Emploi: Une relance en trompe-l’œil ?
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L’année 2025 s’annonce comme un tournant majeur pour le marché de l’emploi au Maroc. Après des années d’espoirs déçus et de stratégies inefficaces, le gouvernement Akhannouch joue sa crédibilité sur sa capacité à redonner du souffle à une économie qui peine à offrir des opportunités aux jeunes. Chômage endémique, stagnation du secteur privé, vulnérabilité du secteur agricole et inadéquation entre formation et besoins du marché : les défis sont multiples et urgents. Alors que le gouvernement affiche une ambition de 4,7 % de croissance, cette projection reste fragile, suspendue aux incertitudes climatiques, aux investissements et à la diversification économique. 2025 sera l’année de toutes les attentes, mais aussi de toutes les tensions.
Depuis plusieurs années, les gouvernements successifs peinent à redresser la barre d’un marché du travail en crise. Malgré des promesses répétées, la réalité demeure amère : un taux de chômage des jeunes qui frôle les 40 %, une croissance qui ne génère pas assez d’emplois et des réformes qui tardent à produire leurs effets. Faut-il rappeler que le Maroc affiche en moyenne 2 à 3 % de croissance économique par an ces dernières années ? Une progression trop lente pour répondre à la pression démographique. Chaque année, entre 300.000 et 400.000 jeunes se lancent sur le marché du travail, mais chaque point de croissance économique ne génère que 16.000 emplois, bien en deçà des besoins du pays. L’économie marocaine, encore trop dépendante de secteurs vulnérables, peine à absorber cette main-d’œuvre et à lui offrir des perspectives à long terme.
Une partie de l’explication réside dans les secteurs d’activité eux-mêmes. En effet, le secteur agricole, historiquement pilier de l’économie nationale, traverse une période de profonde instabilité. En 2024, près de 297.000 emplois ont été supprimés, conséquence directe de la sécheresse prolongée qui frappe le pays. Cette hémorragie met en lumière une faille structurelle majeure : le Maroc n’a pas encore su moderniser son agriculture pour la rendre plus résiliente face aux aléas climatiques. Tant que la question de l’eau et de l’irrigation restera non résolue, le secteur agricole continuera d’être un facteur d’instabilité plutôt qu’un levier d’emploi. Et la question de la gestion de l’eau, comme le prévoit le plan stratégique de 2027, reste un enjeu majeur pour stabiliser ce secteur.
L’industrie, qui devrait être un moteur de croissance, peine également à suivre. Malgré des avancées dans l’automobile et l’aéronautique, le secteur ne crée pas assez d’emplois qualifiés pour absorber la vague de jeunes diplômés. Le textile, l’artisanat et d’autres secteurs traditionnels souffrent de la concurrence étrangère et d’un manque de compétitivité. L’informel, quant à lui, continue d’absorber une part importante de la population active, mais souvent dans des conditions précaires, sans protection sociale ni stabilité. Cette situation soulève la question de la transformation du marché de l’emploi et de l’adéquation entre les formations dispensées et les exigences réelles des entreprises.
Des réformes insuffisantes : «Forsa» et «Awrach», entre espoir et désillusion
Face à cette réalité, le gouvernement a mis en place plusieurs initiatives pour tenter de dynamiser le marché de l’emploi. Les programmes «Forsa» et «Awrach», censés encourager l’entrepreneuriat et l’insertion professionnelle, ont montré leurs limites. «Forsa», qui finance et accompagne les jeunes entrepreneurs, a permis de soutenir certains projets, mais beaucoup peinent à survivre faute d’accompagnement efficace et d’accès aux marchés. Le programme manquant d’un suivi rigoureux, ne suffit pas à structurer un véritable tissu entrepreneurial capable d’absorber le chômage ni à inverser significativement la tendance du chômage, notamment dans les régions rurales ou moins développées.
De son côté, «Awrach», qui vise à intégrer des jeunes dans des projets de développement locaux, a eu des effets immédiats, mais sans réelle pérennité. Ce dispositif ne crée pas d’emplois stables et se rapproche plus d’un programme social que d’une véritable politique de relance de l’emploi.
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La réforme de l’ANAPEC (Agence Nationale de Promotion de l’Emploi et des Compétences), quant à elle, avec la suppression de la condition du diplôme pour l’accès aux contrats d’insertion, a permis à davantage de jeunes de bénéficier d’opportunités professionnelles. Mais ces contrats sont souvent précaires, mal rémunérés et n’offrent pas de perspectives de carrière. L’insertion professionnelle est donc plus quantitative que qualitative, aggravant le sentiment d’instabilité économique et sociale.
Le secteur privé : Une relance qui se fait attendre
Si le gouvernement cherche à redynamiser l’emploi, le secteur privé peine à jouer son rôle moteur. En 2023, les statistiques fournies par le HCP étaient sans appel : malgré une croissance de 2,8 %, 157.000 emplois nets ont été détruits, illustrant la fragilité du marché du travail marocain. Le secteur industriel reste trop peu développé et les PME peinent à se développer en raison d’une fiscalité contraignante et d’un accès limité aux financements. Le taux de chômage, qui atteint 13 % de la population active, atteint un niveau historiquement élevé, avec plus d’un million et demi de Marocains à la recherche d’un emploi.
Les investissements étrangers, qui pourraient être une bouée de sauvetage, sont encore insuffisants pour créer un réseau industriel dense et structurant. Le secteur des services, en revanche, enregistre de meilleures performances, notamment dans le commerce, mais ces emplois sont souvent concentrés géographiquement et ne permettent pas de réduire le chômage dans les régions les plus touchées.
Dans le milieu rural, la situation est encore plus critique. Certaines régions comme Guelmim-Oued Noun ou l’Oriental affichent des taux de chômage record, aggravés par une faible diversification économique. L’absence de grandes entreprises et d’infrastructures adaptées freine tout développement économique de ces zones, creusant encore plus les inégalités entre régions. Tandis que de nombreuses entreprises, en particulier dans le secteur informel, peinent à offrir des conditions de travail décentes, exacerbant le problème du sous-emploi et du travail non déclaré.
Le plan gouvernemental pour l’emploi, bien que doté d’une enveloppe de 14 milliards de dirhams, n’a pas suffi à combler ce vide. Le ministre de l’Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l’Emploi et des Compétences, Younes Sekkouri, a mis en avant plusieurs initiatives comme celle qui a longtemps duré : l’ANAPEC, un des programmes de formation par alternance, ainsi que l’insertion professionnelle des jeunes chômeurs au sein des petites et moyennes entreprises (PME). Cependant, la question qui demeure est de savoir si ces efforts sont suffisants face à un chômage structurel.
Une bombe sociale à retardement
Le gouvernement d’Aziz Akhannouch invoque souvent les «chocs extérieurs» et les années de sécheresse pour expliquer en partie la destruction d’emplois. Cette explication est particulièrement valable pour les zones rurales, qui ont perdu 198.000 postes en 2023. La crise climatique a en effet frappé de plein fouet l’agriculture, secteur déjà fragilisé par l’instabilité économique. Pourtant, l’incapacité à créer des emplois durables dans les zones urbaines et industrielles soulève de nombreuses questions sur la gestion du secteur privé et l’orientation économique du gouvernement.
Mais si rien ne change rapidement, la crise de l’emploi pourrait devenir un facteur de déstabilisation sociale majeur. Avec un taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans qui dépasse les 39% selon les données du Haut-Commissariat au Plan (HCP) publiées en octobre 2024 et une précarité grandissante, la frustration atteint des niveaux critiques. Ce taux reste élevé, particulièrement en milieu urbain, où environ un jeune sur deux, en dehors du système éducatif, est au chômage. Le mécontentement pourrait se transformer en contestation sociale plus large, remettant en question la politique économique du gouvernement.
L’emploi des femmes, quant à lui, reste en marge des politiques publiques. Avec un taux de participation de seulement 19 %, les femmes sont les grandes oubliées des stratégies d’emploi. L’accès limité aux financements, la difficulté d’intégration dans certains secteurs et le poids des contraintes sociales freinent encore leur inclusion dans le marché du travail. D’autant plus que la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 a laissé des séquelles profondes sur l’économie marocaine. À cette crise se sont ajoutées les vagues inflationnistes qui ont alourdi les coûts de production pour de nombreuses entreprises, tout en érodant le pouvoir d’achat des citoyens. Dans ce contexte, la demande en biens et services a été bien souvent en décalage avec l’offre, l’incapacité des consommateurs à acheter représentant un frein majeur à la croissance économique et, par extension, à la création d’emplois.
2025 : Dernière chance pour une relance structurante
En 2025, le gouvernement marocain prévoit une croissance économique de 4,7 %, mais cette projection reste conditionnée par une pluviométrie favorable et une stabilisation du secteur agricole. Le chômage pourrait encore persister à des niveaux élevés, en particulier si l’on ne parvient pas à diversifier l’économie et à créer des secteurs d’activité capables d’absorber un grand nombre de travailleurs jeunes et qualifiés. Les petites entreprises, notamment dans les zones rurales, devront bénéficier d’un soutien plus ciblé pour améliorer leur compétitivité et leur capacité à créer des emplois durables.
Pour éviter un scénario noir, des mesures concrètes doivent être mises en place dès 2025 notamment accélérer la diversification économique, en misant sur les secteurs à fort potentiel comme les énergies renouvelables, le numérique et l’industrie pharmaceutique. Renforcer la formation professionnelle et universitaire, afin d’aligner les compétences des jeunes avec les besoins des entreprises.
Faciliter l’accès aux financements pour les PME et startups, pour encourager l’innovation et la création d’emplois.
Moderniser l’agriculture et sécuriser les ressources en eau, pour éviter que le secteur ne soit un facteur d’instabilité chronique. Encourager l’insertion des femmes dans l’emploi, en levant les barrières structurelles qui freinent leur intégration dans le marché du travail.
À un an de la fin de son mandat, le gouvernement Akhannouch n’a plus de marge d’erreur. Si aucune réforme de fond n’est engagée d’ici 2025, son bilan risque d’être marqué par une incapacité à réduire le chômage et à relancer la croissance de manière durable. L’enjeu donc est de taille : réussir à inverser cette tendance sous peine de voir son gouvernement sombrer dans l’échec, et avec lui, la confiance de la population. n