Exlusif : Gabriel Banon se raconte «De la rue de Tanger à l’Élysée»
épisode V
Gabriel BANON, un nom qui à lui seul constitue un pan de l’Histoire. La vie de ce grand enfant de Casablanca s’offre à nous sur plusieurs toiles de fond aussi luxuriantes les unes que les autres. Parler de Gabriel BANON n’est pas chose aisée quand bien même on serait son meilleur ami tellement sa vie est riche, passionnante et singulière. Enfant, il avait joué avec des princes. Adulte, il allait conseiller et chuchoter à l’oreille des grands de son époque allant du Roi de Suède, au Président russe en passant par Yasser Arafat et George Bush père. Comment pourraiton donc raconter la vie de celui qui fut l’ami des grands de ce siècle comme Henry Kissinger ou encore l’ancien président Gerald Ford et bien d’autres sachant qu’on omettrait bien des chapitres palpitants d’une vie exceptionnelle à tous égards ? Gabriel BANON c’est aussi une carrière riche de rencontres de haut niveau que lui seul pourrait nous raconter. Pendant bien des années, tous ses amis et son entourage l’ont exhorté à écrire sa vie mais la modestie des grands l’en a toujours empêché. Peut-être aussi son sens de responsabilité et surtout de discrétion lui qui garde bien au fond de lui des secrets d’Etats. À mon grand bonheur, et je peux même m’en sentir fière, je l’ai convaincu de le faire par devoir de partage, lui qui a beaucoup de choses à nous apprendre. Dans ces épisodes que nous allons publier, au fil des éditions, Gabriel se confiera à nous, se racontera et nous embarquera dans un voyage savoureux dans les arcanes de son monde fabuleux mais bien des fois tumultueux. «Nous sommes en septembre 1956, l’atmosphère a changé au quartier général. Les mines sont graves, la tension Israël-Égypte est à son comble. Les raids menés par des combattants palestiniens, les fedayins, au Sinaï, territoire égyptien, se multiplient, avec la connivence déclarée du pouvoir nassérien. C’est le colonel Gamal Abdel Nasser qui mène la danse. Il bloque le golfe d’Aquaba et ferme le canal de Suez aux navires israéliens. Il nationalise le canal, détenu à 44% par des intérêts franco-britanniques. La guerre n’est pas loin. Les Israéliens s’y préparent ouvertement. Les vols d’entraînements se multiplient. Peu de jours avant le début des hostilités, une escadrille de Mystère IV atterrit discrètement sur une base, près de Tel Aviv. Le soir, les cocardes, bleu, blanc, rouge, disparaissent sous l’étoile de David. C’est des officiers, au plus haut niveau qui sont, discrètement, à la manœuvre. L’expédition de Suez, appelée opération Kadesh par les Israéliens, véritable guerre-éclair, va mener les forces israéliennes au bord du canal, à la porte de Port-Saïd. Cette expédition est l’expression d’une alliance secrète, le protocole de Sèvres, formée par l’État d’Israël, la France et le Royaume-Uni. Des intérêts convergents expliquent cette coalition. C’est le Général Massu qui supervisera les opérations de Chypre, surtout les attaques combinées des forces britanniques et françaises, essentiellement aériennes, peu de soldats au sol, hormis les forces israéliennes. La débandade de l’armée égyptienne surprend tout le monde. Les Israéliens sont obligés, à court d’essence, de continuer la poursuite, en utilisant les véhicules abandonnés par l’ennemi. On peindra sur le matériel égyptien, à la hâte, un X et pas une Croix. C’est une exigence des aumôniers de Tsahal, l’armée de l’État d’Israël. Ne voulant pas faire trop de prisonniers, on laissera une voie libre aux Égyptiens pour fuir les combats. Cela sera la voie du chemin de fer reliant Gaza à l’Égypte. En survolant, en Piper d’observation, cette voie, je pus constater, de visu, la retraite désorganisée des forces de Nasser. Se préparant à passer à l’autre rive du canal, l’ultimatum donné par l’ONU d’arrêter « l’invasion », sous la pression de Washington et de Moscou, fait l’effet d’une douche. Ce sont les Anglais qui obtempèrent les premiers, et ce, rapidement. Malgré ses râlantes et ses hurlements, le Général Massu est obligé d’obéir aux ordres confirmés par Paris. Les Israéliens sont, à leur tour, obligés d’arrêter leur expédition punitive. Ils avaient mis deux à trois jours pour occuper le Sinaï et la rive orientale du canal de Suez. Ils mettront plus de deux mois pour revenir à leurs bases, non sans avoir, auparavant, détruit toute les installations militaires égyptiennes dans le désert et ramené un véritable butin, jeeps, command cars, tanks, canons, etc. Depuis sa création, l’État d’Israël est en guerre. L’aviation est un atout, objet de tous ses soins. Les quelques Piper Club du début et un ou deux Ouragans français ont cédé la place à des escadrilles de Mystères IV, A et B qui s’enrichiront de Mirages et de Fougas-Magister pour l’entraînement. C’est plus tard, après mon départ, que les Américains livreront aux Israéliens leurs premiers avions de chasse F15. Israël a continué de renforcer son aviation, lui assurant, sans conteste, la maîtrise du ciel. Le tank israélien, le Merkava, de fabrication nationale, lui assure une certaine indépendance, dans l’équipement militaire. L’armée de terre, supérieurement entraînée, bénéficie des dernières avancées technologiques. La marine est perpétuellement développement. Ces deux armes font de Tsahal la première armée du Moyen-Orient. Mon contrat touche à sa fin. Le Général Tolkovskiy me propose de le renouveler pour un, deux ou trois ans. Je suis tenté mais je lui réponds que la décision est du ressort de ma femme. S’il peut la convaincre de rester, je serai d’accord. Il organisa un dîner au Dan hôtel, le palace de l’époque. Guilaine en était l’invitée d’honneur. Sur le chemin du retour, elle m’apostropha ; « c’était un piège ! Non, ton contrat est terminé, on rentre ! » Pour elle, il importait que les enfants entrent en date et heure, à l’école de la République. Le lendemain, j’informai le Colonel que je ne renouvelais pas mon contrat. J’entrepris le tour des bases pour saluer les commandants, devenus des amis. On m’avait donné un Piper Club pour ce faire. Le pilote était un jeune de l’école de l’air qui rêvait de devenir Jetfighter, pilote de chasse. À la dernière base, l’atterrissage fut acrobatique. Saute de vent, faute d’inattention, on se retrouva sur le dos, le vrai cheval de bois. On s’extirpa, tant bien que mal, avant d’être noyés sous une couche de neige carbonique. Le commandant de la base arriva immédiatement, nous récupéra, en route pour le mess. – « Je vais te donner un autre piper, il faut reprendre l’air immédiatement. Tu dois faire un petit tour tout de suite, je te donne un autre pilote » dit-il. – « D’accord, lui répondis-je, mais avec le même pilote. »
Mon contrat touche à sa fin. Le Général Tolkovskiy me propose de le renouveler
je lui réponds que la décision est du ressort de ma femme.
Ce dernier me remercia chaleureusement pour cette marque de confiance. Je ne voulais pas porter une ombre à ses ambitions de pilote. Il fut fait ainsi. Après le pot d’usage, on reprit le chemin de Ramla et de l’infirmerie, car j’avais quelques égratignures sans conséquences. C’est le retour à Paris, enrichi d’une expérience inoubliable. Les économies mises de côté, durant ces deux années, devraient me permettre de ne pas trop paniquer dans ma recherche d’un point de chute. Il fallait quand même ne pas trop traîner. L’oncle de Guilaine gérait l’hôtel de sa femme à Paris, près de Notre-Dame-des-Lorettes. C’était l’Hôtel Britany, rue Saint Lazare, dans le neuvième arrondissement. Pour quelques jours, le temps de se retourner, c’était utile. Mais il ne fallait pas trop s’éterniser, avec les enfants qui courraient dans les couloirs de l’hôtel. Nous prîmes la décision, Guilaine et moi, de mettre les enfants en nourrice, en Normandie, le temps de s’organiser. Guilaine avait un frère qui habitait Caen, cela facilitait les choses. De retour à Paris, nous voilà libres de nos mouvements, non sans un serrement de cœur. C’était la première fois que l’on se séparaient de nos deux bambins. J’avais, avant de rentrer en France, pris quelques contacts avec certaines entreprises qui travaillaient en Israël, particulièrement dans l’aviation. C’est ainsi qu’en rentrant, je rendis visite à Jacques Muller, Président fondateur de Rellumix, société spécialisée dans les problèmes si importants de la filtration et l’épuration des liquides, en particulier des hydrocarbures, spécialement ceux destinés au ravitaillement des avions à réaction comme les Mystères IV que l’armée de l’air israélienne avait acquis (en 1955). Muller me fut d’une grande aide pour mon intégration dans la vie industrielle française. Je me mis aussitôt à éplucher les annonces d’offres d’emploi. Je répondis à certaines qui me paraissaient conformes à mes possibilités. Difficile gageure car je n’avais aucune référence en France. L’une avait particulièrement attiré mon attention, une annonce de Suez qui recherchait un ingénieur, cadre supérieur, ayant une expérience à l’étranger. Je passais les différentes étapes de sélection, avec succès, je pense, puisque je fus convoqué pour un entretien final avec le directeur général adjoint. Après une conversation à bâtons rompus, il m’annonça que j’étais retenu. « Allons voir notre Président, à cette étape et à ce niveau, il aime rencontrer personnellement le postulant retenu ! » me dit-il. Nous voilà dans le saint des saints ! Le Président, très affable, me dit combien il était favorablement impressionné par mon parcours, spécialement au Moyen-Orient. Il fut très curieux sur les personnalités israéliennes avec lesquelles j’eus à travailler. Aux détours de la conversation, il me demanda si je n’avais pas eu des difficultés à travailler avec les Israéliens. « Aucunement », lui répondis-je, d’autant plus que je suis juif. Silence… J’ai eu la nette impression que j’ai dit ce qu’il ne fallait pas dire. «Bien, bien, nous allons réfléchir, on vous écrira ! » Bien entendu, je n’ai plus entendu parler de cette multinationale qu’était Suez. (Je me souviendrai du président de Suez lorsque je serai en poste à l’Élysée). Cela a été une douche froide, à plus d’un titre. L’un était avant tout, une possibilité de travail qui s’évanouissait, l’autre a été de découvrir qu’être juif, pouvait être, encore de nos jours, un handicap dans une recherche d’emploi en France. Je reconnais que j’avais mis quelques jours à digérer ce double constat. Une leçon que j’ai retenue. En France, il était encore et toujours pas bon de dire qu’on était juif. Je me résolus, -ce que je voulais éviter-, à utiliser une recommandation familiale auprès d’Hyppolite Worms, président de la banque du même nom. Je rendis donc visite à ce dernier. Hyppolite Worms avait une philosophie qui lui était propre et qu’il mettait toujours en application : une entreprise dont il était le banquier principal, ne devait jamais déposer le bilan. Il organisa et développa, au sein de la banque, des équipes d’interventions, véritables commandos de la chose industrielle. Les sociétés en difficulté qui tombaient dans le giron de la banque, étaient redressées, restructurées et l’on vendait les parties qui pouvaient l’être pour, en finale, repasser la main à un industriel de la branche. La banque Worms venait d’intégrer les usines Japy dans ce système et avait désigné une équipe pour ce faire. À la suite de cet entretien, il me fut demandé de rencontrer Monsieur Pollack, nouveau Secrétaire général de la société Japy ainsi que Lucien Cabanié, un polytechnicien, directeur technique, chargé du développement. C’était pour m’intégrer dans l’équipe, comme directeur des usines à Feches-le-Chatel dans le Doubs, près de Montbéliard, dans le triangle industriel Belfort Sochaux Montbéliard. Mes minces références (ce poste allait être pour moi le premier dans l’industrie civile), surtout militaires et universitaires, n’ont -je crois- suffi que par la demande directe d’Hyppolite Worms qui, après notre entretien, avait peutêtre détecté un bon élément. Je fus donc retenu mais avec obligation de résider à Montbéliard. Bien sûr, j’étais d’accord. Tout vaut mieux que de résider à l’hôtel, en recherche d’emploi. « -Maintenant, il faut rencontrer le Président », me dit Pollack, et après un coup de fil au secrétariat du Président, il me confirma : « -Demain à 11 heures, au siège, avenue des Champs Élysées. » « -Ah oui, me dit Cabanié, notre Président est André Dewavrin, vous savez, le colonel Passy ! » Je ne fis pas de commentaires et je ne demandai pas qui était ce Colonel Passy. J’avais pris note du lieu et de l’heure du rendez-vous et me dépêchai de rentrer à l’hôtel pour annoncer la bonne nouvelle, non sans quelque appréhension sur la réaction de Guilaine pour le lieu de notre prochaine résidence. Rentré à l’hôtel, j’informai ma femme, attendant sa réaction. Pour tout commentaire, elle me dit avec un sourire qui se voulait encourageant : « Alors, on part quand ? ». Ce fut ainsi que commença l’aventure Montbéliardaise. Avant de rencontrer André Dewavrin, je glanais de-ci de-là des informations sur le personnage. Je découvris un monument de la résistance. Polytechnicien, capitaine puis professeur à l’école militaire de Saint-Cyr, il participe à la campagne de Norvège, en 1940, sous les ordres du Général Béthouart. Dès le mois de juillet de la même année, il rejoint Charles De Gaulle à Londres. Il est l’organisateur et le chef des services secrets de la France libre. Héros reconnu, il est parachuté dans la région de Guingamp en Bretagne, où il prend la tête d’un groupe armé composé de membres des Forces françaises de l’intérieur et de soldats américains