Festival des gnaouas ou quand Essaouira exprime les valeurs d’un modèle de penser l’humanité
Par Hassan Alaoui
Du jeudi 22 au dimanche 25 juin Essaouira abritera sur ses diverses et traditionnelles scènes musicales la 24ème édition du « Festival gnaoua, musiques du monde ». Fédérant les troupes des gnaoua et des dizaines de groupes venus d’horizons différents du monde entier, cette édition nous revient après l’interruption de deux ans, suite à la pandémie du Covid-19. Elle est accueillie avec un engouement sans précédent, renforçant ainsi la conviction de ses promoteurs qui ont tout investi pour sa réussite et pour lui conférer ses lustres. Le Festival des Gnaoua d’Essaouira incarne la diversité des cultures et la civilisation au pluriel.
Quelques heures seulement nous séparent de l’ouverture du Festival annuel des « Gnaoua, musique du monde » qui sera organisé du jeudi 22 au dimanche 25 juin à Essaouira. Cette année sera également célébré son 24ème anniversaire dans un élan inédit, marqué au sceau d’une irréversible continuité, elle-même signe d’un parcours qui est loin d’avoir été facile ou simple. Ces trois dernières années, dans la foulée des « intempéries » naturelles voire même des catastrophes comme le Covid-19, mais aussi des difficultés extrêmes pour les organisateurs à réunir les moyens financiers – à chaque année un véritable tour de force -, le Festival a été soumis à rude épreuve, pour ne pas dire menacé, n’était la volonté irréductible de ses responsables, en premier lieu Naila Tazi, sa fondatrice, de lutter mordicus pour son maintien. Elle s’est fait un devoir de relever le défi, de démentir les lugubres interprétations voire les pronostics qui, dans un mouvement de catastrophisme ambiant, se sont, ici et là, ont vite cru porter l’estocade.
Las ! En effet las…
La reconnaissance par l’UNESCO
Dans la difficulté, mais aussi et surtout dans la continuité résiliente, la 24ème édition réunira donc l’immense communauté multi-éthnique d’une manifestation culturelle et musicale qui constitue à coup sûr – en tout cas sur ce plan – l’événement majeur de la vie sociale et culturelle du Maroc. Autrement dit, le rassemblement le plus significatif, le plus populaire et cosmopolite. Les groupes gnaouas fédèrent depuis un demi siècle les musiques et artistes du monde entier. S’ils incarnent la raison d’être du Festival, ils sont aussi le miroir vivant de l’ouverture du Royaume sur le reste du monde, les passeurs de témoin d’une tradition musicale plus qu’ancestrale et, leur reconnaissance par l’UNESCO aidant, les porteurs d’un récit national reconnu à travers le monde, puisqu’ils figurent désormais depuis 2019 dans l’honorable patrimoine mondial de cette illustre institution.
Cette 24ème édition revient donc sur des chapeaux de roue, après une éclipse de presque trois ans. Elle suscite déjà un engouement sans précédent depuis des mois, son écho soufflant sur l’horizon universel de la culture. Le Covid-19 ayant eu peut-être raison des dernières éditions, le Festival reprend en revanche ses droits et impose de nouveau ses marques. Inutile de dire que la foule sera nombreuse, diversifiée, colorée, intense et fidèle. Une marée humaine, comme surgie de tous les coins, fédérée et attachée au principe sacré du partage que ce festival a su forger près de vingt-cinq ans durant. Et qui est au concept de la liberté ce que le mouvement de l’histoire est à un pays en plein essor. Sans doute, Neila Tazi et ses équipes n’avaient-elles pas pris totalement conscience quand elle avait fondé le Festival de l’importance et de la dimension qu’il prendrait à terme. Sans doute aussi, ne se rendait-elle pas compte qu’en voulant rendre hommage à la musique gnaoua , en réhabilitant un patrimoine – tombé pendant longtemps dans les limbes de l’oubli -, non seulement elle lui rendait justice, mais en construisait un rêve, un rêve de siècle devenu celui des populations entières, d’un peuple en quête identitaire, assoiffé de liberté et désireux de s’affirmer.
L’autre dimension du Festival
Le Festival des Gnaoua a brisé l’angle mort d’une ville et même d’une région longtemps assoupie dans son indifférence et son oubli, recluse dans une scandaleuse et lasse posture d’abandon. Cependant, si sa durée annuelle se limite à quatre jours, il se caractérise en revanche par une activité économique et commerciale plus intense que d’habitude, qui au-delà suscite et conforte une tendance que la ville est appelée de plus en plus à gérer : la renaissance et l’aménagement que les autorités s’efforcent de lui impulser. On ne compte plus les changements, urbains, immobiliers touristiques, environnementaux, architecturaux et bien entendu socio-culturels qui ont transformé le visage de la ville. C’est peu dire que ce sont-là les quelques retombées du nouveau rayonnement de la ville, lequel doit bien évidemment beaucoup à l’intérêt porté sur elle à la fois par les pouvoirs publics, certains investisseurs et in fine le public qui afflue chaque année de manière impressionnante. Il convient de souligner que l’Etat lui-même s’est inscrit dans cette dynamique de renaissance, et de redécouverte des potentialités d’Essaouira devenue un des lieux privilégiés de vacances qu’elle offre aux touristes toute l’année durant.
Sous l’impulsion royale, plusieurs projets d’infrastructures, d’équipements, de rénovation ont vu le jour, ont été lancés ou sont encore programmés pour mettre la ville à niveau, la développer et rattraper le retard dont elle a souffert des décennies durant. La ville d’Essaouira est sortie de l’ombre dans laquelle elle était plongée, en partie grâce au festival des Gnaoua qui lui ont imprimé une dimension inédite et une quintessence salvatrice. L’engagement aussi d’un André Azoulay, natif de la ville, enfant de la cité reste exemplaire, il a voué son existence à la défendre avec force conviction, à insuffler une passion quasi irrationnelle qu’il partage avec une assiduité à toute épreuve. Essaouira –Mogador reste le combat de sa vie, sa raison d’être. La ville, ses habitants et toutes celles et ceux qui s’y retrouvent, lui doivent plus que la reconnaissance, plus que l’attachement admiratif. Nombreux sont ceux qui, effectivement, n’hésitent pas à établir ce lien quasi organique entre le succès du festival et le renouveau dont elle se pare chaque jour un peu plus. Voilà, et nous sommes tous d’accord d’affirmer que l’un des fils conducteurs de cette renaissance d’Essaouira est à n’en pas douter le Festival gnaouas qui n’est pas seulement venu réhabiliter un immense et lourd héritage musical et artistique, réenraciner un pays dans sa mémoire africaine, mais surtout souligner, approfondir la mission du Maroc dans sa dimension continentale.
La musique gnaouie a retrouvé ses lettres de noblesse sous les remparts d’une ville, qui n’avait de cesse d’être le réceptacle interculturel de toutes les vocations, des musiques universelles, des créations africaines jusqu’à celles des Caraïbes et de l’Asie. Un kaléidoscope qui transpire la fraîcheur et la convivialité, nous invite a réinventer la tolérance et la fraternité. La musique est devenue le confluent des apports divers, cette mosaïque où tolérance, expressivité et parole libérée – sous l’arbre à palabre comme on dit, cette Agora improvisée qui est à ces trois jours du festival ce que la cité antique fut au dialogue démocratique. Deux ans d’interruption pour raison sanitaire n’ont pas entamé la conviction de sa fondatrice, Neila Tazi qui, soumise à l’interminable questionnement sur son œuvre et sur elle-même, se fait un devoir d’être vent debout, de nourrir ce rêve commun – non sans angoisse – que les fidèles qui la suivent épousent la conviction chevillée au corps.
Il faut en effet lui rendre l’hommage idoine parce que son engagement est d’abord un acte de vertueux engagement, une manière de conviction patriotique, l’attachement aux valeurs que sous-tend une vision de Sa Majesté le Roi, lui-même porteur de l’inlassable message de liberté et de tolérance, ardemment attaché à l’édification d’un modèle de liberté, de ce Maroc qui a choisi l’émancipation contre vents et marées. Qu’Essaouira, enfouie bon an mal an pendant des lustres, se libère de son carcan et donne la pleine mesure de la créativité et de la liberté par l’art et la musique ne fait aucun doute. La directrice et productrice du festival ne s’y est pas trompée en affirmant vouloir « capitaliser sur 25 ans d’un festival qui a beaucoup apporté à notre pays ». Maintenant qu’une sortie de crise en cours a été rendue possible grâce aux soutiens des secteurs public et privé, le festival continuera sur la lancée, en termes de programmation et de créativités. Les groupes invités relèvent d’un souci d’innovation, d’originalité et d’adaptation aux tendances, ils incarnent en dernier ressort une volonté d’ouverture sur le monde, Essaouira devenant de ce fait un « Global village » pour reprendre la belle expression du sociologue canadien des années soixante du siècle dernier Mc Luhan.
Dans le sillage royal
La force et je dirais même la puissance du « Festival gnaoua, musiques du monde » est justement sa dimension populaire, cette audacieuse vision de l’offrir gratuitement au peuple marocain et autres, de permettre aux jeunes d’accéder à ce standard de la musicologie prisée dans le monde, de leur offrir une passerelle inespérée et quasi fermée pour approcher ce nec plus ultra de la musique et des artistes venus de tous les horizons. « Gnaoua, musiques du monde » n’est pas un festival comme les autres, il a cette particularité de se produire dans une ville longtemps enclavée, qu’il a réussi en moins de vingt-cinq ans à sortir de son isolement criard, à faire émerger. Les visites royales et les inaugurations auxquelles le Souverain a procédé – dont Bayt Dakira notamment – témoignent en effet de son renouveau tout à renforçant son ancrage mémoriel dans cette cité atlantique. De cette institution, sous l’impulsion royale, André Azoulay a fait un lieu de mémoire certes, mais le symbole vivant de la convivialité religieuse la raison d’espérance de la communauté israélite qui retrouve ses racines dans le cœur de la Médina et nous renvoie à notre histoire si riche.
Les promoteurs du « Festival gnaoua, musiques du monde » ont pratiquement crée l’événement dans l’événement. Il s’agit du Forum des droits de l’Homme, une séquence qui vient s’inscrire dans le concert , c’est le cas de le dire, des festivités, des soirées musicales et des expositions diverses. Cette année, le thème retenu est « Identités et appartenances », il a la particularité d’aborder donc un sujet d’actualité à un moment où le discours des gouvernements et des Etats dans le monde convergent sur la difficulté à accepter une définition rigoureuse et juste. Qui mieux qu’Essaouira, en effet, eût-il vocation à traiter une telle problématique qui , de par le monde, confronte les uns et les autres. Les deux termes du débat sont à la fois opposés voire contradictoires et complémentaires. Les intervenants dans ce forum exceptionnel viennent d’horizons interdisciplinaires et de milieux culturels différents.
Un Forum qui nous interpelle
Le débat qui intéresse et d’une certaine manière « embrase la planète » convoque ici politologues, sociologues, anthropologues, historiens, économistes, académiciens bien entendu. Il nous aidera peut-être à nous déprendre, l’espace d’un festival universel, à nous déprendre de nos contingences et nos égoïsmes sacrés. C’est aussi ça un Festival où la part de l’humanisme, non béat mais serein et actif, est préservée voire exaltée. Quant on met en exergue la continuité du Festival, ce n’est pas seulement pour invoquer une dimension temporelle, mais le projet philosophique d’un espace et d’une temporalité, cette « pierre tombale » qui est à la ville ce que le symbole intemporel justement est à notre histoire. Le Festival des gnaoua avait été lancé comme un événement rassembleur, à la limite par des mélomanes, il est à présent et sera encore un projet national, à dimension internationale, l’un de ces arc-en-ciel qui façonnent l’image d’un règne même, celui de Mohammed VI qui est au Maroc en marche d’aujourd’hui ce que le phare de l’intelligence, de l’unité , de l’adhésion, de la tolérance et de la liberté est à la jeunesse…