pèse pas le même poids », analyse Fathallah Ouallalou, auteur de l’essai « La Chine et nous ». Les projets recensés, dans le cadre de la route de la soie, concernent souvent le développement des infrastructures terrestres, maritimes et aériennes, ainsi que le développement du commerce et de l’investissement. Le Maroc en est encore loin, avec « seulement » une trentaine d’entreprises chinoises implantées sur son sol, opérant pour la majorité dans l’informatique et les télécommunications, comme c’est le cas de Huawei et de ZTE. Des chiffres qui devraient être boostés, à la faveur de l’intégration du Maroc dans la « nouvelle route de la soie » et de la ZLECAF .
Il reste cependant à construire un véritable partenariat afin d’éviter certaines dérives notamment au niveau de la dette et d’éviter de transformer ce partenariat en relation de fournisseur- client. Lors de la signature, le 17 novembre 2017 à Pékin, du Mémorandum d’entente relatif à l’initiative « One Belt, One Road » (Route de la soie) par le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, et son homologue chinois Wang Yi, ce dernier avait insisté sur « la grande importance que le Maroc attache au développement des relations bilatérales entre les deux pays », indiquant que le partenariat stratégique Maroc-Chine devrait franchir un nouveau palier dans les années à venir. De son côté Nasser Bourita avait déclaré que … « Le Mémorandum est un document de cadrage, un signal politique et l’indication d’une volonté de renforcer l’investissement. Cela ouvrira la voie aux investisseurs, secteur par secteur, pour identifier et mettre en œuvre les projets ».
Elever le niveau du partenariat, signe de bon augure
Dans la nouvelle donne internationale, ce souhait de construire un partenariat stratégique est plus que jamais d’actualité et la visite du président de l’Assemblée populaire qui a fait état de la détermination de son pays à élever à un nouveau niveau les relations bilatérales » est de bonne augure. Reste en revanche à construire des relations mutuellement bénéfiques en évitant les relations fournisseurs-client, ainsi que les dérives du surendettement. Rappelons en effet que la Chine est selon le FMI, le « principal créancier de l’Afrique et détient ainsi 70% de la dette publique bilatérale du Cameroun, 55% de la dette extérieure du Kenya et plus pour Djibouti… IL y a en fait une menace pour la soutenabilité de la dette africaine, le service de la dette ayant atteint un très haut niveau pour des pays comme le Ghana, la Zambie ou l’Ouganda , l’Angola, l’Éthiopie, la République du Congo ». Comme le soulignait le président rwandais, Paul Kagamé, lors de la World Policy Conférence, au Maroc, en octobre 2019 et en réponse à une question portant sur les concurrences des puissances des Etats-Unis, de l’Inde, de la Russie, du Brésil, de Turquie dans le continent, une véritable prise de conscience des Africains est nécessaire : « L’Afrique n’est le prix à gagner ou à perdre pour personne. Il est de notre responsabilité, en tant qu’Africains, de prendre en charge nos propres intérêts et de développer notre continent à son plein potentiel. En réalité, cela a toujours été la question principale. Nous avons attendu beaucoup trop longtemps, en fait, pendant des siècles. », avait conclu le Président rwandais.