Florilège culturel pour un éloge de la ville
La 5ème édition du cycle Florilège culturel qui vient de s’achever à Rabat avait pour thème « La ville de demain, de la cité vertueuse à la ville intelligente ».
Organisée par l’association Ribat Al Fath et pilotée par son Président Abdelkrim Bennani – inlassable artisan pour un plaidoyer du développement durable –, la présente édition s’est employée à regrouper des intelligences collectives nationales autour d’un débat sur une thématique à défis multiples en termes de croissance urbaine maîtrisée, de réduction de la fracture urbaine, d’inclusion sociale et d’amélioration des conditions de vie. Des défis dont se font l’écho l’association et nombre de composantes de la société civile, pour une ville en partage et un mieux-vivre ensemble.
Cette lecture plurielle sur l’avenir de la ville s’est accompagnée d’une animation culturelle articulée autour d’expositions, d’un concert dédié à la cité et d’une agora livresque sous la forme d’une « Khaïma culturelle » – plantée dans le quartier Hay Ryad –, espace symbolique de la culture orale, de la sociabilité et du savoir, comme en témoigne la présentation de l’ouvrage « Mémoire, identité et patrie… mémoires de Dakhla », un plaidoyer sur l’intégrité territoriale du Royaume du Maroc, selon une approche alliant histoire, espace et société.
Sous un titre ambitieux et tourné vers le futur, il s’agissait de mieux cerner la ville de demain sur les bases de l’éthique et de la moralité développées par Socrate dans la cité idéale, et par Al Farabi dans « La Cité vertueuse » – Al Madina Al Fadila –, principes nécessaires à la construction de la ville de demain, que la conférence a traité sous quatre axes :
– La ville de demain et l’intelligence artificielle ;
– La ville durable ;
– L’eau dans la ville de demain ;
– Politiques de l’urbanisme, politique de la ville, l’expérience marocaine.
La ville de demain au défi du développement durable
L’introduction de la notion de ville intelligente, communément appelée Smart City, traduit l’ambition d’organiser et de gérer les villes de manière plus rationnelle en s’appuyant sur les technologies de l’information et de la communication. Un instrument parmi les nouveaux modèles de développement urbain pour rendre la ville plus durable, sur lequel la ville de Casablanca engage une réflexion depuis 2015. Première ville africaine à intégrer le réseau des villes intelligentes, la capitale économique organise un débat annuel sur les moyens de tirer parti des innovations technologiques en les mettant au service de la ville et de sa gestion, dans une perspective d’amélioration des services urbains – eau et assainissement, transport, gestion de l’énergie et des déchets, services de santé – et des conditions de vie des citoyens.
Résoudre les problématiques urbaines pour mieux construire la cité de demain fait de l’intelligence artificielle un levier pour accompagner et gérer la ville, considérée comme un ensemble de services ou de réseaux, dont il s’agit de rationaliser les flux tout en coordonnant leur mise en œuvre. Dans cette perspective, l’intelligence artificielle est davantage un moyen qu’une fin en soi, destinée à optimiser l’organisation de la ville, dans une perspective de développement durable. Pour cela, elle doit placer le citoyen au centre du nouveau dispositif de gestion urbaine basé sur les technologies de l’information et de la communication, en apportant les réponses appropriées aux attentes et aux besoins locaux en termes de mobilité et d’énergie, efficacité du service public, santé et sécurité, formation et emploi.
Un tel projet, censé favoriser l’émergence de la cité de demain, doit avoir pour référentiel les collectivités locales. De par leur mandat de gestionnaire de la ville, elles sont en mesure de déterminer le rôle et l’impact de l’intelligence artificielle et de ses instruments sur le développement urbain. Enfin, pour une meilleure compréhension et une adhésion à une démarche innovante, l’un des enjeux clefs est la réduction de la fracture numérique, notamment chez les jeunes, et un meilleur engagement des acteurs et parties prenantes au développement local.
La question de la ville durable a souligné le défi de l’environnement, sa protection et les instruments de sa mise en œuvre, dans un contexte de pression urbanistique, changement climatique, prévention des risques et optimisation des coûts énergétiques.
Au lendemain des travaux de la COP28 (Dubai, 30 novembre-12 décembre 2023) et de la participation du Maroc, l’enjeu de l’environnement s’avère plus que jamais prioritaire, en milieu urbain et à l’échelle des territoires. Composante des trois piliers du développement durable – avec la dimension économique et sociale –, l’environnement figure en bonne place dans l’Agenda 2030 en termes d’accès à des services énergétiques fiables, durables et abordables (ODD7), et de mesures pour lutter contre les changements climatiques (ODD13).
Des recommandations et des engagements que le Maroc s’emploie à mettre en œuvre à travers la Stratégie nationale de développement durable à 2030, dans un contexte marqué par le cycle récurrent de la sécheresse dû au changement climatique, le coût croissant des énergies et ses répercussions sur le niveau de vie des ménages (en milieu urbain et rural). Dans ce sens, l’incitation à des modes de production économiques, aujourd’hui portés par les énergies renouvelables du solaire et de l’éolien, constitue une alternative et une relève, pour une transition énergétique maîtrisée.
Au vu de l’incidence de la problématique de l’environnement sur les villes, les territoires et leurs écosystèmes (littoraux, cours d’eau, forêts, désert), le renforcement d’interventions concertées et coordonnées s’impose entre les différents départements et collectivités territoriales. Au principe « pollueur-payeur » propre au cadre normatif international se pose l’approche par la « dissuasion », voire le recours à la « coercition », mais aussi les capacités de contrôle, que ne peut assumer une police de l’environnement aux effectifs réduits.
A titre expérimental et en prévision de la Coupe du monde de football 2030, le ministère de la Transition énergétique et du Développement durable projette l’identification de six villes pour mettre en œuvre les textes et règlements figurant dans sa feuille de route à l’horizon 2030.
Etroitement liée à la problématique de l’environnement, l’eau dans la ville de demain est au cœur des nouveaux dispositifs et mesures d’accompagnement que devront déployer les pouvoirs publics et les collectivités territoriales en termes de distribution, de gestion et de rationalisation de son utilisation, mais aussi de coût. Une ressource dont l’accès équitable et pérenne renvoie à l’Agenda 2030 : « Garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau » (ODD6). Des engagements que le Maroc met en œuvre à travers des plans et programmes tels que le PAGER (Programme d’approvisionnement groupé en eau potable des populations rurales, 1995) et le Plan National de l’Eau 2020-2050.
Il est à rappeler que le Maroc est installé dans le stress hydrique depuis une vingtaine d’années, sous la barre admise des 1.000 m3/hab./an avec une capacité de 500 m3 en 2022 (2.500 m3/hab. en 1960, 700 m3 en 2010), dans un contexte de changement climatique, de faible pluviométrie depuis 2018 et de besoins croissants de la ressource en eau ; l’agriculture représentant 80% des besoins et premier secteur économique à pâtir de ce recul, avec de fortes disparités régionales.
A cet effet, le Maroc s’est doté – à partir des années 60 – de 153 barrages d’une capacité de 20 milliards m3 ; une infrastructure mise à mal par la sécheresse et la forte pression sur l’eau, le taux de remplissage global étant de 25% à octobre 2023 avec des écarts entre les régions (Al Wahda, 45% – Bin El Ouidane, 8% – Al Massira, 2,5%). Des aléas qui ont conduit à la construction d’une « autoroute de l’eau » en 2023, gigantesque ouvrage d’interconnexion de 67 km par une prise d’eau sur le barrage de retenue de l’oued Sebou vers le barrage Sidi Mohammed Ben Abdallah. Une infrastructure de 6 milliards DH et un débit de 400 à 500 millions m3/an, soit la moitié des besoins de Rabat et Casablanca et la desserte d’une conurbation de 12.000.000 hab.
Pour pallier les manques croissants en eau, l’Etat a mis en place un plan de stations de dessalement de l’eau de mer. Onze stations sont opérationnelles, dont huit destinées à l’eau potable et trois à l’industrie. Le territoire en comptera une vingtaine à 2030 pour une capacité annuelle de 1,3 milliard m3 entre l’eau potable (53%), l’industrie (24%) et l’irrigation (24%).
Des territoires et des villes ouverts à tous
Les territoires devront faire face à des besoins croissants en eau et aux enjeux des villes du Sud que sont l’équité urbaine par l’accès à un logement décent et aux services de base ; une planification urbaine maîtrisée, génératrice de richesses et d’emplois ; l’intégration de la dimension environnementale dans la gestion urbaine ; la prévention des risques face à l’impact du changement climatique.
Le Maroc des villes, urbanisé à 64% (75% en 2050), concentre 75% du PIB national et 70% des investissements, avec une polarisation littorale articulée autour du corridor urbain Kénitra-Casablanca-El Jadida, relayé par le réseau des capitales régionales. Une armature urbaine en voie de renforcement par le projet d’aménagement de 108 villes intermédiaires (plus de 50.000 hab.), dans le cadre du Schéma national de l’armature urbaine 2050.
Parmi les instruments d’encadrement au service de la ville figurent les 30 agences urbaines couvrant les 12 régions, en charge de la production des documents d’urbanisme et de l’appui aux collectivités locales, et la Politique de la Ville (2012), stratégie nationale à caractère intersectoriel censée apporter des réponses collectives aux besoins de développement des villes.
Dans cette configuration territoriale, Rabat intègre les villes à mutation rapide. Espace connecté aux pôles de croissance d’échelle nationale et internationale, la ville représente un enjeu par son attractivité. Ville à fonctions diversifiées – institutionnelle, scientifique, culturelle et environnementale –, la capitale est inscrite au Patrimoine mondial de l’UNESCO (2012) et reconnue « Ville lumière, Capitale marocaine de la Culture » (2014), des atouts en faveur du Soft power ; un plaidoyer confirmé par la récente célébration de Rabat Capitale africaine de la Culture.
Pour s’inscrire dans une dynamique de croissance porteuse de transformation, les villes de demain – au rang desquelles figure la capitale – devront relever les défis formulés dans les différentes stratégies nationales et que le Nouveau Modèle de Développement (2021) confirme, dans une démarche de synergie. Il s’agit avant tout d’un « Maroc inclusif » qui donne la priorité aux valeurs d’équité et de solidarité, au renforcement de l’inclusion et de la mixité sociale, à la redevabilité et à la gouvernance des territoires. Une démarche nécessaire qui met le capital humain au cœur des politiques publiques, afin de donner un sens à la ville de demain comme espace de la citoyenneté.
Monceyf Fadili – Expert international en planification urbaine et développement territorial/Ancien Conseiller ONU-Habitat