Élections du 7 octobre : Le seuil électoral entre la rationalisation du paysage partisan et la garantie de la représentativité et de la pluralité
A l’approche des élections législatives prévues pour le 7 octobre prochain, la scène politique est animée par un débat intense sur la forme du scrutin, notamment la fixation du seuil électoral, entre opposants qui considèrent que ce mode va à l’encontre du projet de rationalisation de la scène politique et partisans qui y voient une garantie à la représentativité de l’ensemble des composantes de la scène politique nationale à la Chambre des représentants.
Le seuil électoral est le nombre minimum de voix qu’un parti quelconque doit obtenir pour s’assurer une place à la Chambre des représentants. Quand un parti obtient un nombre de voix inférieur au seuil fixé par la loi, ses candidats sont automatiquement éliminés de la course aux sièges parlementaires, et les votes qu’ils ont obtenus dans leur circonscription électorale ne sont plus comptabilisés.
En effet, le deuxième paragraphe de l’article 84 de la loi organique N 20.16 relative à la Chambre des représentants stipule l’abaissement du seuil requis pour participer à l’opération de distribution de sièges au titre des circonscriptions électorales de 6% à 3%, et ce après que les élections de novembre 2011 s’étaient déroulées avec un seuil de 6%.
Afin de répondre aux demandes de révision du seuil électoral en vue de prendre en compte le plus grand nombre de candidats aux élections, le département du Chef du gouvernement avait entamé des consultations avec les dirigeants des partis représentés et non représentés au Parlement dans le but de converger vers une formule au sujet d’un seuil électoral à même de répondre aux aspirations des partis.
Ces débats ont été marqués par des échanges vifs avec, d’un côté, les grands partis au sein du Parlement, notamment le Parti de la Justice et du Développement (PJD) et de l’Istiqlal, qui étaient en faveur du maintien du seuil électoral à 6% pour préserver la cohésion du paysage politique et éviter son éparpillement entre de multiples partis, tandis que, de leur côté, les autres partis désiraient réduire ou supprimer définitivement ce seuil, expliquant qu’il représentait un obstacle à la représentativité de toutes les tendances politiques au Parlement.
Face à cette situation, le ministère de l’Intérieur a présenté un amendement portant sur la réduction du seuil électoral de 6% à 3% dans une démarche visant à contenir la division politique résultant de ce débat, ce qui a suscité des réactions diverses auprès des partis politiques.
Le ministère avait justifié l’abaissement du seuil électoral par le besoin de garantir la représentativité des différentes composantes du champ politique au sein de la Chambre des représentants, estimant qu’un seuil à 3% assurerait l’inclusion de divers courants politiques à l’intérieur du Parlement.
A cet égard, le PJD, qui dirige la coalition gouvernementale, s’est aligné aux côtés des partis politiques revendiquant l’abaissement du seuil électoral à 3%, après y avoir été farouchement opposé. Le parti estimait en effet que l’abaissement de ce seuil n’aurait qu’un impact minime sur le paysage politique actuel, d’autant plus que les partis ayant obtenu des sièges au Parlement avec un seuil de 6% n’auraient aucun mal à faire de même avec un seuil à 3%.
De son côté, le Parti du progrès et du socialisme (PPS) a salué l’abaissement du seuil électoral, plaidant en faveur d’un « seuil intégral » à même de garantir la pluralité politique et partisane et de permettre aux petits partis, de tous les courants, d’exister au sein de l’institution législative, de contribuer à la vie politique et de donner leur avis sur tous les sujets d’intérêt pour la société.
L’Istiqlal, quant à lui, a relevé que l’abaissement du seuil électoral n’aura aucun impact sur les intérêts du parti, notant qu’il avait proposé, dans le passé, de relever ce seuil à 10% afin de « contribuer à la cohésion du paysage politique, car son abaissement affecterait le gouvernement s’il est composé de plus de quatre partis ».
Pour sa part, l’Union socialiste des forces populaires (USFP) a appelé à réfléchir, à l’avenir, à l’annulation du seuil électoral pour développer le processus démocratique et le concept de représentativité, et ce faisant, assurer au plus grand nombre de partis, notamment de gauche, leur représentation au sein des institutions démocratiques et leur participation à la prise de décision.
Quant aux partis non représentés au Parlement, ils ont réitéré leur rejet du seuil électoral qu’ils considèrent comme un obstacle pour les forces politiques compétentes et naissantes, faisant part de leur détermination à poursuivre la lutte afin de garantir l’égalité des chances entre l’ensemble des partis politiques.
Pour les politiques et les juristes, l’abaissement du seuil électoral à 3% atténuera la domination des grands partis sur le paysage politique actuel, et ouvrira la voie devant d’autres partis pour participer à la formation parlementaire, notamment les petits partis, réalisant de ce fait une adhésion plus large de la société à la vie politique.
La réduction du seuil électoral à 3% est une mesure positive qui ouvrira la voie à la diversification du paysage politique et à la garantie d’une représentativité minimale aux petits ou moyens partis « qui sont demeurés absents pendant des années de la scène politique nationale à cause d’un seuil électoral trop élevé », a affirmé dans une déclaration à la MAP le professeur de Droit constitutionnel à l’Université Mohammed 1er d’Oujda, Ben Younes El Marzouki.
M. Marzouki a relevé que la fixation de ce seuil à 3% permettra à ce type de partis d’apparaître sur la scène politique, notant que la lecture des résultats des scrutins de 2011 et de 2007 démontre qu’il n’y a pas de différence majeur dans les résultats entre un seuil de 6 ou de 3%.
S’agissant des prochaines échéances électorales, il a fait savoir que les grandes circonscriptions où les partis se disputent 5 ou 6 sièges seront les plus affectées par ce changement, contrairement aux petites circonscriptions de 2 à 4 sièges où il n’y aura que peu de surprises au niveau des partis arrivant en tête des suffrages.
L’universitaire a de même fait observer que l’abaissement du seuil électoral n’allait en aucune manière « conduire à un éparpillement de la vie politique et à une balkanisation du paysage partisan marocain », expliquant que pour qu’une telle chose puisse se produire, il faudrait que toutes les circonscriptions électorales au niveau national soient composées d’au moins sièges.
Même son de cloche chez le professeur de sciences politiques de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech, Abderrahim El Alam, qui soutient que la conjoncture politique actuelle nécessite un abaissement du seuil électoral à 3% pour élargir le domaine de pratique politique et laisser le champ libre à de nouveaux intervenants des partis pour qu’ils puissent atteindre la Chambre des représentants, et ce dans le cadre de la transition démocratique qui caractérise la vie politique et qui requiert un minimum de convergence sur tout un éventail de sujets.
Dans une déclaration similaire, M. El Alam explique que l’abaissement du seuil électoral permettra de rationaliser le paysage partisan en assurant une large représentativité à tous les courants politiques, notant que « dans le cas du Maroc, il n’a pas été prouvé que le relèvement du seuil ait permis de développer la vie politique, bien au contraire, il n’a fait que conforter la présence d’un groupe de partis au sein de l’institution législative en l’absence d’autres partis ».
La conjoncture actuelle nécessite l’adoption d’un mode de scrutin proportionnel, a-t-il ajouté, et ce afin de garantir certains prérequis de la transition démocratique, comme l’augmentation du taux de participation politique, assurer la représentativité politique des femmes et l’élection d’une élite parlementaire capable d’élargir le débat public.
Si les partisans de l’augmentation du seuil électoral la perçoivent comme étant essentielle au maintien d’un gouvernement cohérent et de pôles partisans forts, ceux qui appellent à l’abaissement ou a l’annulation de ce seuil le considèrent comme un mécanisme démocratique qui octroie aux autres intervenants politiques la possibilité d’intégrer le Parlement selon la volonté des électeurs, le seuil électoral constituant ainsi un facteur déterminant dans le traçage de la prochaine carte politique.