« Et ton absence se fera chair » ou Confessions d’un deuil
Peut-on oublier des moments qui se sont imbriqués en nous à faire partie intégrante de notre identité ? Peut-on faire le deuil d’un amour qu’on porte en soi telle une deuxième peau qu’on ne voudrait jamais quitter ? Peut-on se faire à l’absence d’un être cher dont la présence n’est que plus pressante ? Peut-on se défaire de la mémoire du corps quand les pores de la peau transpirent le souffle de caresses qu’on s’acharne à maintenir et à faire revivre ? Peut-on étreindre le vide et s’en emplir jusqu’à contenir toute une vie qu’on veut faire durer ?
« Et ton absence se fera chair » sorti aux éditions Yovana, est la meilleure réponse à ces questions qui, finalement, ne sont que rhétoriques puisque d’emblée, ce titre de Siham Bouhlal est plus que révélateur. De son deuil, elle fait le noyau dur de son ouvrage émouvant à plus d’un égard même si la diversité et la variété des thèmes traités au fur et à mesure de la narration en font la richesse et la densité. Son deuil, elle l’écrit dans des mots qui ont la couleur de réminiscences récurrentes laissant transparaître toutefois sa douleur qui, au-delà des années, reste vive et béante. L’écriture a ceci de mystérieux, elle sait dire l’indicible, libérer le flux d’émois et d’effervescence et exprimer les souffrances les plus silencieuses.
Ce livre, né sous le signe de l’amour, de la passion et du deuil, est l’écrin d’une belle histoire d’amour qui va au-delà de la mort et vainc l’adversité qui sépare les personnes les plus proches. On peut dire que cette autobiographie ou autofiction a su faire d’une vie, même interrompue tragiquement et précocement, une romance pour l’éternité.
Echange avec l’outre-tombe
« Aimes-tu ce titre ? », « Aimes-tu ma vie ? », « Ton absence semblait me prendre par le cou comme un amant à l’improviste… » … C’est dans ce langage amoureux voire enflammé et en des termes bouleversants et palpitants que Siham Bouhlal s’adresse à son compagnon que la mort n’a pas réussi à éloigner. L’écrivaine refuse de troquer une passion fusionnelle vécue dans une poétique de l’entre-deux contre l’oubli imposé par la séparation. Par ce livre qu’elle a écrit en huit ans, elle veut faire durer le souvenir vivace de moments qui ont fait son bonheur même quand la maladie s’est invitée cruellement dans le corps dont le sien était l’écho. Une douleur qui ne vieillit pas. Elle écrit pour retenir la mémoire d’un amour pur, tellement parfait qu’il ne peut disparaître bien que le bien-aimé ne soit plus là. A travers cette écriture, l’auteure remonte dans le temps et dans les souvenirs pour revivre une idylle incrustée en elle et gravée en lettres d’or.
Ce roman qu’elle dédie à un homme public, que tout le monde a connu pour son courage, son militantisme et ses valeurs, nous donne à voir l’homme humain, sensible et amoureux qu’il était et nous fait plonger dans l’intimité quotidienne et fusionnelle d’une vie à deux, un amour passionnel qui se veut éternel, une fusion autant charnelle qu’intellectuelle, à la vie à la mort. Pour rendre hommage à ce grand homme, elle partage son histoire avec les lecteurs, les moments d’une vie forte de sa complicité et de sa complémentarité dans la joie, mais aussi dans la maladie et la douleur. De ses maux elle a su faire des mots sublimes qui atténuent voire éclairent les ténèbres du vide et de l’absence. Un labyrinthe de sensations et d’émotions. Une prose qui nous transporte dans un monde parallèle auquel on accède à travers des volutes de sentiments tendres, sensuels, douloureux des fois tant et si bien qu’on est propulsé dans une intimité qui gêne parfois mais qui rallume la flamme de l’espoir et de l’amour. Du fond de son chagrin, elle lance un appel à la vie, à celle que son homme voudrait qu’elle mène, elle qui est restée après lui.
« A toi Driss voici notre histoire, romancée ou bien rêvée »
Dans « Et ton absence se fera chair », Siham Bouhlal a une quête, celle d’aller au bout de la mort qui, aussi cruelle qu’elle soit, nous arrache, à l’évidence, des êtres chers mais elle est incapable de nous extirper des souvenirs dont on se ressource surtout quand ils ont été l’œuvre d’un amour pur, puissant, passionné et passionnant.
En somme, ce roman est une ode à l’amour, un hymne que l’auteure a voulu chanter à celui qu’elle aime tant malgré l’absence. Par cet écrit poétiquement prenant, Siham Bouhlal déjoue les plans de l’oubli de ce vivant-mort et de ses souvenirs obsessionnels qui la hantent. Non, elle n’écrit pas pour oublier mais plutôt pour revivre encore avec et dans le souvenir de son homme. En s’adressant à lui à travers son roman, elle tente de comprendre et de se faire à l’absence, au vide et au manque. Mais durant les huit ans qu’a duré son écriture, elle ne faisait que chercher le moyen pour le ramener à la vie ou du moins pérenniser ses souvenirs dans son cœur et son corps. Avec Siham Bouhlal, on a la nette conviction que l’amour ne dure pas seulement « trois ans » mais il va au-delà de la pierre tombale.