Femmes marocaines : Un si long chemin et un statut en suspens
Dossier du mois
Laurence Pernoud l’avait si bien dit : «L’ensemble de l’évolution de la femme fait penser à ces roues de la fortune où on voit un personnage qui monte, qui triomphe quelque temps, puis amorce la descente pour retomber au plus bas». Au Maroc, le vent de liberté qui semble souffler, de temps à autre, se mue en sirocco de telle façon que n’importe quel petit événement peut remettre en question les droits de la femme qui ne sont jamais vraiment acquis. Il est vrai que son statut a fait un bout de chemin depuis l’indépendance, toutefois il reste en suspens bien qu’elle ait investi le champ public et joué un rôle capital dans le processus du développement et de démocratisation du pays. Aujourd’hui plus que jamais, les droits des femmes marocaines sont menacés par un retour de courants islamistes extrémistes. C’est dire que le combat n’est jamais gagné et qu’il renaît de ses cendres. Bien entendu, des mentalités commencent à changer mais rien n’est totalement gagné.
Un combat de tous les jours
Rappelons qu’à partir de 2000, le Maroc s’est engagé dans un processus de transition démocratique, fondée sur la consécration des principes fondamentaux notamment la promotion et la protection des droits de l’Homme, des libertés et d’égalité entre l’homme et la femme. Cette transition démocratique a permis au Maroc d’engager de grandes réformes institutionnelles, législatives et politiques.
Dans ce sens, la réforme du code de la famille en février 2004, instaurée par S.M. Mohammed VI, véritable révolution, était censée donner plus d’indépendance et donc de poids à la femme dans la cellule familiale. Et c’est ainsi donc qu’une nouvelle étape d’une grande importance marque l’histoire des droits de l’Homme par ce Code qui a remplacé l’ancienne Moudawana des années 1950, consacrant pour ainsi dire, et de manière progressive, des principes de liberté et d’égalité entre les deux sexes. Or les applications butent devant les failles juridiques et le manque de moyens. D’entrée de jeu, le Maroc basculait dans la modernité avec ce nouveau code de la famille axé sur l’égalité et la parité. Néanmoins, un changement social qui se veut radical et qui suppose l’accès à une modernité réfléchie ne peut avoir lieu sans une révolution culturelle et sociale où la place et le rôle des femmes sont à repenser. Malheureusement, le bilan reste contrasté et mitigé, plus d’une décennie après.
Athéna est marocaine
Intelligente, battante, stratège, diplomate, sage, protectrice, la femme marocaine s’est emparée de son destin, a brisé les fers, et se délivre, de plus en plus, des boulets qui la maintenaient en otage de clichés et de stéréotypes archaïques. Epanouie, engagée, active et dynamique, elle s’active au rythme d’un Maroc en marche qui a choisi la voie de la démocratisation. Et celle-ci bien entendu ne peut s’opérer sans une femme libre et des hommes libérés de leurs préjugés et d’une mentalité rétrograde. De facto, la place actuelle de la femme au Maroc n’est pas un hasard mais le fruit d’un combat de longue haleine. Se détachant, de plus en plus, de la puissance de l’homme et des lois qui font d’elles des « mineures à vie » des femmes marocaines de grande intelligence, de grand talent ne sont plus confinées dans le simple rôle d’épouses et de mères nourricières gardiennes des valeurs et d’habitudes traditionnelles.
Déterminées, elles savent pertinemment qu’elles ne peuvent compter que sur elles-mêmes pour arracher leurs droits. Conscientes aussi que le socle de leur liberté repose sur leur indépendance financière, elles ont résisté au pouvoir des hommes se départant de la soumission maritale que les traditions leur ont imposée, et se sont emparée, d’une main de fer, de champs clos autrefois réservés à l’homme. En investissant le marché de l’emploi, elles contribuent désormais aux revenus de leurs foyers. Ce qui se répercute bien évidemment sur les comportements familiaux, également transformés par l’urbanisation grandissante du pays. Ces jeunes femmes prolongent davantage leurs études de telle manière que l’âge moyen du mariage a énormément reculé et passe de 17,5 en 1960 à 26,6 en 2010 chez les Marocaines. En même temps, le taux de fécondité chute, en moyenne, de 7,2 à 2,1 enfants par femme. Cette baisse naturelle de la natalité s’observe dans tous les pays en transition où l’éducation des filles est promue.
L’égalité se fait attendre
Depuis les années 40, la bataille pour les droits et l’égalité des femmes est donc bien en marche, mais elle se heurte toujours aux lenteurs politiques et à l’évolution apathique des mentalités. Il est vrai que depuis une dizaine d’années plusieurs textes ont été votés allant dans le sens de l’émancipation mais dans les faits l’égalité se fait attendre.
En effet, en 2003 puis 2004, il y a eu des changements juridiques dans le code du travail et le code de la famille en vue d’une plus grande égalité homme/femme, notamment dans les salaires, le traitement au sein de la famille… Puis en 2011, il y a eu un changement dans la Constitution qui a inscrit l’égalité comme étant l’un des fondamentaux du corpus juridique marocain consacrant dix-huit dispositions aux droits de la femme. Sauf que leur application est loin d’être effective, faute de promulgation de nouvelles lois et d’harmonisation de l’arsenal juridique.
Il faut même dire que dans le quotidien, on a l’impression qu’il y a un recul. Force est de constater que bien que l’autonomie juridique ait, pendant longtemps, mobilisé le mouvement des femmes et que des avancées salutaires aient eu lieu, de grandes disparités creusent le fossé entre les catégories sociales nanties et celles défavorisées et persistent encore plus entre le milieu urbain et rural surtout au niveau social et économique.
En plus donc d’une volonté hésitante de la part des dirigeants, d’autres facteurs favorisent malheureusement ce décalage et ces inégalités bien ancrées, à savoir le taux d’analphabétisme qui est très fort (hommes et femmes confondus on est à 33 %). D’autant plus que l’éducation des femmes constitue encore un handicap quant au clivage entre la vie dans les villes et la vie dans les campagnes qui est énorme.
D’un autre côté, si le Code du travail a permis des progrès notables dans le domaine de la non-discrimination, il ne statue malheureusement pas sur des secteurs d’emploi très féminisés, comme le service domestique ou le travail agricole non rémunéré.
Par ailleurs, un problème d’accès à l’information n’arrange pas les choses quand on sait que des lois sont passées mais que toute la population ne le sait pas forcément. En somme, il y a une très grande résistance de la part de la société marocaine qui est patriarcale et des gens censés appliquer la loi.
La nécessité d’une véritable approche
Oui, être femme marocaine n’est plus une fatalité mais un destin que toutes ou presque assument avec assurance et détermination. Elles ont pris un élan irrépressible et comptent bien faire entendre leur voix et braver le machisme des lois et affronter l’injustice d’une société misogyne, exclusionniste, dont la visée est de les marginaliser.
Convaincues de leur poids dans la société dont elles constituent la richesse, et de leur rôle qui n’est pas des moindres sur l’échiquier national, politique, économique et socio-culturel, elles oeuvrent et excellent, chacune dans son domaine. Piliers majeurs de la société, aussi bien dans les villes que dans les campagnes, elles assument les mêmes rôles, les mêmes responsabilités que l’homme avec la même intelligence, la même compétence et la même ardeur patriotique. Rebelles et insoumises à l’emprise de l’homme, elles n’ont plus rien à prouver ni besoin de justifier le bien-fondé de leur existence parce qu’elles arrachent leurs droits au prix d’un long combat. Conscientes que le changement ne se fera que par les femmes elles-mêmes, elles font leurs lettres de noblesse. Ceci dit, l’égalité et la parité sont loin d’être acquises mais les militantes se passent le flambeau de génération en génération. Tout bien considéré, les femmes marocaines se libèrent, et avec elles le paysage social et économique du pays. Il faut bien dire que Phaenna « la Brillante » a certainement des origines marocaines.