Par Hassan Alaoui
L’Histoire, la grande retiendra qu’au bout d’une seule journée, celle du dimanche 9 juin, la France d’Emmanuel Macron a basculé par deux fois : la première en portant le Rassemblement national (RN) au pinacle des élections européennes ; la deuxième en avalant la couleuvre du président de la République qui a imposé l’inattendue décision de dissoudre l’Assemblée nationale et d’organiser des élections législatives anticipées le 30 juin pour le premier tour et le 7 juillet pour le second.
Il n’est pas de tragédie – car c’en est bel et bien une – qui n’ait pas sa part de fatalité. On se disait, on se convainquait aussi que le Rassemblement national n’arriverait pas si vite à la victoire électorale qu’il n’a cessé de convoiter depuis des décennies et pour laquelle il n’a cessé non plus de travailler et de se mobiliser, que son idéologie, rejetée et combattue même, ne séduisait que les affidés d’une extrême droite avide , porteuse de nostalgie, revancharde et aigrie.
Faux ! Presque tous les présidents de la République française se sont confrontés à ce mouvement et se consolaient de cette fausse représentation de recul qu’il ferait subir à la France. Confrontés à ses succès, ils se sont fait une obligation, morale d’abord, politique ensuite de relever le gant pour freiner son élan voire l’empêcher de monter.
Las ! Aux élections présidentielles de 2002, Jean-Marie Le Pen, à la très grande surprise de tous, avait été élu au premier tour, mettant en sérieuse difficulté au second tour un Jacques Chirac tout à son prestige et à sa stature. Jean-Marie Le Pen sonnait en somme le tocsin et ébranlait les certitudes d’une Cinquième République essoufflée, fondée par le général de Gaulle en 1958. Il avait fallu une mobilisation sans précédent de tous les partis politiques et les forces de l’échiquier français , la formation affolée et hâtive du « Front républicain » pour l’empêcher de gagner au deuxième tour et repousser le spectre de l’extrême droite à de meilleurs jours.
Or, les observateurs de la scène politique française enterraient-ils à peine le fondateur du Front national – rebaptisé Rassemblement national -, qu’ils voyaient resurgir déjà sa descendance à travers tous les scrutins, et monter en puissance Marine Le Pen dont l’entêtement à briguer le pouvoir n’avait d’égale que le délitement irrésistible du camp d’en face. Cependant, la candidate de la droite a eu ce mérite exceptionnel de travailler sur elle-même et de réussir une parfaite banalisation de son parti qui a tenu aussi tête à ce nouvel arrivant en 2017, fringant, inconnu au bataillon et presque usurpateur…. Emmanuel Macron !
Lire aussi : Sang en pénurie : Le Royaume face à une crise de stockage sanguin
La question est désormais la suivante : la Vème République française peut-elle survivre à Macron et son équipe ? Celui-ci avait été élu en 2019 avec un suffrage universel inédit et, l’enthousiasme magique aidant, avec la volonté exprimée de décliner un « nouveau siècle », avec ses idées, sa culture, sa méthodologie, sa pratique, ses audaces, ses illusions auxquelles bon an, mal an le peuple français a adhéré. Plus que le culte de la personnalité dont un certain Giscard d’Estaing – qui aimait se comparer à Louis XV – était le modèle …
Venons-en à cette élection européenne du 9 juin 2024 qui est devenue l’inexorable et tragique tombereau des rêves d’une partie du peuple français, non seulement désappointé à présent, mais carrément perdu. Tonnerre cataclysmique, elle révèle surtout une « crise de régime » édifiante. Macron a de nouveau joué seul la partition qui nous ramène à l’exécrable exercice du pouvoir solitaire reproché autrefois à Giscard d’Estaing mais dont semble abuser à présent l’actuel locataire de l’Elysée. Contre l’avis même de ses partisans et intimes, se référant à l’article 12 de la Constitution, il a comme on a dit dissous l’Assemblée nationale et imposé des élections législatives anticipées. A deux semaines du premier tour, à la lumière d’une campagne tonitruante et passion, nous voyons se faire et défaire un paysage politique à géométrie variable. Le Rassemblement national (RN), incarné par Marine Le Pen et Jordan Bardella, dont on disait qu’il en sortirait triomphant est appelé à tempérer ses ardeurs et, sans doute, n’obtiendrait pas cette « majorité absolue » dont aura besoin ce dernier pour gouverner s’il est nommé Premier ministre.
En face, autrement dit le bloc du Nouveau Front Populaire s’agite encore sous la tempête et la menace plus qu’évidente de dissensions à la fois sur le choix d’un « guide » et les soutiens nécessaires à son homogénéité pour dépasser le score de la droite. Or, la guerre byzantine qui le traverse, opérée suite à l’exclusion arbitraire des meilleurs de ses figures emblématiques, a vite fait de le fragiliser et de ruiner, quoiqu’on en dise, ses succès potentiels. Il reste cette troisième force qu’on appelle les macronistes, ou ce qui en reste, dilués et tentés de quitter le navire, désemparés et revenus à la triste réalité : ils sont victimes de la pantalonnade du président de la République qui a choisi de jouer « solo » la partition ! Emmanuel Macron justifie sa décision parce que son gouvernement ne disposait que d’une majorité réduite à l’état de plastron, autrement dit gravement affaiblie et qu’au regard des votes qui étaient prévus à l’Assemblée nationale en automne, le projet de budget et des réformes serait tout simplement rejeté…
Son bloc résiduel se transforme en une peau de chagrin et « l’oblige », comme il ne cesse de le répéter à tire-larigot ! A quoi précisément ? A se désengoncer et comme le lui demandent ses ultimes partisans, à quitter dignement la scène électorale ! Oui le peuple fera le 7 juillet le bon choix ! Vox populi, vox dei…