Gouvernement Fakhfakh: Le dilemme de l’obligation de résultat et de la faible marge de manœuvre
La fin du doute sur la formation du gouvernement de coalition, composé de cinq partis politiques (Ennahdha, Ettayyar, le Mouvement Echaab, Tahya Tounes et Nidaa Tounes) et d’une majorité d’indépendants, ne signifie pas pour autant que la voie est balisée pour le nouveau chef de gouvernement, Elyès Fakhfakh.
En effet, plusieurs questions continuent à se poser plus de quatre mois après les élections législatives d’octobre dernier qui ont été ponctuées par des tractations tendues au sein d’une classe politique fragmentée et un jeu de calcul d’influence pour le « partage du gâteau« .
Parmi ces questions en suspens, l’on se demande aujourd’hui sur la portée de la marge de manœuvre qu’aura le nouveau gouvernement.
Au regard d’une situation difficile et complexe, la nouvelle équipe qui sera investie sans encombres, trouvera un terrain miné, une administration aux arrêts, des services publics grippés, des entreprises publiques au bord de la faillite et un environnement d’affaire gagné par le doute. A défaut d’un programme cohérent et d’engagements clairs, par où ce gouvernement très attendu va-t-il commencé ? Quel sort pour un gouvernement qui aura à gérer un pays dans un contexte de crise ?
Selon les observateurs, le couac réside dans l’absence d’homogénéité de l’équipe gouvernementale, sa faible solidarité. Des handicaps qui, malgré les prétentions affirmées par son président, l’exposent à sauter à la première crise.
Ennahdha ne pardonnera pas à Elyes Fakhfakh son ralliement inconditionnel au président de la république et sa complicité avec les partis qui lui sont hostiles (Attayyar et Echaab).
Selon eux, il s’agit d’un gouvernement qui, face à des grands défis ne dispose, à proprement parler, que d’une ceinture politique large mais à géométrie variable. Paradoxalement, il est appelé a adopter une politique sociale active, dont les grands axes seraient la lutte contre la pauvreté, l’emploi des jeunes , le développement des régions, l’amélioration des services publics et le rétablissement des équilibres économiques, mais sera en même temps contraint, ne serait-ce dans un premier temps, à adopter des réformes douloureuses susceptibles de faire imploser l’alliance et de lui attirer les foudres d’une centrale syndicale devenue omniprésente et omnipotente en l’occurrence l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT).
Il s’agit aussi d’un gouvernement où la cohabitation entre ministres venant d’horizons divers, défendant des projets asymétriques, sera difficile et problématique, précisent les mêmes sources.
A l’évidence, le compromis trouvé mercredi a couronné un laborieux et pénible processus de concertation. Dans les ultimes moments et après un débat houleux en son sein, Ennahdha, plus divisée que jamais, a fini par donner son feu vert au gouvernement.
Pour Abdelkerim Harouni, Président du conseil de la choura, la scène politique tunisienne doit prouver qu’elle est à la hauteur de la responsabilité et laisser de côté les différends idéologiques, faisant ainsi primer l’intérêt du pays.
La veille, le conseil national de « Tahya Tounes » a annoncé avoir décidé d’accorder la confiance au gouvernement Fakhfakh. Le parti présidé par Youssef Chahed, estime que cette décision a été prise pour l’intérêt national, et dans le but de mettre fin à la crise actuelle que traverse le pays.
« Qalb Tounes », deuxième force politique représentée au parlement, qui, en dépit de toutes les tentatives vaines d’Ennahdha de l’intégrer dans la coalition, ne se livrera pas au parlement à un vote hostile. Son président Nabil Karoui a fait savoir que le gouvernement Fakhfakh obtiendra la confiance des députés de l’Assemblée des Représentants du Peuple.
Pour lui, « ce gouvernement passera pour éviter la dissolution du parlement à laquelle tient tant le chef de l’Etat Kaïs Saïed ».
Certes, la résorption in extremis de la crise politique a mis fin à une polémique qui a empesté, des jours durant, le débat public dans le pays. Une polémique entretenue par Ennahdha qui, désappointée et mise à l’index, a cherché à brouiller les cartes en faisant miroiter son intention de recourir à une motion de censure pour mettre un terme à la mission du gouvernement de gestion des affaires courantes et la désignation d’un candidat qui sera mandaté par le parlement et ce, conformément à l’article 91 de la Constitution.
Le parti islamiste a vite déchanté. En apportant un avis authentique, le président de la Saïed, seul maître à bord en matière d’interprétation des dispositions constitutionnelles, a recadré le mouvement Ennahdha en déclarant « qu’une telle manœuvre est une violation de la Loi fondamentale ».
Aujourd’hui, toute la question qui taraude les Tunisiens consiste à savoir si la formation du gouvernement allait dissiper le nuage de crispation et de méfiance qui s’est installé dans les relations du président de la république et du président du parlement. Il est difficile de préjuger dans la mesure où chacun cherche à justifier sa légitimité.
Le premier a une légitimité électorale qui lui a permis de recueillir plus de 70% des voix lors du deuxième tour de la présidentielle. Le second représente la légitimité de l’institution parlementaire et du poids du parti Ennahdha, qui a certes remporté les élections législatives, mais qui ne peut à lui seul avoir toutes les clefs pour gérer comme bon lui semble les affaires du pays.