France-Maroc : « Donner le temps au temps… »
Par Hassan Alaoui
« La France en a vu d’autres, il faut savoir patienter » ! Tel un apophtegme, la phrase que le général de Gaulle prononça un jour à la cantonade comme pour conjurer l’insidieuse crise que le pays affrontait, tombe à point nommé. Sauf que le président Emmanuel Macron n’est pas De Gaulle, loin s’en faut.
S’il n’est pas de notre intention, moins encore de notre droit de commenter l’actualité française dominée aujourd’hui par un vent d’inquiétude voire de désespoir, il nous est permis de la survoler à la lumière des faits de malaise profond qui caractérise les relations entre la France et le Maroc.
Nulle intention de porter un jugement quelconque sur ce qu’il convient d’appeler « les retrouvailles franco-algériennes » vantées de part et d’autre. Non seulement nous nous en réjouissons, mais nous leur souhaitons bonne continuation. Le Maroc, qui n’a pas d’amertume à nourrir à cet égard, a compris depuis belle lurette que la politique internationale est tout sauf de s’appuyer sur un seul et unique pilier, fût-il le plus solide et inébranlable, autrement dit comme le ferait ce cautère sur une jambe de bois. Emmanuel Macron, venu de la banque et de la franc-maçonnerie ne possède pas de majorité cohérente, il s’appuie sur une confusion devenue un modèle de gouvernance, sans cohésion idéologique, avec des personnalités repêchées de tous bords. Elu en 2017 sur le principe d’un large « rassemblement » toutes tendances ou presque confondues, il a fait contre mauvaise fortune bon cœur, il est devenu le bénéficiaire singulier d’un mécontentement populaire et ciblé contre la classe politique et l’Establishment en général. Coagulateur des ras-le-bol exprimés, il a pourtant incarné un certain renouveau, voire une espérance collective.
Cela dit, « l’exercice solitaire du pouvoir » comme on disait naguère de Giscard d’Estaing, un mépris caractérisé du peuple qui lui a valu, qui lui vaut à tort ou à raison le sobriquet de Jupiter, le cafouillage pour ne pas dire le tripotage dans les crises successives en Afrique, l’orgueil voire le mépris jettent un regard inédit, grave sur sa capacité à gérer la politique étrangère française. D’aucuns n’hésitent guère a dire, leur désespoir à peine dissimulé, que la France a perdu une deuxième fois son empire en Afrique. Passe encore cette rédhibitoire et furieuse révolte anti-française qui, comme un puissant courant marin, souffle sur des pays comme le Mali, le Burkina Faso, la Centrafrique, le Cameroun voire la Côte d’Ivoire et le Sénégal…Il y a des années, lorsque la France favorisait les indépendances successives de ses anciennes colonies, elle le faisait bien évidemment à contre cœur, mais prenait soin en revanche de mettre en place et de renforcer des « bourgeoisies compradores », à telle enseigne de tolérer l’instauration de régimes dictatoriaux et pour le moins impopulaires. La fameuse « Françafrique », que l’on dit depuis quelque temps morte, semble recevoir un double coup de dague : la révolte populaire en interne et la pénétration de la Russie par Wagner interposé.
Il est certain en effet que la France est confrontée de plus en plus à cette nouvelle équation africaine. Qu’elle survienne brutalement et sans crier gare dans sa forme alors qu’Emmanuel Macron n’en est qu’à sa quatrième année de pouvoir, nous en dit long sur sa profondeur, ne nous réjouit pas non plus. Le président Macron a perdu jusqu’à nouvel ordre le Royaume du Maroc qu’il a, en tout état de cause, troqué contre le gaz algérien. En catimini plus qu’ouvertement la junte se réjouit de cette mésentente, mais celle-ci ne durera que le temps qui reste au président français avant les nouvelles élections présidentielles françaises et son départ de l’Elysée. Beaucoup d’eau aura coulé sous les ponts, peut-être des législatives viendraient-elles modifier la donne politique et transfigurer la cartographie politique d’une France immergée par le malaise, l’inflation, la baisse du pouvoir d’achat, la crise sociale, l’immigration et son combat menée au pas de charge par un Gérard Darmanin, ministre de l’Intérieur – petit fils de Moussa Ouakid algéro-tunisien – et in fine une politique étrangère contestée de bout en bout.
Nous en venons à la méprise qui est à la France et au Maroc ce que la vision du monde de « Monsieur de Norpois » est au cynisme distingué de Marcel Proust… qui a bien campé son héros. M. Macron incarnerait-il donc ce « Norpois » au cynisme trempé, peut-être même à une rancune qui ne dit pas son nom ? De toute l’histoire du Maroc et, en parallèle, de la Vème République française, un sentiment d’erreur injustifiée n’a été autant ressenti. Celui d’accroire que le Royaume du Maroc en conçoit de l’aigreur, à l’égard de la nouvelle orientation algérianiste du président français ou des choix affichés par sa 1ère ministre ! Celui d’imaginer que notre pays s’en sente frustré … De Gaulle disait : « On en a vu tellement…il faut savoir patienter », et dans la même verve, Mitterrand : « Il faut donner le temps au temps » !