Erdogan menace de laisser passer les migrants vers l’Europe
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a menacé vendredi d’ouvrir ses frontières pour laisser passer les migrants vers l’Europe, au lendemain d’un vote du Parlement européen demandant le gel des négociations d’adhésion de la Turquie au bloc.
L’Allemagne a immédiatement répliqué, affirmant que « menacer » le pacte UE-Turquie sur les migrants « n’avance à rien ».
Cette escalade survient après des semaines d’échanges acerbes entre Ankara et Bruxelles, qui accuse les autorités turques de matraquer l’opposition dans la foulée de la tentative de coup d’Etat en juillet.
Cette tempête diplomatique fait tanguer un pacte controversé conclu en mars entre le gouvernement turc et l’UE qui a permis d’assécher le flux de passages clandestins rejoignant l’Europe par les îles grecques en mer Egée.
« Lorsque 50.000 migrants se sont amassés au poste-frontière de Kapikule (à la frontière turco-bulgare), vous avez crié à l’aide. Vous avez commencé à vous demander: +Que ferons-nous si la Turquie ouvre ses frontières ?+ », a déclaré le président Erdogan vendredi.
« Ecoutez-moi bien. Si vous allez plus loin, ces frontières s’ouvriront, mettez-vous ça dans la tête », a lancé le chef de l’Etat turc lors d’un discours à Istanbul.
Cet avertissement abrupt survient à quelques mois de scrutins majeurs en Europe, dont une élection présidentielle en France et des élections fédérales en Allemagne, deux piliers européens confrontés à la montée des populismes et où la question migratoire risque d’être centrale.
Le pacte sur les migrants a permis de réduire à quelques dizaines le nombre de personnes gagnant quotidiennement les îles grecques en mer Egée, contre plusieurs milliers au pic de l’exode vers l’Europe au cours de l’été 2015.
« Nous considérons l’accord entre la Turquie et l’Union européenne comme un succès commun et la poursuite de cet accord est dans l’intérêt de tous les acteurs (…). Des menaces des deux côtés n’avancent à rien », a déclaré Ulrike Demmer, porte-parole du gouvernement allemand.
En contrepartie de cet accord, Ankara a notamment demandé une exemption des visas Schengen pour ses ressortissants, l’ouverture de nouveaux chapitres du processus d’adhésion et une aide financière pour l’accueil des trois millions de réfugiés, dont 2,7 millions de Syriens, qui se trouvent sur son sol.
Mais l’accord sur les visas est embourbé, l’UE reprochant à la Turquie de n’avoir pas rempli les 72 critères requis. Ankara a affirmé que le pacte sur les migrants connaîtrait une « mort naturelle » si aucune avancée n’était enregistrée au sujet de l’accord sur les visas.
Le gouvernement turc accuse par ailleurs les pays européens de ne pas envoyer l’aide financière promise pour l’accueil des réfugiés, ce que Bruxelles dément.
« C’est nous qui accueillons plus de trois millions de réfugiés dans ce pays, et vous qui n’avez pas tenu vos promesses », a déclaré vendredi M. Erdogan.
Dans ce contexte, le président turc a évoqué au début du mois l’option d’un référendum sur la poursuite ou non des négociations d’adhésion si aucune avancée n’était enregistrée sur la question d’ici la fin de l’année.
Le Parlement européen a demandé jeudi le « gel temporaire » de ce même processus d’adhésion en votant une résolution non contraignante, estimant que les « mesures répressives prises par le gouvernement turc dans le cadre de l’état d’urgence sont disproportionnées ».
Après le putsch manqué du 15 juillet, les autorités turques ont lancé de vastes purges. Plus de 36.000 personnes ont été incarcérées, selon les chiffres officiels.
Dans un rapport publié la semaine dernière, et rejeté par Ankara, la Commission européenne avait critiqué le « retour en arrière » de la Turquie sur les critères d’adhésion, en particulier en ce qui concerne la liberté d’expression et l’Etat de droit.
Si le processus d’adhésion semble mal en point, la plupart des pays membres de l’UE soulignent la nécessité de garder les « canaux de communication ouverts » avec Ankara.
Une rupture des relations entre la Turquie et l’UE « aurait pour nous des conséquences négatives, je le concède », a déclaré jeudi soir le Premier ministre turc Binali Yilidirm.
Cependant, a-t-il estimé, « les dégâts seraient trois fois, cinq fois plus élevés pour l’Europe ».