Guerre en Ukraine, vers un « remake » de la défaite de l’Union Soviétique face au bloc occidental
Il y a tout lieu de penser que le Président Poutine en déclenchant la guerre en Ukraine conduit la Fédération de Russie vers une nouvelle défaite stratégique face à l’occident. Un échec de la même intensité que celui qui avait conduit l’union soviétique à son démantèlement face à un occident triomphant dans les années 1980. La situation des réactions en chaîne que cette guerre provoque en termes de mobilisation contre la Russie est selon toute vraisemblance le scénario le plus plausible et le chemin logique vers une nouvelle défaite historique de la Russie face à l’occident. Défaite que le Président Poutine avait qualifié publiquement de plus « grande catastrophe du 20eme siècle ».
Poutine a provoqué « force et unité » dans le camp occidental,
En déroulant un récit nostalgique de la grande Russie et en réveillant les sentiments nationalistes du peuple russe, le Président Poutine a réveillé en retour, les réflexes occidentaux de défiance envers l’ennemi de l’Est menant la Russie vers une impasse stratégique au plan militaire et diplomatique. Par l’isolement diplomatique et économique de la Russie qu’elle a suscité à travers des sanctions de plus en plus fortes, elle a effacé d’ores déjà, les acquis de la Russie de ces dernières années en termes de repositionnement dans l’échiquier mondial, face à un occident qui en réponse retrouve « force et unité » pour contrer ce qui est considéré au sein des chancelleries occidentales comme la nouvelle menace russe.
Le Président Poutine atteint probablement, selon plusieurs témoignages, par le « syndrome jupitérien », a du haut de sa tour d’ivoire, fait le choix des armes pour régler ses comptes contre un pays souverain. Les réactions en chaîne qu’il a provoqué au plan militaire, économique et social, ont fait basculer le monde dans un « remake » de la guerre froide entre un « bloc de l’Est » « anti occidental » dont Il assume de plus en plus incarner culturellement et idéologiquement le leadership et le « bloc Occidental » qu’il aime à qualifier en public dans le discours officiel russe, de puissances faibles, notamment, face à l’islamisme, de déclinant, voire de « dégénéré » en se référant à la place qu’occupe les mouvements LGBT dans les pays riches et développés.
Mais, selon plusieurs experts, il n’a pas bien anticipé les forces en présence. On observe en effet, que l’occident uni s’avère d’une force redoutable par ses capacités « idéologico-culturels » à mobiliser le monde au delà de ses aires d’influences, en partie du fait de sa parfaite maîtrise des rouages et des mécanismes multilatéraux et en grande partie du fait de la puissance des alliances économiques et technologiques mises en œuvre ; alliances qui s’étendent à tous les domaines vitaux de l’économie mondiale, aux finances internationales jusqu’aux domaines sécuritaires et militaires.
Les alliances incertaines et volatiles du camp russe,
Par contre du côté russe, les alliances semblent bien incertaines et volatiles. La Chine, malgré son poids dans l’économie mondiale a compris cela et se tient en retrait du conflit ne soutenant que d’une manière symbolique les dirigeants russes dans cette aventure guerrière dont le succès est loin d’être garanti et qui ne sera en tout cas jamais total tant le peuple ukrainien tient à son indépendance et sa liberté de destin qui forcent l’admiration.
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La Chine, fidèle à ses traditions, adopte une démarche pragmatique très attentive à son développement économique et a énoncé officiellement sa crainte de s’attirer les sanctions occidentales par un soutien franc et clair à la Russie qui compromettrait sa croissance économique dont l’intensité a diminué lors de la crise sanitaire. En effet, la puissance chinoise n’est pas pour l’instant de l’ordre militaire ou idéologique mais elle tire réellement son « soft power » et toute son influence planétaire acquise ces deux dernières décennies de la place acquise au plan économique. Le projet des routes de la soie illustre bien cette réalité. Sa rivalité avec les Etats-Unis et l’Europe s’inscrivent également sur le registre économique en premier lieu.
Le spectre des guerres récentes passées,
Si la guerre dure, comme certains pronostics l’envisagent, les ukrainiens avec l’aide occidentale sont déterminés à entrer en résistance à l’instar des afghans à l’époque de l’invasion soviétique en 1979. Les conséquences du conflit afghan dont on paie le prix jusqu’à maintenant nous rappelle combien il n’est plus de notre temps de régler ses comptes à coups de « chars et de missiles ». Le retrait quasi-humiliant des Etats-Unis d’Afghanistan en décembre 2021, ou encore les souvenirs laissés par l’invasion irakienne au Koweït comme celle des Etats-Unis en Irak et en Afghanistan, démontrent l’étendue des catastrophes qui s’ensuivent de guerres « injustifiées » au plan du droit international. Pour l’Afghanistan et l’Irak, le monde paie encore le prix des bouleversements géopolitiques et géoculturels à travers l’émergence massive de mouvements terroristes hors de contrôle à l’échelle planétaire et dont le monde peine à s’en débarrasser. Le conflit afghan s’était également soldé par un retrait sans gloire à l’époque de l’armée russe d’Afghanistan laissant un territoire à feu et à sang dont il ne s’est pas encore relevé.
Le capital sympathie acquis par le Président Poutine auprès des opinions publiques du « tiers monde » s’effiloche…
Ailleurs dans le monde, on constate des opinions publiques disparates sur la position à l’égard de ce conflit au sein de l’ensemble dit du « tiers monde ». Echaudées par le « deux poids/deux mesures de l’occident » en matière de gestion des conflits internationaux et aussi du fait de la conviction largement répandue que l’occident est la principale source de tensions dans le monde, les opinions publiques en Afrique et dans le Monde non occidental seraient plutôt tentées de se ranger du côté du discours russe. Mais, ce capital sympathie pour la version russe s’effrite car les difficultés vécues par les populations en termes de cherté des prix et de difficultés d’accès aux matières de base (énergies, céréales, alimentation…) sont de plus en plus imputées par ces mêmes opinions publiques à cette guerre vécue par les populations pauvres et moins pauvres tous continents confondus, du moins Afrique, comme une épreuve supplémentaire et inutile, après celle subie lors de la crise sanitaire. Les dernières émeutes de la faim au Pérou donnent le signal des difficultés ressenties dans le monde et font craindre chez tous les dirigeants du monde une contagion dans d’autres pays.
Une guerre de trop ou l’affaiblissement programmé de la Russie,
Le Président Poutine par le déclenchement inattendu aujourd’hui et maintenant de ce conflit provoque en réaction les conditions de l’affaiblissement économique de la Russie et de son image dans le monde. Alors qu’elle se présentait aux côtés de la Chine comme le symbole de l’émergence d’un monde multipolaire « post chute du Mur de Berlin », les sanctions économiques et la remise en question profonde de son statut au sein des organisations internationales visent à la mettre au ban de la communauté internationale. Il est possible qu’elles y parviennent en partie affaiblissant durablement la Russie dans l’échiquier mondial par les impacts économiques, sociopolitiques et diplomatiques qu’elles vont entraîner pour la Russie.
Le réveil pour le peuple russe, qui serait selon les observateurs avertis de la société russe, sous informé de la réalité de ce conflit sur le terrain, risque d’être pénible si les informations relatant la déroute de l’armée russe et les massacres qui lui sont attribués par les médias, sur son « peuple frère d’Ukraine », s’avèrent réels et conformes aux images qui choquent le monde entier. Pour l’instant, le peuple russe soutient son Président et sa popularité a fait un bond en avant atteignant les 80 % d’opinions favorables.
Une nouvelle guerre pour renouveler sa légitimité au plan intérieur ?
Il reste en outre à se demander, si la popularité intérieure croissante du Président Poutine depuis le début du conflit, ne figurent pas parmi les motifs dissimulés de Président Russe dans le déclenchement de ce conflit. Sa popularité avait également augmenté fortement lors des conflits dans le Donbass et en Georgie. Son intervention en Syrie avait également « bluffé » le monde et replacer la Russie au cœur d’une zone hautement stratégique pour les intérêts des grandes puissances de ce monde. Des raisons visant à mieux asseoir son pouvoir personnel avant celles liées à la sécurité et a défense de la Russie contre l’OTAN ne sont pas à exclure. En effet, après plus de 20 années à la tête de la Russie, n’y a t’il pas mieux qu’une guerre pour renouveler une perte potentielle de légitimité surtout qu’une opposition visible à son régime commençait à donner de la voix au plan national et international.
Par cette initiative malheureuse et sauf retournement de situation inattendu, toujours possible et espéré, le Président Poutine a dégradé la place de la Russie dans le monde et perturbé l’ordre mondial dans un mauvais sens de l’histoire qui n’améliore pas la situation économique et sociale ni en Russie, ni à travers le monde et notamment celle des populations les plus pauvres. Le retour de bâton risque d’être fatal à son régime et conduire la Russie vers une nouvelle catastrophe interne comme celle vécue lors du démantèlement de l’Union Soviétique. A moins de stopper cette guerre qui est d’un autre temps pour négocier au mieux un repositionnement dans l’honneur et la dignité entre les belligérants et envisager les réparations possibles. Mais les traces géopolitiques demeureront forcément très profondes. L’autre scénario serait la fuite en avant et alors le monde entrerait dans une phase inédite de risques majeurs.
(T.B/ MD)