Energies renouvelables en Afrique : Utopie ou réalité
Loubna Karroum : « Le problème de l’Afrique c’est qu’elle reçoit tout le temps des promesses sans suite »
La 22e Conférence des parties sur les changements climatiques (COP22), prévue du 7 au 18 novembre prochain, à Marrakech, devra marquer un tournant décisif dans le passage des grands discours aux actions concrètes. Ainsi, la future conférence des Nations unies sur le climat aura pour thème l’atténuation des effets du changement climatique et l’innovation en matière d’adaptation. La COP22 aura pour objectif de «développer des outils opérationnels dans le cadre du plan Paris-Lima puis Paris-Marrakech». Jusqu’ici, le continent africain a été convoité par les groupes et les économies à la recherche de matières premières. Premier vecteur de richesse, l’exploitation des sous-sols africains a aussi été à l’origine de maux importants comme la corruption ou encore le clientélisme. La baisse des cours du pétrole a ainsi été reçue comme une très mauvaise nouvelle pour ses exportateurs. Cependant, sur le moyen et long terme, il pourrait s’agir d’une formidable occasion de diversifier les économies africaines riches aussi en potentiel de production d’énergie renouvelable. Ainsi en juillet dernier, la ville impériale de Marrakech avait abrité le 1er Forum AFER. Cette manifestation avait été supervisée par l’entreprise « Karroum Consulting » et le ministère des Mines, de l’énergie, de l’environnement et de l’eau.
Le rassemblement avait pour thème « Les Energies renouvelables au service du développement du continent africain ». Territoire peu pourvu mais aux capacités renouvelables importantes. Dans ce sens, Loubna Karroum nous éclairera au sujet des énergies renouvelables, en Afrique.
- Maroc Diplomatique : Lors de son intervention aux Nations unies, Mme Ségolène Royal a mis l’accent sur 240 projets prioritaires en ENR, en Afrique. Considérez-vous que c’est une avancée importante au moment où 80% des Africains n’ont pas accès à l’électricité ?
– LOUBNA KARROUM : Sans aucun doute, d’un côté, il y a la population africaine qui ne cesse de croître et avec elle la demande en énergie domestique et institutionnelle, notamment électrique. D’un autre côté, l’Afrique dispose d’un énorme potentiel en énergies renouvelables à exploiter et qui pourraient en conséquence avoir rapidement, et de façon durable, un impact positif sur la santé, la productivité et l’éducation.
Lors du Forum AFER, tenu en juillet dernier, à Marrakech, tous les intervenants ont confirmé que l’accès à l’électricité a un impact direct sur la population dont l’intervention de Madame Olga Johnson, directrice générale de la fondation « Energies pour l’Afrique » qui a évoqué le nombre choquant de femmes qui meurent pendant l’accouchement à cause d’une coupure d’électricité. Chose que nous ne pouvons plus accepter.
Le problème de l’Afrique c’est qu’elle reçoit tout le temps des promesses sans suite. Rappelons qu’il y a eu d’autres initiatives auparavant comme celle d’Obama, en attendant la mise en place d’une façon efficace, et donner la priorité à ce qui est disponible et accessible comme l’hydraulique et l’éolien qui ne sont pas aussi coûteux que le solaire. Ainsi il faut penser par bassin régional et non par pays. Le business modèle de ces projets doit être gagnant-gagnant, ni charité ni opportunisme. Les Africains doivent être impliqués dans toute la chaîne et les moyens doivent être mobilisés pour assurer leur formation afin qu’ils gèrent eux-mêmes ces unités si, bien évidemment, cette initiative s’inscrit dans le développement durable inclusif.
- En s’attaquant à l’énergie renouvelable, le coût d’investissement est très lourd au moment où les sources de financement sont rares. A votre avis, ceci constitue-t-il un obstacle à cette évidence ?
– Je ne le crois pas surtout qu’en Afrique, il y a tout à construire. Peu importe si les pays vont opter pour les énergies fossiles ou les énergies vertes, l’investissement est une obligation pour le développement de l’Afrique. Heureusement que les pays sont conscients que les énergies renouvelables sont un choix pour l’avenir et que le continent doit émerger avec de bonnes pratiques et assurer, en plus du développement économique et social, le développement durable. L’avantage, aujourd’hui, c’est l’existence de plusieurs mécanismes de financement. Des fonds de financements des projets d’énergies renouvelables, en Afrique, ont été créés par la Banque Africaine de Développement et autres bailleurs de fonds et organismes.
Le principal souci reste la capacité de ces pays à formuler et à mettre en oeuvre des projets banquables et réalisables et à exploiter les installations qui sont un élément clé de la qualité et de la pérennité du résultat, d’autant plus qu’elles sont exigées par les bailleurs de fonds. N’oublions pas que ce qui intéresse un investisseur, avant tout, c’est le gain qu’il va en tirer.
- L’expérience marocaine en matière d’énergies renouvelables a été mise en avant au cours du forum AFER. Y-a-t-il eu une suite, des partenariats ?
Il faut d’abord rappeler que c’était une première édition et que malgré son organisation, en parallèle, avec le sommet de l’Union africaine, on a pu avoir la participation de 22 pays africains et à leur tête la Guinée équatoriale qui était le pays à l’honneur en présence de son premier ministre. Ceci montre l’intérêt que portent les pays africains à cette thématique mais aussi à l’expérience marocaine qui est une première au niveau de l’Afrique.
On ne pouvait organiser cette première édition au Maroc sans mettre en avant l’expérience marocaine. Mustapha Bakkoury a présenté l’expérience de Masen, le sponsor de cette première édition, notamment la station Noor. Une présentation devant les responsables africains et à leur tête le Premier ministre de la Guinée équatoriale, qui a été suivie par des rencontres B to B et B to A et c’est un début de quelques partenariats qui verront le jour bientôt je l’espère. Je profite de l’occasion pour réitérer nos remerciements à Masen qui a su développer des partenariats favorisant un Maroc rayonnant !
Sans oublier de mentionner la commission économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) partenaire du Forum AFER qui a exprimé le souhait d’apprendre de l’expérience marocaine. C’était aussi l’occasion d’exposer l’excellent travail de recherche que fait l’Institut de Recherche en Energie Solaire et Energies Nouvelles « Iresen » et de présenter les actions et stratégies de cet institut ainsi que sa vision pour l’Afrique.Lors de la prochaine édition, on assistera à la signature de quelques accords de partenariat qui ont été entamés, en juillet, entre quelques pays de la Cemac et des partenaires privés.
- La COP 22 qui se tiendra à Marrakech, va-t-elle donner un nouveau souffle en matière des ENR au continent africain ? Et quelle est la part du pays organisateur ?
– Certainement, la COP22 se déroule sur le continent africain et Sa Majesté le Roi, dans son discours, lors de la COP21, à Paris, a bien déclaré que cette COP est celle de toute l’Afrique et on ne peut parler de climat, environnement et développement durable sans aborder les énergies renouvelables. Le Maroc est non seulement le pays organisateur mais aussi un pionnier dans son domaine. D’autant plus qu’il a une grande expérience qu’il a déjà commencé à partager avec plusieurs pays du continent comme le Sénégal. Ce qui consolide la stratégie Sud-Sud dans laquelle le Maroc s’est engagé, depuis des années.