Quand au nom de l’humanité, Essaouira fédère le monde par la musique
Par Houssaine Aït Marghad
En célébrant il y a un an le XXème anniversaire du festival « Gnawas, musiques du monde », Neila Tazi, cofondatrice de l’événement éponyme, ne croyait pas si bien dire : « Nous nous interrogeons toujours sur le comment nous sommes toujours là, chaque année, comment réussissons-nous chaque édition, en scrutant l’horizon du futur… » ! Le festival, non seulement tient bon, mais réussit le pari de renouveler ses répertoires et de créer à chaque fois un événement inédit.
Cette année encore, Essaouira a encore apporté un vent de fraicheur à la musique et à la culture en rassemblant du 18 au 23 juin 2018, tout le monde autour de la musique gnaouie et les musiques du monde, ce »langage universel et planétaire » qui réunit tous les peuples, les rapproche davantage et les amène à penser sur ce qu’ils ont en commun à savoir : l’humanisme, abstraction faite des différences et diversités.
Si la cité des Alizés a abrité la 21è édition du Festival Gnaoua et Musiques du Monde (21 au 23 juin), une édition amplement réussie à plusieurs niveaux, Une centaine d’experts, d’académiciens et d’universitaires, des sommités mondiales, représentants les universités les plus prestigieuses pour ne citer que quelques-unes, comme »Cambridge », »Columbia » ou encore »la Sorbonne », ont aussi opté pour la ville d’Essaouira depuis le 18 juin, pour soumettre à débat scientifique et empirique »les musiques et les sons de la Méditerranée », avec un focus sur leurs intersections.
Et ce n’est nullement un pur et simple hasard de voir Essaouira abriter ce 12è Symposium sur les Musiques et Sons de la Méditerranée, un meeting académique qui se tient pour la première fois en Afrique du nord. La ville à une longue et riche histoire musicale.
C’est dire qu’à Essaouira, la musique ne s’invite pas uniquement dans sa dimension divertissements, ni encore dans son aspect émotionnel, mais aussi au grand banquet de la réflexion et de la pensée poussées, à travers un intérêt particulier pour ses aspects scientifique, académique et empirique. Une démarche adoptée à Essaouira depuis plusieurs décennies, et que ce Symposium de haute facture vient »reconnaitre » et »consacrer » selon les dires du Conseiller de Sa Majesté le Roi, et Président- Fondateur de l’Association Essaouira- Mogador, André Azoulay.
»La musique a été et reste au coeur de la renaissance d’Essaouira, et ce choix a été »reconnu et consacré » par le 12è Symposium mondial sur les musiques et les sons de la Méditerranée », avait-il dit à l’ouverture, avant de poursuivre que »la musique, toutes les musiques étaient au coeur du réacteur de la renaissance de la cité des Alizés. Vous voir rassemblés ici à Essaouira donne toute sa profondeur et toute sa vérité à ce choix stratégique fait par cette cité il y a près de 30 ans ».
»A Essaouira, au delà du plaisir et de l’émotion qu’elle procure à chacun d’entre nous, la musique est invitée au grand banquet de la pensée, une pensée ancrée dans l’universalité de toutes les valeurs qui nous rassemblent, celles de l’altérité, de l’écoute et du partage avec l’autre, dans le respect le plus libre des identités, des spécificités et des sensibilités de chacun », rappelle M. Azoulay.
Le président fondateur de l’Association Essaouira- Mogador dans un mot clôturant ce Symposium a invité ce réseau de chercheurs et experts basés aux Etats-Unis, en Europe et au Moyen Orient, et encadré par les deux prestigieuses Universités de Columbia aux USA et de Cambridge en Angleterre, à installer son siège à Essaouira comme »base centrale et permanente » pour leurs travaux futurs.
D’ailleurs, c’est esprit, qui se trouve illustré par l’ensemble des Festivals de grande envergure internationale qu’abrite la cité des Alizés tout au long de l’année, à l’instar du »Festival Les Andalousies Atlantiques » l’unique au monde à réserver ses scènes aux musiciens et chanteurs musulmans, juifs et chrétiens, ou encore »le Printemps Musical des Alizés », »Jazz sous l’Arganier » et le Festival Gnaoua et Musiques du Monde.
Durant une semaine, des milliers d’aficionados des musiques ont donc afflué vers cette cité atlantique, de tous horizons pour communier autour des musiques du monde, et la musique et tonalités »gnaouies ». des sonorités ancestrales, dont les sources nourricières se perdent dans les profondeurs du temps et de l’espace. Des moments magiques qui se sont succédés au souffle de la liberté et du plaisir, au son des »guembris » et des »crotales ».
En réservant donc un accueil des plus chaleureux à ses hôtes venus des 4 coins du monde, Essaouira n’a rien laissé au hasard pour que cette 21è édition du Festival Gnaoua et Musiques du Monde, organisée sous le Haut Patronage de SM le Roi, soit à la hauteur de leurs attentes et ce, avec une programmation qui, pour le moins qu’on puisse dire a été »formidable », »dense », »variée » et »alléchante’.
De vrais moments de musiques et de partage intenses, à travers des rencontres fusionnelles où des grands Maâlems gnaouis ont joué, côte à côte, de jazzmen de renommée planétaire. Et pour preuve, l’honneur a été rendu au Maâlem Hamid El Kasri en lui confiant la mission d’ouvrir le bal de ce Festival à la Place Moulay El Hassan, en offrant des moments inoubliables d’improvisations musicales, à son public, aux côtés des »G. Sanarky Puppy » de Brooklyn.
En veillant à confirmer son africanité comme lors des éditions précédentes, le Festival a invité cette année des stars de la scène africaine : Un duo féminin avec de grandes musiciennes en provenance du Mali : Amina Hamzaoui (Bnat Tombouctou) et Fatomata Diawara. Ensuite, c’est le groupe project BIM (Benin International Musical) qui a partagé la scène avec le Maâlem Hassan Boussou.
Et ce n’est pas tout. Les festivaliers ont été gratifiés par un autre show signé le célèbre percussionniste indien Zakir Hussain, qui a proposé un Jazz brassé, amplement puisé dans la musique populaire indienne, pour marquer ainsi son passage à Essaouira, par une fusion avec le Maâlem Said Oughassal, le maitre du Guembri.
Le festival a fait aussi de »la relève » son cheval de bataille. Mme Naila Tazi, sa productrice, a relevé dans ce sens que cette édition fait justement le pari de miser sur cette relève des Maâlems en mettant en scène des jeunes gnaouis d’Essaouira, de Marrakech et de Casablanca, venus après avoir repris le flambeau de leurs ainés pour perpétuer cet art majeur dans la notoriété et l’influencé ont depuis longtemps dépassé les frontières.
Dans le cadre de cette ouverture sur les jeunes, le Festival a gratifié son public d’un concert hautement assuré par le groupe avant- gardiste »Hoba Hoba Spirit », le temps de surfer entre le rock, le hip hop, le funk et le folklore marocain, en interprétant plusieurs titres célèbres de leur répertoire musical, en l’occurrence un dernier album intitulé »Kamayanbaghi ».
Le festival de Gnaoua c’est aussi des moments de réflexion et de débats. Cette année, dans le cadre de son partenariat avec le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH), une brochette d’intellectuels parmi la gent féminine, se sont réunis deux matinées durant, autour de la question de »l’impératif d’égalité », un thème choisi pour le 7è forum des droits de l’homme.
pour approfondir les débats, plusieurs questions ont été décortiquées. Il s’agit de : » les notions et les conséquences », »les avancées incontestables, des discriminations persistantes », »des sociétés en mouvement : initiatives en faveur des droits des femmes », et »les voies de la réforme ».
Parallèlement au festival, plusieurs activités ont été programmées dont des ateliers, des concerts intimes, des hommages posthumes aux Maâlems souiris, ainsi qu’une exposition intitulée »L’instrumenthèque d’Afrique ».
Il s’agit beaucoup plus d’un »projet », et une « quête identitaire et artistique », « un voyage » dans le temps et dans l’espace qui a permis, au bout de deux années, de répertorier et valoriser des instruments de musiques ancestraux, ingénieux, rares et parfois encore actuels.
Afin de joindre l’utile à l’agréable et mettre en valeur les instruments de musique africains, une table ronde a eue lieu au Musée Sidi Mohammed Ben Abdellah autour de »comment préserver l’instrument musical africain ? ».
Cette conférence est partie du principe que la musique a de tout temps été le ciment des mémoires et des sociétés. Recenser, collecter, conserver et valoriser les instruments de musique traditionnels africains est un enjeu essentiel afin que ce patrimoine puisse alimenter la construction des identités musicales de demain, estiment les chercheurs.
»Aujourd’hui, de nombreux instruments et pratiques sont menacés de disparition par manque de mécanismes de sauvegarde, de transmission et de formation, et à cause des réalités du marchés aléatoires et de maux divers. Comment maintenir vivace le patrimoine instrumental du Continent et l’engager dans la création musicale actuelle ? Telle donc est la question à laquelle on a tenté d’apporter des réponses.
In fine, Essaouira a relevé tous les défis, en démontrant encore une fois que la culture et les arts sont des vecteurs incontournables de tout développement dans son sens le plus large. Une démarche expérimentée et prouvée depuis plusieurs décennies à Essaouira alors qu’elle est bel et bien, cette belle cité qui défend, âme et coeur, toutes les valeurs les plus universelles et les plus nobles, d’ouverture, de partage, de tolérance et d’amour pour autrui.