En cas de crise de la dette, il ne faudra pas accuser la pandémie comme seule responsable

Tribune

Par Marcello Estevão et Sebastian Essl*

Toute crise de la dette commence par des signaux d’alarme ignorés et se termine par de sévères restrictions des investissements dans l’éducation, la santé et les infrastructures , entre autres. Dans les pays concernés, ces crises déclenchent souvent des troubles sociaux et l’effondrement des gouvernements, ce qui entraîne un recul durable des perspectives de croissance nationale.  

La dette mondiale a flambé à la suite de la pandémie de COVID-19. Aujourd’hui, 58 % des pays les plus pauvres sont surendettés ou fortement menacés de l’être, et le risque s’étend aussi à certains pays à revenu intermédiaire  (a). L’inflation élevée, la hausse des taux d’intérêt et le ralentissement de la croissance font aujourd’hui le lit (a) de crises financières telles que celles qui ont dévasté plusieurs pays en développement au début des années 1980.  

Néanmoins, ce serait une erreur de rejeter la faute sur la pandémie si de telles crises devaient survenir. Car on trouvait, bien avant la COVID-19, les prémices de la situation actuelle. Entre 2011 et 2019, la dette publique d’un groupe de 65 pays en développement a augmenté en moyenne de 18 % du PIB , voire bien plus dans certains cas. En Afrique subsaharienne par exemple, l’endettement a bondi de 27 % du PIB en moyenne.

Qu’est-ce qui a conduit au creusement de la dette avant la pandémie ? Soyons clairs : il ne s’agit pas de chocs économiques que les gouvernements ne pouvaient pas prévoir. C’est tout simplement le résultat de mauvais choix politiques.   

Selon notre analyse de la viabilité de la dette (a) de 65 économies en développement, les déficits primaires persistants ont été le principal moteur de l’endettement de ces pays, qui vivaient tout bonnement au-dessus de leurs moyens . Entre 2011 et 2019, l’augmentation médiane de la dette publique attribuable aux déficits primaires a atteint le pourcentage considérable de 14 % du PIB. Mais en Afrique subsaharienne, elle a grimpé jusqu’à 18 % du PIB, tandis qu’elle ne représentait qu’un peu plus de 5 % en Asie du Sud.  

En Afrique particulièrement, il apparaît que les gouvernements ont accumulé des déficits primaires non pas pour réaliser des investissements productifs à long terme, mais pour payer les factures courantes. Ils se sont beaucoup plus endettés pour payer les salaires des fonctionnaires que pour construire des routes, des écoles et des usines. Parmi les 33 pays subsahariens de notre échantillon, les dépenses courantes ont dépassé les investissements en capital dans un rapport de près de trois pour un.  

Rien de cela n’a servi à renforcer leur capacité à rembourser leur dette. Ces pays n’ont pas non plus choisi d’emprunter dans de bonnes conditions, auprès de prêteurs multilatéraux offrant des taux de financement concessionnels. En 2010, les prêteurs multilatéraux représentaient 56 % de la dette publique et garantie par l’État des pays d’Afrique subsaharienne, mais en 2019 cette part n’était plus que de 45 % . Toujours en 2010, les prêts des créanciers du Club de Paris correspondaient à 18 % de la dette ; en 2019, ce pourcentage est tombé à 8 % seulement. En revanche, les emprunts auprès de la Chine et de créanciers commerciaux ont presque triplé sur la même période, passant respectivement de 6 à 16 % et de 8 à 24 %.    

Tant que la croissance économique réelle demeurait soutenue, les risques étaient masqués, car la croissance freine l’accumulation de la dette publique : selon nos données, entre 2011 et 2019, la croissance économique (corrigée de l’inflation) a réduit la dette publique de l’équivalent d’environ 12 % du PIB. Aujourd’hui, cependant, la dynamique est inversée : la croissance des économies en développement ne devrait atteindre que 3,4 % en 2022, soit à peine la moitié du chiffre de 2021. Et comme les taux d’intérêt sont relevés pour lutter contre l’inflation, la croissance devrait rester faible au cours des deux prochaines années.  

Il est temps pour les responsables politiques de faire preuve de bon sens : quand on est dans un trou, il faut arrêter de creuser. Et adopter de bonnes politiques maintenant peut encore réparer une grande partie des dégâts :  

Accélérer la croissance : le meilleur moyen d’échapper au piège de la dette est d’en sortir par la croissance . Des mesures visant à améliorer le climat des affaires, allouer plus judicieusement les ressources et promouvoir une concurrence saine sur le marché sont des actions essentielles pour stimuler la hausse de la productivité. Les gouvernements devraient donc profiter de cette crise pour accélérer les réformes structurelles indispensables.  

Accélérer les réformes fiscales : l’amélioration de l’efficacité de l’administration et la suppression des niches fiscales sont un bon début, mais les gouvernements doivent aussi s’efforcer d’élargir les bases d’imposition de manière à soutenir la croissance à long terme plutôt que de l’entraver. Ils peuvent cibler les activités qui nuisent à la croissance durable et à la santé publique, en taxant par exemple le tabac et les émissions de carbone, tout en réduisant les impôts sur les activités productives. Le respect des obligations fiscales peut être amélioré en rendant les systèmes fiscaux plus équitables . Le surendettement peut être résorbé si les gouvernements améliorent les procédures de gestion de la dette et les dépenses publiques, tout en renforçant l’environnement juridique des contrats d’emprunt.   

Accélérer la restructuration de la dette : de nombreux pays en difficulté aujourd’hui courent à la faillite s’ils ne reçoivent pas d’aide. La communauté internationale doit les soutenir en améliorant les initiatives mondiales qui facilitent la restructuration de la dette. Les responsables politiques doivent explorer toutes les possibilités à même d’encourager les différents types de créanciers (bilatéraux, commerciaux et multilatéraux) à parvenir rapidement à un accord permettant d’alléger la dette des pays surendettés.  

Les crises sont aussi source d’opportunités. Au milieu des crises qui se conjuguent aujourd’hui, les gouvernements ont la possibilité de jeter les bases d’un avenir plus stable et plus prospère. Ils ne doivent pas laisser passer cette occasion. 

*Marcello Estevão

Directeur mondial, Macroéconomie, Commerce et Investissement

Sebastian Essl
Senior Economist

Source: Banque mondiale

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