Grève des instituteurs vacataires en Tunisie: Bras de fer et risque d’une année blanche pour de milliers d’élèves
Pour quelques centaines de milliers de jeunes tunisiens, la rentrée scolaire, du 15 septembre dernier, a été différente de toutes celles qui l’ont précédée. Deux mois après, près de 500.000 élèves n’ont pas encore retrouvé les chemins de l’école. Et pour cause, plus de 14 mille instituteurs et enseignants vacataires s’abstiennent de reprendre les cours jusqu’à ce qu’ils obtiennent gain de cause.
Les enseignants suppléants et contractuels revendiquent la régularisation de leur situation. Les promotions de 2018, 2019, 2020 et 2021, dont le nombre s’élève à plus de 14.000 exigent, en effet, leur recrutement et le paiement de leurs salaires des six derniers mois.
Toutes les négociations jusqu’ici engagées entre la Fédération générale de l’enseignement de base relevant de l’Union Générale Tunisienne du Travail et le ministère de l’Education n’ont pas permis de parvenir à un compromis ou de débloquer une situation qui a été qualifiée, à juste titre, de « scandale » par certains et de « crime d’état » par d’autres.
Au moment où on s’attendait ces derniers jours à un apaisement, c’est le contraire qui s’est produit, un bras de fer qui risque de se solder pour de milliers de jeunes écoliers en une année blanche.
Pourtant, le 28 octobre dernier, le président tunisien Kaïs Saïed a tiré en personne la sonnette d’alarme, appelant le ministre de l’Education à résoudre la crise au plus vite.
Quinze jours, rien n’y est fait. L’imbroglio reste total et il paraît pour l’heure impossible de réconcilier des positions inconciliables. Face à l’impossibilité exprimée par le ministère de tutelle de satisfaire les exigences matérielles et administratives des enseignants, conformément à l’accord signé en 2018 par le gouvernement de Youssef Chahed.
D’après les observateurs, l’épreuve de force se poursuit et rien ne semble dissuader les enseignants à aller jusqu’au bout de leur action et rien n’annonce que le ministère allait se plier aux demandes des grévistes.
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Le ministre de l’Education, Fethi Sellaouti, a déclaré sans détours que le contexte économique actuel du pays ne permet une régularisation de ce dossier épineux que par étapes, sur quatre ans au moins.
Le ministère de l’Education, embarrassé et faisant face à une pression de plus en plus vive des parents d’élèves, a fini par lancer, le mardi dernier un ultimatum aux enseignants leur demandant de signer les nouveaux contrats proposés et de retourner à leurs postes avant le 10 novembre, faute de quoi ils risquent d’être révoqués.
Chaque défaillant, avertit le département, n’aura plus désormais aucune relation de travail avec le ministère de l’éducation.
Pourtant, le ministère de l’Education qui a engagé dans l’urgence une concertation avec la présidence du gouvernement et le ministère des Finances, a proposé une formule de contrats en faveur des suppléants concernés par la régularisation (promotion de 2022) basée sur l’article 108 de la loi régissant la fonction publique et ce, pour une durée maximale de trois ans.
Après l’écoulement de cette période, les personnes concernées seront intégrées avec le grade d’enseignant d’école stagiaire et chaque enseignant percevra un salaire net de 1.340 dinars (4.460 dh) en plus des primes accordées.
Cette solution de compromis n’était pas au goût des syndicats qui l’ont rejeté en bloc tout en considérant l’ultimatum lancé par le ministère de l’éducation comme une « déclaration de guerre ».
D’ailleurs, le directeur de la planification et des études au ministère de l’Education, Bouzid Nsiri a reconnu, le 9 novembre, que la Fédération de l’enseignement de base n’avait pas été réceptive aux propositions du ministère dénonçant un chantage exercé par les parties sociales.
Il a soutenu que les parties sociales ont présenté de nouvelles revendications durant la dernière session de négociations impossibles à appliquer.
De son côté, la directrice générale de l’enseignement de base au ministère de l’éducation assure que l’accord proposé aux enseignants grévistes est le dernier mot du ministère et que ses dispositions ne sont pas négociables.
Résultat, la tension monte d’un cran et le syndicat de l’enseignement de base a, en réponse, menacé d’organiser des sit-in dans les écoles la semaine prochaine, considérant la position du ministère comme une déclaration de guerre.
Les propositions du ministère n’ont fait qu’envenimer la situation davantage. Le secrétaire général de la Fédération générale de l’enseignement de base, Taoufik Chebbi, accuse le ministère de l’Education d’avoir déformé la réalité dans une tentative de retourner l’opinion publique contre les enseignants.
Le milieu syndical estime que le ministère s’est, en effet, contenté de proposer une nouvelle forme de contrat pour la promotion de 2022, uniquement. Pour les promotions précédentes – 2018, 2019, 2020 et 2021 – le département ne mentionne rien.
L’impasse actuelle, amplifiée par la grave crise des finances publiques que traverse le pays, met à nu les déficiences des secteurs stratégiques comme l’éducation et la santé. Cela est d’autant plus vrai que, le phénomène de décrochage scolaire, qui touche chaque année environ 100 mille jeunes, devient un sujet de préoccupation et fait de plus en plus éloigner les tunisiens de l’école publique au profit d’un système d’enseignement privé, jugé mieux organisé et d’une manière facture.
Avec MAP