Dossier du mois : Rétrospective
Dossier du mois
La montagne marocaine : un patrimoine en déliquescence …
Youssef Aït Lemkadem, Enseignant-chercheur, Président du Centre d’Orientation et de formation des Professionnels du Tourisme (COFPT, Midelt)
L’année 2016 n’a rien apporté à la montagne marocaine. Aucun grand projet national n’a été pensé pour que notre dizaine de millions de montagnards recouvrent pleinement leur dignité sur les plans socioculturel et économique. Aucun parti politique ne semble se préoccuper sérieusement de la situation dramatique des montagnes dont on puise quotidiennement des images sordides offrant un visage terne du Maroc, à travers les réseaux sociaux.
Spectateurs impassibles, nos gouvernements n’ont accordé que peu d’attention à la disparition annuelle de dizaines de milliers d’hectares de forêts, laissant ainsi le champ libre à la désertification rampante, à l’érosion qui scalpe un sol meurtri par tant d’agressions humaines et inexorablement à l’exode qui gonfle les bidonvilles. Le surpâturage destructeur du patrimoine floristique, l’écimage volontaire pour le fourrage, les coupes abusives, les incendies, le vol par abattage nocturne de cèdres centenaires, laissent sans voix tous les naturalistes de passage dans nos Atlas. Pour ne prendre que lui pour exemple, Michel Tarrier, un entomologiste de renom, spécialiste de la faune marocaine, n’a jamais trouvé d’oreille attentive à ses réquisitoires sur les massacres que subissent nos patrimoines floristique et faunistique. Cette dégradation avancée, serait-elle un contrecoup de la « makhzanisation » des domaines forestiers et des terres collectives qui étaient autrefois un bien géré par les tribus ?
Pour mesurer l’ampleur du regain du désert, nos politiciens auront-ils un jour le temps de feuilleter les traités descriptifs de nos forêts de jadis, dressés au début du 19ème siècle, par des explorateurs comme Charles de Foucauld, Brives et le Marquis de Segonzac ?
Devant l’absence d’une « Loi montagne » à l’instar de celle qui existe depuis fort longtemps en France, les tourismes vert et culturel sensés dynamiser la valorisation et la protection de la biodiversité et de la culture autochtone se heurtent aux réalités choquantes de la disparition accélérée des patrimoines locaux. De fait, nos guides restent perplexes et impuissants devant la tristesse qui accable les touristes sur des sites préhistoriques de plus de 140 millions d’années. Les conditions dans lesquelles se trouvent ces derniers, comme ceux des tumuli de la haute Moulouya, des traces des dinosaures de la vallée d’Ait Bouguemmaz, au haut Atlas, et d’Imouzzar Mermoucha dans le moyen Atlas, largement massacrés et toujours sans protection, révoltent même les visiteurs néophytes. Casbahs séculaires, sites hydrogéologiques et miniers grandioses subissent le même sort.
« Mais, que fait donc votre gouvernement ?», une question si chère à Jacques Gandini, auteur de plusieurs Guides du Maroc et d’un grand nombre d’écrits sur le patrimoine préhistorique des montagnes et du désert marocains. On comprend mieux les réactions de ces spécialistes lorsqu’on sait que des sites de plus de 5000 ans comme les gravures rupestres de Tazarine, celles de Tirghiste et d’ailleurs sont lamentablement livrés au pillage sous l’oeil et la bénédiction des pouvoirs locaux et du Ministère de la Culture. Le Maroc ne voudrait-il plus de sa préhistoire ?
En janvier 2016 à Marrakech, lors de sa seconde assemblée générale, la Fédération Marocaine de l’Hôtellerie de Plein Air (FMHPA) a dressé un rapport alarmant sur ces patrimoines quotidiennement dévastés, spoliés, vendus alors qu’ils constituent nos seules richesses naturelles, symboliques et historiques. En dehors de leur plein investissement dans la politique du littoral, l’Office et le Ministère du Tourisme daigneront-ils, un jour, porter un regard rationnel sur cet autre Maroc des hauteurs ?
Actuellement sous les neiges hivernales, nos montagnards n’attendent rien de la nouvelle année. Leur adage le dit si bien : « Les années peuvent apporter la pluie mais seuls les Hommes apportent le bonheur ou le malheur de leur tribu ».