El Jadida, creuset des couleurs, des civilisations et des religions
Située à une centaine de kilomètres de Casablanca et à une vingtaine d’Azemmour, la ville d’El Jadida se dresse en sentinelle sur les bords de l’Atlantique où baignent ses tours. Fortifiée et édifiée par les Portugais au début du XVIe siècle sur les côtes du Maroc, sur une zone rocheuse qui ceinture une vaste plage sableuse, la cité, à l’aspect militaire, du haut de ses bastions en forme de feuilles de trèfle, affiche, ostentatoirement, l’empreinte d’une double culture, fruit d’un brassage maroco-européen. Passée pour être l’un des premiers établissements des explorateurs portugais sur la route vers l’Inde, puis escale préférée des navigateurs phéniciens, carthaginois et romains, elle a aussi été le nid douillet d’Italiens, de Français, de Maltais, d’Arméniens, d’Espagnols, d’Allemands et d’Anglais. De cette richesse du tissu humain composite, cette terre plurielle en est devenue un joyau architectural qui témoigne d’une pluralité somptueusement garnie.
Une ville à plusieurs histoires
Plusieurs versions ont été tissées autour du nom de la cité mais la plus plausible serait que « Mazagan » qui veut dire en amazigh « celle aux crinières » allait être baptisée El Jadida (la Neuve), une fois qu’elle sera reconstruite après sa démolition.
Raconter donc l’histoire de la ville de Mazagan, qui n’est reprise par le Royaume qu’en 1769, c’est entamer un voyage dans le temps et dans l’espace afin de reconstituer, ne serait-ce que quelques fragments d’un passé emblématique qui symbolise la diversité, le pluralisme et la cohabitation des religions et des cultures. C’est la ville aux allures martiales où on se laisse délibérément égarer dans les entrelacs de ses ruelles, entre les remparts de la forteresse et ses murailles imposantes aux mille et une histoires.
Aujourd’hui, les vestiges d’un passé qui s’érige face à l’Océan atlantique en témoignage d’une histoire riche, sont inscrits au patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco, le 30 juin 2004.
L’église Notre-Dame de l’Assomption avec sa charpente en bois, la mosquée de 1823, unique au Maroc par son minaret pentagonal, la synagogue Amiel jouxtant l’ancienne église espagnole transformée en hôtel, le phare de Sidi Bouafi construit en 1914 par des prisonniers allemands, le ksar el Bacha au style andalou, le château rouge auvergnat donnent une identité plurielle à la ville qui peut se targuer de son patrimoine architectural.
Cité portugaise en terre marocaine
Bien que considérée comme une ville portugaise en terre marocaine depuis 1486, les premières traces de l’existence portugaise sur ce sol remontent à fin 1502, lors de la découverte d’une petite tour abandonnée, en ruines, à laquelle on redonnera vie plus tard.
« Les Portugais (…) apprécièrent particulièrement le climat ainsi que les qualités nautiques de la grande baie où ils se trouvaient (…) et (ils) laissèrent à la tour douze hommes bien approvisionnés en armes et en vivres, ils retournèrent à Lisbonne, solliciter du Roi l’autorisation de construire un château fort en ce coin du Maroc », comme le rapporte Joseph Goulven, haut fonctionnaire du protectorat français dans la ville d’El Jadida- Mazagan (1917/1918).
Le site servira de quartier général et de point de rassemblement pour l’expédition qui devait conquérir Azemmour en 1513.
L’année suivante, les Portugais vont faire construire par les frères Francisco et Diégo de Arruda une citadelle en forme carrée avec des tours aux quatre coins de l’enceinte pour se prémunir et résister aux assauts répétitifs des armées marocaines. La nouvelle installation dépendait d’Azemmour et toutes deux de Safi, chef-lieu régional du monde portugais.
En 1542, Jean III évacue Safi et Azemmour pour aller s’installer à Mazagan où il se sentait plus en sécurité. La citadelle s’étend alors et les fortifications aussi. Le port y est créé et c’est ce qui avait facilité aux Portugais la conquête de Mazagan qu’ils occupent pendant 267 ans. Ce port est dédié aujourd’hui à la pêche tout le long des 150 km d’El Jadida, après avoir constitué, pendant longtemps, le mouillage le plus sûr de toute la côte atlantique.
La vie autour de la forteresse
Des fortifications défient le temps en survivant à la démolition partielle suite à l’abdication des Portugais en 1769. Et c’est vers 1815 que le nom « El Jadida » donné par le sultan Moulay Abderrahmane se substitue à El Brija devenue El Mahdouma puis Mazagao pour les Portugais et Mazagan pour les Français.
En 1769, un assaut dirigé par le sultan Mohammed Ben Abdallah aurait été fatal à la population chrétienne et l’occupation de Mazagan, la dernière des forteresses portugaises au Maroc, prend fin à la suite d’un traité de paix signé avec le sultan. Les Portugais pouvaient quitter la ville par la porte de la mer, le 10 mars. Toutefois, ceux-ci tuent les animaux et minent les bastions de l’entrée principale du fort qui ont explosé au moment où les Marocains forçaient la porte, faisant écrouler les murailles et provoquant des milliers de morts. Ce qui pousse le monarque à abandonner la ville démolie rebaptisée Al Mahdouma. La démolie ou la ruinée qui allait renaître de ses cendres.
Près d’un demi-siècle plus tard où la ville était abandonnée, Moulay Abderrahmane ordonnera, dans les années 1820, la restauration de l’ancienne cité et la reconstruction des quatre bastions des angles en plus d’une mosquée. Des Juifs d’Azemmour, des Européens et des paysans de Doukkala s’y installent et participent à l’essor de la ville qui commence à s’étendre en dehors des murs de l’ancienne cité. La ville neuve ! ressuscite mais sera rebaptisée Mazagan par les Français, pendant le protectorat. Les Juifs se poseront au sein de l’enceinte alors que Musulmans et Européens s’installeront tout autour du mellah.
Vers les années 1860, la construction de la route reliant El Jadida à Marrakech avait favorisé la croissance du port au détriment de celui d’Essaouira. D’ailleurs, en 1911 on comptait jusqu’à 462 navires immédiatement après l’occupation française et même 662 en 1923.
Le développement du port de Casablanca limitera celui d’El Jadida, marginalisant la ville qui avait connu une profonde crise. En 1978, une nouvelle ère commence pour elle grâce au site de Jorf Lasfar et à l’industrie des phosphates.
Aujourd’hui, les échanges maritimes positionnent la préfecture d’El Jadida au troisième rang national derrière Aïn Sebaâ (Casablanca) et Safi.
La citerne mythique
Au visiteur qui s’introduit dans ce lieu historique et mystérieux, la citerne d’eau ou le souterrain s’offre avec ses six nefs, ses vingt-cinq colonnes et son puits, unique ouverture par laquelle s’infiltre une lumière douce et une atmosphère tamisée qui inspire le bien-être du mysticisme et la magie du surnaturel. Construite sous le château fort, en 1514, par les Portugais, cette vaste salle a une histoire aussi riche que sibylline. Mazagan ayant vécu de longues périodes en état de siège des Arabes, cette salle d’armes portugaise, essentielle à la survie des habitants a été transformée en réserve d’eau de pluie. Quelque temps après, la ville est clôturée et fortifiée par d’épaisses murailles faisant du lieu une citadelle redoutable où les bastions étaient munis de plusieurs canons.
Et ce n’est pas pour rien que cette vaste ancienne salle d’armes de 1100 m² a charmé, par ses voûtes, des cinéastes comme Francis Ford Coppola ou encore Orson Welles pour y tourner quelques scènes de films.
Une nouvelle vie pour « Al Mahdouma »
Née du noyau de la cité portugaise, dans la seconde moitié du XIXe siècle, la ville, autrefois démolie, se refait une vie et devient El Jadida. Les Juifs y construisent leur synagogue avant que certains ne la quittent en 1950. Quelques années plus tard, une mosquée originale dans sa forme pentagonale vient s’ajouter au patrimoine. La cité est alors repeuplée par des Musulmans qui transforment un phare en minaret. La cité abrite ainsi les trois religions qui cohabitent dans le respect et la paix puisque des catholiques s’invitent dans la mosaïque humaine.
Aujourd’hui, Mazagan séduit les touristes par le phare Sidi Bouafi qui se dresse depuis près d’un siècle pour guider les marins à l’entrée du port. A l’Ouest de la ville, la petite commune de Moulay Abdellah doit sa renommée au moussem annuel où défilent les meilleurs cavaliers du Royaume.
Ville à mémoire plurielle, elle est riche de son patrimoine et ses traditions ancrées dans les lieux par diverses communautés qui se sont relayées
De nos jours, El Jadida s’est totalement modernisée et transformée. Elle reste très culturelle avec ses monuments, et aussi touristique avec sa magnifique plage et ses hôtels.