EnR et distribution électrique : Propositions de refonte des lois pour un cadre légal plus approprié
Sous les effets croisés de la raréfaction des ressources énergétiques fossiles, et de l’impact de ces ressources sur le climat, les gouvernements ont entamé un processus de décarbonations de tous les secteurs économiques, par encouragement de l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables, et plus récemment à travers l’énergie 4.0 : la sobriété énergétique.
Le Maroc pour sa part a pris des engagements à l’international, afin de réduire ses émissions carbone. La transition énergétique est ainsi pilotée à travers ces trois instruments. Le Royaume a été l’un des premiers pays au monde à entamer sa transition énergétique à travers la lettre de cadrage de la transition énergétique que Sa Majesté le Roi a instaurée en 2009. Ainsi, la transition énergétique du Maroc reposait sur deux piliers qui sont l’efficacité énergétique portée au rang de priorité nationale, et les énergies renouvelables, avec des choix économiquement rentables comme précisée par Sa Majesté le Roi. Ainsi le Maroc s’est fixé l’objectif de 42% en énergie renouvelables en 2020, et plus de 52% en 2030.
L’engagement du Maroc dans la production électrique renouvelable décentralisée en moyenne et basse tension constitue un formidable levier économique au profit des ménages et de notre industrie. Les experts estiment que cette puissance pouvait atteindre plus de 400 MW, sur la période 2009-2020. Il est également utile de rappeler la nécessité de décarbonations de notre industrie exportatrice qui représente 70% vers l’Europe, cette dernière va imposer la taxe carbone dans les mois qui suivent, ce qui risque d’être très pénalisant face à nos exportations.
En opposition à la tendance mondiale, aux intérêts économiques et environnementaux de la nation, le nouveau projet de loi présenté par le ministre de l’énergie, vient de mettre un terme à la production décentralisée renouvelable en moyenne et basse tension, par la mise en place d’obstacles majeurs. Lesquels obstacles peuvent être résumés d’abord en l’instauration d’un pourcentage d’échange électrique avec le réseau équivalent à 10% de la production renouvelable annuelle totale, alors que cet échange doit être au moins de 70% à 80% de la quantité produite, compte tenu du fait, que la production renouvelable n’est pas obligatoirement synchronisée avec la consommation. Plusieurs pays, dont la France, adoptent un pourcentage d’échange de 100%, avec rémunération du surplus. Ce surplus est malheureusement facturé contre le client par Lydec, au lieu de le rémunérer, en violation de toutes les lois de l’énergie marocaine.
Ensuite, et alors que plusieurs pays procèdent aux renforcements du réseau pour améliorer les extensions des renouvelables: (capacité d’accueil), le nouveau projet de loi limite cette extension, et instaure une peine pénale de trois mois à un an de prison, et une pénalité de 100.000 à 1 MDH en cas d’extension ou modification de l’installation. Une simple erreur de dimensionnement peut exposer à la peine pénale.
Il y a également l’instauration de la capacité d’accueil, qui va être opposée à tout demandeur qui souhaite investir dans les renouvelables. Au lieu de renforcer le réseau, le gestionnaire peut opposer cet argument contre le consommateur. Dans plusieurs pays, les distributeurs ont l’obligation de renforcer le réseau afin d’accueillir les énergies renouvelables. Une demande de branchement renouvelable ne peut être refusée sous prétexte de manque de capacité d’accueil. La présente loi, ne laisse que cinq jours pour le recours contre la décision du distributeur !
D’autre part, le présent projet de loi ne fait aucune différence entre les auto-producteurs ménages en basse tension, et auto-producteurs industriels en moyenne tension. On ne sait pas par exemple, comment va être géré le cas de la production collective au niveau d’un immeuble, qui est le cas très attendu au Maroc. Le projet de loi se contente, dans son article 7, de limiter la puissance.
De plus, en lieu et place de l’encouragement des énergies renouvelables, le projet de loi pénalise, dans son article 20, le surplus de production par instauration des frais d’infrastructure, des frais de distribution et des frais d’usage du réseau national. Alors que cette énergie excédentaire est consommée dans le voisinage de l’auto-producteur sans pratiquement aucune perte. L’ensemble de ces trois frais va porter un préjudice certain à la rentabilité des projets d’auto-production.
Sur le plan de la gestion administrative, le projet de loi instaure trois régimes d’autorisation à savoir : Raccordement, Déclaration, et autorisation, sans compter les avis de l’Agence du bassin hydraulique, et autres organismes.
Enfin, avec toutes les limitations énoncées dans la présente loi, nos industries exportatrices vers l’Europe, qui seront pénalisées dans les prochains mois par la taxe carbone, seront dans l’impossibilité de s’engager dans des programmes de décarbonations prioritaires. Elles n’auront pas non plus la possibilité d’échanger 100% de l’énergie verte produite, avec le réseau, ni une facilitation des mécanismes et procédures.
Propositions pour des lois plus adéquates
Considération faite du grand écart entre les objectifs tracés par le Souverain en 2009 dans le cadre de la transition énergétique du pays, et des résultats enregistrés en 2020, ainsi que des dispositions du nouveau projet de loi 73-20 qui mettent un terme à l’expansion des projets d’énergies renouvelables, les recommandations ont été discutées avec des experts mondiaux, nationaux, professionnels du secteur, et juristes marocains.
De manière globale, la reformulation, proposée par les professionnels du secteur, des différentes lois des énergies renouvelables, en six lois, avec décrets d’application en adaptation permanente, afin de ne pas renvoyer aux calendes greques, les modalités d’application au niveau des décrets, qui sont un autre moyen de freiner l’évolution des renouvelables. Les coûts des timbres de transport doivent être clairement identifiés, et ne pas être renvoyés au timing de ANRE, pour offrir une meilleure lisibilité aux opérateurs, en fonction des niveaux de tension, et corriger le flou actuel, qui ne permet pas au pays d’avancer. La septième loi serait relative à l’octroi à l’ONEE du statut de transporteur et distributeur unique sur tout le Royaume. A l’instar d’un grand nombre de pays, qui ont instauré des lois par niveau de tension: basse, moyenne, et haute tension, et autoconsommation collective. Par exemple dans mon domicile, je dois connaitre, et de manière claire, quels sont mes droits et obligations, dans le cadre d’une loi d’autoproduction basse tension spécifique : je n’ai pas à lire dans une loi d’autoproduction, les obligations pour les industriels que je ne comprends pas. La loi proposée par le ministère de l’énergie ne permet aucune lecture, ni distinction entre un industriel et un ménage. Le seul souci de cette loi est de limiter l’échange avec le réseau à 10%, afin de décourager toute tentative de mise en place des projets renouvelables basse et moyenne tension.
Loi Haute tension
Actuellement gérée par la loi 13/09, cette loi n’autorise que la cinquantaine de clients HT/THT de ONEE à bénéficier des énergies renouvelables produites par des opérateurs privés. Cette tranche de consommateurs est actuellement saturée, on est à l’arrêt, et on renvoie balader les nombreux investisseurs potentiels. Pourquoi un industriel distribué en moyenne tension par Lydec, ou une régie, ne doit pas bénéficier des renouvelables développées par opérateur privé en Haute Tension ? Où est le problème, si le développeur privé produit en Haute tension, et son client consomme en Moyenne tension ? la loi de conservation de l’énergie fonctionne dans ce cas aussi.
L’ONEE produit en haute tension, mais chez moi je suis en basse tension, où est le problème ? Si cette loi n’est pas amendée dans le sens à faire bénéficier notre tissu industriel en moyenne tension, quel que soit le distributeur, nous allons continuer à croire fermement que la loi 13/09 est là pour protéger les marges des distributeurs français du «mal» des renouvelables. Sur le plan juridique, la loi 13/09 ne peut continuer à être restrictive à la communauté HT/THT : C’est une violation du droit. Plusieurs investisseurs qui ont même réalisé des campagnes de mesures, engagé du personnel, ont fini par jeter l’éponge. C’est bien triste de priver la nation d’un coût photovoltaïque de 0,12 DH/kWh, et 0,3 DH/kWh pour l’éolien, contre une moyenne industrielle des prix de vente de 1,20 DH/kWh, puissance souscrite comprise. Il serait aussi légitime d’imposer la préférence nationale au profit des grands développeurs privés marocains. Si la 13/09 amendée introduit de la transparence, et la non-discrimination voulue au niveau de la distribution, nous verrons le développement très rapide de projets privés, et espérons rattraper le retard considérable en termes de part des renouvelables dans notre bouquet électrique fixé par Sa Majesté à plus de 52% en 2030, alors que nous sommes à 20% en 2020.
Loi autoconsommation Moyenne Tension
Généralement pour les industriels et grands bâtiments, qui doivent pouvoir bénéficier des énergies produites en haute tension, les investissements hors site doivent être encouragés pour ce niveau de tension. Cette loi spécifique doit définir les différentes modalités, en particulier les modalités de rémunération de l’excédent, avec la possibilité de vendre l’excédent à une entreprise choisie par le consommateur, qui peut être le distributeur. Par exemple, l’excédent d’une entreprise peut être vendue par cette dernière à une industrie exportatrice, qui va être frappée par la taxe carbone. Auquel cas, le distributeur serait rémunéré par un timbre de transport sur le kWh.
Loi autoconsommation Basse tension
Ce niveau concerne particulièrement les ménages, petites industries, bâtiments. Une loi simple et lisible, qui définit la notion de troc électrique : netmetering, avec la possibilité d’échanger 100% de l’énergie produite à l’instar de plusieurs pays désireux d’encourager les renouvelables. Les ménages n’ayant pas la vocation de producteur d’énergie, je propose la rémunération de l’excédent au même tarif d’achat de l’énergie par le distributeur de l’ONEE, puisque le distributeur revend cette énergie dans le voisinage immédiat de l’auto-producteur, et il n’est pas perdant. Cette rémunération serait réalisée sur une durée de 7 ans, afin d’aider les ménages à amortir l’achat des équipements. Au-delà des 7 ans, cet excédent calculé annuellement, pour tenir compte des variations du productible solaire sur une année, serait cédé gracieusement au distributeur. Actuellement, nous sommes dans la situation honteuse, et contre toutes les lois de l’énergie marocaines, où Lydec facture à ses clients l’excédent électrique de leurs installations solaires.
Loi autoconsommation collective (tout niveau de tension confondu)
Cette loi doit gérer les énergies renouvelables par exemple au niveau d’une installation collective sur les toits des immeubles, complexes d’habitations, complexes commerciaux, ou ensemble de petites d’industries…qui désirent investir dans une installation collective. Cette loi doit permettre un formidable développement des EnR collectifs : photovoltaïque et petit éolien citadin, nous verrons le développement de sociétés de syndic de l’énergie, et donc la création de milliers d’emplois pour la gestion et la maintenance de ces équipements.
Loi des Excédents Renouvelables Prioritaires : ERP
Les excédents renouvelables doivent être retranchés de manière prioritaire du bilan carbone de nos industries exportatrices. La nouvelle loi des ERP doit permettre à un tiers investisseur, de réaliser des installations renouvelables au profit de notre industrie exportatrice, quel que soit le niveau de tension.
Loi de création de l’autorité carbone
Compte tenu de l’évolution des moyens de maitrise des contraintes climatiques : signature carbone : en Grammes par unité produite, qui sera imposée par l’Europe face à nos exportations, il est impératif de créer une autorité carbone afin de gérer les flux des énergies renouvelables à l’échelle nationale, les certificats carbone reconnues à l’international, et les signatures carbone reconnues par unité produite de nos industries exportatrices. Les signatures carbone seront exigées aux frontières de l’Europe, voire d’autres pays, et on se doit d’en tenir compte avant qu’il ne soit trop tard. L’autorité carbone serait placée sous la tutelle du ministère de l’Industrie et de l’économie verte. Ceci dit, pour avoir une industrie dite décartonnée à un certain niveau, nous n’avons pas l’obligation de la brancher directement sur une éolienne, ou un champ photovoltaïque : par exemple l’énergie produite par le champ éolien Khalladi à Tanger, est consommée dans son voisinage immédiat au port Tanger Med, mais une industrie à Casablanca peut acheter cette énergie et l’affecter dans son bilan carbone.
De là on comprend qu’il nous manque un joueur pour crédibiliser, réguler les flux renouvelables, et certifier à l’international. Sans compter la création du marché carbone qui est en train de se réveiller. Par contre, ce que nous pouvons faire dès demain, c’est l’affectation par «l’autorité carbone» de nos productions Masen à nos industries exportatrices. En toute rigueur, nous ne pouvons pas affecter les productions privées de la loi 13/09 puisqu’ils sont déjà affectés aux clients Haute tension de l’ONEE.
Statut de transporteur et distributeur unique pour l’ONEE
La loi relative à l’octroi à l’ONEE du statut de transporteur et distributeur unique sur tout le territoire marocain consistera en l’absorption des régies, et non-renouvellement des contrats de concessions octroyés à la France : délai entre 5 et 7 ans.
Et refonte de la loi 73-20 sur l’autoproduction
Il est impératif de réaliser la refonte complète et intégrale de la loi 73-20 qui reste illisible selon le niveau de la tension, et décourageante à plus d’un titre. Pour sortir deux lois simples, la première relative à la basse tension, et la seconde à la moyenne tension.
Les principes généraux adoptés dans les deux cas seront au nombre de cinq.
Le premier est la possibilité pour un auto- producteur d’échanger 100% de son énergie produite avec le réseau distributeur. Avec 10%, valeur qui constitue un frein aux renouvelables ; il vaut mieux ne pas avoir de loi.
Le deuxième est le comptage électrique qui doit être réalisé selon la formule netmetering. La quantité d’énergie produite par l’autoconsommateur doit être déduite de la quantité consommée au niveau du compteur import-export. Le distributeur aura l’obligation de permettre l’accès au compteur général import-export (sortie client) afin de lui permettre de connaitre ses consommations, productions, et bilan net. Un réajustement en fin d’année doit être effectué pour le calcul exact des énergies excédentaires, tenant compte des saisons.
En troisième lieu, aucune limitation de puissance ne peut être instaurée, afin d’encourager la promotion des renouvelables, et exploiter au maximum les surfaces disponibles pour le cas des installations photovoltaïques.
Le quatrième consistera en le fait que les distributeurs auront l’obligation de renforcer les réseaux afin d’accueillir les puissances renouvelables. Les couts de ce renforcement, doivent être pris en charge par le consommateur et son distributeur, dans des conditions de participation (style peines et soins) définies par loi, et qui ne doit pas affecter la rentabilité du projet renouvelable.
Enfin, la notion de capacité d’accueil ne peut être opposée en aucun cas, face à un projet renouvelable, sauf en cas de force majeure effectif validé par ANRE.
Pour tenir compte du foisonnement des puissances : la somme des maximas n’étant pas égale au maxima de la somme, la capacité d’accueil des énergies renouvelables doit être affichée en temps réel au public grâce à un site dédié et géré par ANRE. L’excédent énergétique, sans aucune limitation, doit être calculé annuellement pour tenir compte de la saisonnalité des renouvelables.
Quand un consommateur installe par exemple des plaques photovoltaïques, l’infrastructure utilisée est la sienne, dans la mesure où il consomme immédiatement ce qu’il produit, il n’y a pas non plus de frais de distribution puisque l’usage se fait en interne, et encore moins, l’usage du réseau du réseau : on ne comprend pas l’ensemble de ces trois taxes ! Dans cette optique, seul l’excédent sensé être «transporté» par le réseau du distributeur (alors qu’il ne l’est pas, l’énergie excédentaire est consommée dans le voisinage). On propose une rémunération du distributeur de 0,06 DH/kWh sur l’énergie excédentaire transportée sur son réseau, et calculée annuellement sur l’excédent. La production propre ne peut être taxée, alors qu’on est très loin de notre objectif national.
L’autoconsommation doit être gérée par un seul contrat très clair, qui fait foi d’autorisation finale, en fonction du niveau de tension, et éviter trois autorisations et complications volontaires : raccordement, déclaration, et autorisation. A charge pour le distributeur de prendre l’avis des autres organismes concernés dans un délai de 2 semaines. Le distributeur doit être l’interlocuteur unique du consommateur.
Alors que le monde entier encourage les augmentations de puissances renouvelables, le projet de loi sur l’autoconsommation fait appel à des sanctions pénales en cas d’augmentation de la puissance renouvelable. A l’instar de l’expérience mondiale, un simple contrat commercial est signé entre le consommateur et son distributeur, avant la mise en place des équipements de production renouvelables. Ce contrat fait appel à la loi qui encadre le niveau de tension du consommateur. L’autoconsommation doit donc être gérée par le droit des contrats marocain. En cas de litige, les deux parties désignent un médiateur. Si le conflit n’est pas résolu en l’espace de 60 jours, une instance arbitrale ad hoc sera chargée de trancher le litige. Le tribunal arbitral sera composé de trois arbitres : un arbitre désigné par le consommateur, un arbitre désigné par le distributeur et un Président. La sentence arbitrale est insusceptible de recours.
Par Dr. Said Guemra : Expert Conseil en Management de l’Energie 4.0