Entretien avec Mme Fawzia Talout Meknassi : Cœur battant pour la promotion de la femme, ses droits et son combat
Hassan Alaoui
Actrice majeure depuis un peu plus de trente ans maintenant, mobilisée sur le champ d’action de la défense des droits et de la promotion de la femme, fondatrice à ce tire de Dar al-Mâalama des femmes artisanes, journaliste, elle a été la toute première à lancer un magazine pour la femme, Farah, nominée en 2005 pour un Prix Nobel de la paix, directrice d’une agence de communication, saluée à travers beaucoup de pays, Fawzia Talout Meknassi reste pour nous un visage familier de l’engagement et du combat social dont elle est une figure emblématique.
Son parcours, s’il est effectivement riche, reste atypique par son engagement et une vertueuse foi portée comme un mât. Elle est pour nous un modèle.
Entretien
- Mme Fawzia Talout Meknassi, vous êtes une personnalité qui n’a guère besoin d’être présentée au public. Visage familier et en même temps actrice sociale peu encline à la démonstration publique. Voulez-vous vous présenter et nous décrire pour commencer votre parcours ?
Je suis née dans la médina de Casablanca et j’ai grandi au quartier l’Oasis. J’ai fait des études d’abord à l’école de l’Alliance Israélite puis au Lycée Chawki. Je me suis mariée l’année du bac. Ceci ne m’a pas empêchée de faire des études supérieures. J’ai d’abord préparé un DESS en sciences économiques à l’Université Hassan II de Casablanca. Après un bref passage à la Banque populaire, je suis partie à Paris pour des études de journalisme et par la suite à New York où j’ai préparé un diplôme en Global leadership. Je suis maman d’un enfant. J’ai mené une carrière que je qualifie d’atypique, si vous me permettez l’expression, car je me suis investie simultanément dans le travail associatif ce qui m’a permis d’être consultante internationale pour la condition de la femme principalement pour les droits économiques des femmes et dans ma carrière professionnelle de journaliste et d’expert en relations presse et relations publiques.
J’ai été fortement influencée par mon père Mohamed Talout Meknassi, un nationaliste proche compagnon de Mohamed Zerktouni et par mon grand-père maternel, Mohamed Fennich, un magistrat. Les deux m’ont inculqué des valeurs dont je suis fière et que j’essaye de garder malgré les différents aléas de la vie.
- Vous avez fondé l’Association « Dar Mâalma » et ce à un moment où le statut de la femme ne constituait pas encore le type de combat qu’on lui voue aujourd’hui. Parlez-nous de cette association devenue une institution mais aussi votre famille ?
Le Réseau des femmes artisanes du Maroc- Refam Dar Maalma- est une belle histoire inspirante par sa composante fondamentale, les femmes artisanes, des femmes ingénieuses et impactantes. La création le 30 mai 2008 de Dar Maalma a été pour moi la concrétisation de mon travail associatif, qui avait commencé en 1986 au sein de la prestigieuse association Bouregreg, et de mon travail de consultante pour la WomenWorld Banking à New Yok et Population ReferencesBureau à Washington. Je tiens à préciser que je suis co-fondatrice de cette association avec mon collègue de toujours M. Abdelkrim Aouad et avec 120 femmes artisanes des 12 régions du Maroc.
Et cette organisation n’aurait pas pu prendre cet élan sans l’appui de personnes exceptionnelles : mon maitre et mon mentor dans le monde associatif Feu Fkih Mohamed Aouad et feue Chérifa Lalla Oumeltoum. Les deux ont joué un rôle incontestable dans le lancement de Dar Maalma. Mais Dar Maalma n’aurait jamais pu connaître cet essor sans l’appui inconditionnel de son Altesse Royale la Princesse Lalla Meryem, Présidente de l’UNFM qui a tenu à lancer le Réseau des femmes artisanes du Maroc- Refam Dar Maalma sous sa présidence effective. Son Altesse Royale, en princesse militante œuvre de toutes ses forces pour faire avancer le statut des femmes marocaines, et celui des femmes artisanes en fait partie. Elle leur porte un amour et une affection toute particulière. Je saisis cette occasion pour lui témoigner ma grande admiration, ma reconnaissance et mon amour.
Il faut aussi rendre un hommage aux femmes artisanes et à leur adhésion. Elles ont cru en cet organisme fédérateur et ont en fait un espace pour améliorer leurs conditions socio-économiques. Elles se sont investies totalement. Certaines ont reproduit le modèle dans leur village ou ville.
Notre philosophie, au sein du Refam Dar Maalma s’inscrit dans les directives de son Altesse Royale qui s’inspirent elles-mêmes des orientations de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Elle aspire à faire du savoir traditionnel détenu par les milliers des femmes du Maroc un outil de création de richesse et non seulement un moyen de lutte contre la pauvreté et la précarité ; la nuance est importante.
- Il y a trois décennies vous vous êtes lancée dans l’activité de la presse – qui est également votre autre passion – et avez lancé le magazine « Farah magazine » qui, à l’époque avait constituéune sorte de révolution. Une femme, un magazine porte-voix de la femme…Trente ans après, quelle sorte de sentiment cet événement vous inspire-t-il ?
Je commence par la fin de la question : de la fierté et le sentiment d’avoir fait ma part de travail de bonne citoyenne pour contribuer à l’édifice du Maroc moderne.
Le journalisme n’est pas un métier, mais une passion, un mode de vie. Oui, en effet en octobre 1991, j’avais lancé la première revue féminine marocaine Farah magazine, une belle expérience, oh combien stimulante et enrichissante ! je voulais une revue qui reflète le contexte socio-culturel de la femme marocaine. J’étais la fondatrice d’un magazine féminin et première femme marocaine patron de presse. C’était précurseur pour l’époque au point que le syndicat de la presse avait refusé mon adhésion car j’étais femme dans un monde exclusivement masculin et surtout très jeune dans le domaine. Je n’avais que 26 ans. Bien sûr, je parle du Maroc de 1991. Beaucoup de choses ont changé depuis. J’ai été une bonne journaliste, mais une mauvaise gestionnaire. J’ai dû arrêter la revue en 1995, en faisant un point d’honneur de couvrir la conférence internationale des nations unies sur les femmes – Beijing 1995. En 2009, j’ai relancé magfarah.com sous format électronique.
- En 2005, vous avez été nominée au Prix Nobel de la Paix par l’Association « 1000 peacewomen ». C’était dans quel cadre et dans quelles conditions cette proposition avait-elle été faite ? Quelle en était la suite ?
Oh ! une autre belle chose qui m’est arrivée dans ma vie. L’association 1000 peacewomen est une association suisse dont le siège est à Bern. Cette association avait choisi 1000 femmes militantes chacune dans son domaine pour une nomination collective au prix Nobel de la paix. Nous étions finalistes avec le Directeur généralde l’Agence internationale de l’énergie atomique, Mohamed El Baradei. Et comme les enjeux géopolitiques l’emportent toujours sur la question des femmes, l’AIEA et son directeur se sont vus attribuer le prix Nobel de la paix de 2005. Mais cette action ne s’est pas arrêtée, elle continue à ce jour. Je suis dans un réseau important de 1000 femmes de par le monde. Nous avons toutes le titre « femme de paix », titre reconnu par le Parlement fédéral suisse. Ceci est en soi important, c’est une richesse incroyable. Nous avons publié un livre des profils des 1000 femmes et nous organisons à ce jour des expositions de notre travail, des missions et des conférences à travers le monde. Comme on se soutient mutuellement pour nos actions et nos activités respectives.
- Quelle est votre motivation aujourd’hui dans un monde qui est confronté à la pandémie du Covid-19 et quelle forme de résilience préconisez-vous au niveau de « Dar Mâalma » ?
Actuellement les femmes artisanes vivent un drame. Leur seule source de revenus est la vente de leurs produits.Or, du fait de l’impact du Covid cette vente est totalement à l’arrêt, renforçant encore plus la situation de précarité dans laquelle se trouvent déjà certaines de ces femmes. Et comme elles sont formidables et résilientes, nous avons élaboré le projet AMALINK, un incubateur virtuel devant aider ces milliers de femmes à intégrer le commerce électronique, leur seule issue actuellement. D’ailleurs, si rien n’est fait rapidement nous allons connaitre une fracture technologique qui viendrait s’ajouter aux autres fractures déjà existantes.
- Est-ce que vous êtes soutenues par le gouvernement, sinon pourquoi?
Nous avons déposé notre dossier au niveau du Ministère de la solidarité, du développement social, de l’égalité et de la famille et auprès de la direction générale de l’Initiative Nationale pour le développement Humain ( INDH). Nous attendons la réponse de madame la ministre. Tant qu’il n’y a pas un non, il y a toujours l’espoir du oui. Nous sommes dans l’aire de la résilience. Il est à préciser que le Refam Dar Maalma compte aujourd’hui plus 5000 femmes artisanes des 12 régions du Maroc.
- Comment fonctionne l’Agence que vous avez créée et que vous mettez au service de l’économie féminine et autres activités ?
PRESMA est une agence de presse, de relations presse et relations publiques, elle a été créée en 2004, une des première agence RP marocaine, nous faisons notre métier actuellement avec beaucoup de résilience. Le secteur n’est pas vraiment réglementé, mais seules les vraies agences demeurent, car c’est un métier assez pointu et compliqué, qui demande une grande culture, une connaissance parfaite du contexte social, économique, politique, religieux et autres. Il requiert aussi un important réseau relationnel et une capacité à s’adapter et à trouver les réponses rapidement aux problématiques posées. Contrairement aux idées préconçues, ce n’est pas un métier de paillettes, mais une profession avec des outils de développement de contenu. PRESMA conduit à titre bénévole la communication et les RP du Refam Dar Maalma et soutient ainsi les droits économiques des femmes. C’est notre contribution d’entreprise citoyenne.
- Pourquoi n’avez-vous jamais été officiellement tentée par la politique et l’activité au sein d’un parti ?
Question judicieuse, j’ai choisi de m’investir dans l’action citoyenne. La politique est compliquée lorsqu’on est une personne naïve et je le suis toujours, mais qui sait peut-être un jour ??