Hajar Azell et Rassane Fadili, ou les chemins croisés de l’art et de la littérature
Hajar Azell et Rassane Fadili présentent respectivement un premier roman, « L’envers de l’été », et une deuxième exposition intitulée « Quotidiens – Images de Rabat ». Témoignage audacieux de jeunes qui ont choisi l’art et la littérature pour s’exprimer
Quel sens donnez-vous à ces évènements littéraire et artistique ?
Hajar Azell :
La présentation de mon livre à Rabat a pour moi valeur de symbole. C’est à Rabat que j’ai grandi et que j’ai acheté mes premiers livres à la librairie Kalila wa Dimna, partenaire de la présentation de mon ouvrage, le 5 mars 2022.
Mon roman est l’histoire d’un retour, celui d’une femme qui revient au pays à la mort de sa grand-mère. Un voyage hors saison, l’envers de ses étés ; elle cherche à comprendre, à partir de ses souvenirs, les vérités que lui révèle le territoire. Il s’agit pour moi d’un premier rapport à l’écriture sous l’angle de la fiction, un parcours venu se tisser sur une formation scientifique, marqué par les médias et la jeunesse créative. Publié chez Gallimard, mon roman a donné lieu à des interviews sur TV5, RFI et 2M.
Rassane Fadili :
Ma démarche s’inscrit dans le prolongement d’une première exposition consacrée à Rabat en juillet 2021, avec un attachement pour la ville où j’ai grandi. Une démarche également marquée par un parcours universitaire en architecture où j’ai pu affiner mon regard sur la ville. Faire redécouvrir la ville aux habitants de Rabat, à celles et ceux qui ne connaissent pas la capitale du Royaume sous certains angles, s’arrêter dans la découverte pour voir, dans le cadre d’une déambulation. J’ai aussi voulu révéler certains aspects de la culture et de l’identité marocaine, souvent peu exprimée à travers l’art, lever le voile sur la dimension des métiers de la ville, particulièrement ceux qui relèvent du secteur informel. En quelque sorte faire « bouger » certains aspects de l’expression artistique.
Dans la rencontre littéraire autour de votre roman publié chez Gallimard, vous abordez le retour d’une femme au pays. S’agit-il de retrouvailles ou d’un entre-deux culturel entre les deux rives ?
Il s’agit plutôt d’un entre-deux culturel entre les deux rives, le personnage principal ayant grandi en France et retournant au pays. J’y ai retrouvé une partie de moi-même, vivant en France depuis dix ans et étant fascinée par des détails que mon regard ne percevait pas auparavant.
Dans ce sens, deux regards caractérisent mon approche : celui qui vit dans un territoire sans pouvoir en sortir, et celui qui le visite occasionnellement, le touriste ou la personne ayant un lien avec cet environnement. Une manière de questionner le territoire et son contexte à travers le regard ; en quelque sorte l’envers de l’été ou, sous une autre forme, l’envers du décor.
L’été est la saison où les émigrés reviennent au pays. J’ai pour cela voulu « universaliser » le récit en n’ayant pas recours à la référence des lieux. Le récit peut se dérouler indifféremment au Maroc ou en Algérie, en Italie ou au Portugal, des pays d’immigration vers la France qui est le lieu de référence. Je voulais par là un récit « non-emprisonné » dans un seul pays à travers une lecture anthropologique et revendiquer, pour ma part, une part de Méditerranée.
Pour votre exposition intitulée « Quotidiens – Images de Rabat », votre parti pris est celui d’une promenade dans la ville, d’espaces de vie et de scènes du quotidien. Pouvez-vous nous parler de votre inspiration ?
Mon inspiration découle d’une promenade dans les quotidiens de Rabat. C’est un regard posé sur la ville avec une attention portée aux détails, après dix ans passés hors du Maroc. A travers l’accent mis sur les personnes, je rends hommage aux marocaines et aux marocains, qui gagneraient à être représentés dans la culture artistique, ainsi qu’à leurs espaces de vie. La présence des femmes dans l’environnement de la cité est une composante de cette inspiration.
L’inspiration est ancrée dans le figuratif comme représentation vivante, avec des contours volontairement « floutés » pour représenter le regard qui balaie le paysage de l’urbain au cours de la promenade. L’hommage est aussi rendu à Rabat Ville Lumière, Capitale Marocaine de la Culture depuis 2014, et à sa désignation de Capitale Africaine de la Culture lors du sommet Africités de Marrakech (2018).
Hajar Azell et Rassane Fadili : deux jeunes et deux inspirations. Quelle valeur ajoutée pensez-vous apporter à la Culture au Maroc, à travers l’écriture et les arts plastiques ?
Hajar Azell :
Faire valoir l’écriture comme une aventure personnelle, et donner aux jeunes l’envie d’écrire. Partager mon livre et les encourager à s’intéresser à l’écriture, quelle que soit leur langue d’expression. Quant au lien de mon livre avec les Marocains du monde, je peux dire que je suis heureuse de l’accueil que le livre a eu auprès du public français d’origine maghrébine mais aussi portugaise ou italienne. Cela confirme l’idée que l’on a quelque chose de fort en partage lorsqu’on a un lien familial avec un pays méditerranéen.
Rassane Fadili :
Ne pas se cantonner aux espaces dédiés aux expositions. Montrer, à travers le lieu qui accueille l’exposition, qu’il est possible de compléter le cadre formel des galeries, pour des espaces plus accessibles au grand public, notamment aux jeunes.
L’autre aspect est la thématique ainsi que la forme graphique adoptée. L’expression de formes vivantes et vécues du quotidien de la ville, qui offrent au visiteur une itinérance dans leur ville ou de tout autre ville, tout comme l’expression de cadres de vie dans lesquels se reconnaissant les marocains.
Les deux évènements sont accueillis par Pause Gourmet, un lieu de convivialité à deux pas de la gare de Rabat, dont Elias, le jeune hôte, ambitionne de faire un espace tout aussi culinaire que culturel.
Comment vous est venue l’idée ?
L’idée est à la fois simple et ouverte : utiliser un espace disponible qui se veut à la portée de la créativité et de l’expression culturelle et, par là-même, un espace dont la configuration convienne à l’artiste. De retour au Maroc, j’ai été frappé par le peu d’offre de représentation culturelle, en dehors des grands évènements culturels marqués par la musique. Face à une forte demande en matière de culture, il me semble qu’il est possible de sortir des grandes structures avec des moyens modestes. Pour cela, je pars du principe que plus on est proche de la culture, plus on crée la demande.
Nous sommes passés à Pause Gourmet d’un espace d’affichage, où nous faisons la promotion des évènements culturels, à un espace où nous affichons les évènements, c’est-à-dire que nous les organisons, une manière d’apporter notre contribution à la promotion de la culture et à sa diffusion. Ce que nous faisons avec Rassane Fadili est une première, exposer les œuvres d’un jeune artiste jusqu’au 13 mars 2022, et présenter le roman de Hajar Azell le 5 mars 2022, en partenariat avec la librairie Kalila wa Dimna. Nous voulons pour cela créer un espace incitateur à la visite, une chance pour le quartier avec l’avantage de faire partie du cœur culturel de Rabat, dans un environnement patrimonial reconnu à l’échelle internationale et de desserte facile pour tous. Il s’agit d’enclencher une dynamique que nous voulons collective au profit de la culture, et de mettre nos moyens à la disposition des jeunes artistes.