Hausse des prix des denrées alimentaires : quelles perspectives pour un enjeu hétéroclite
Par Youssef Oubejja (*)
Le secteur des denrées alimentaires constitue l’une des priorités stratégiques de l’Etat. L’enjeu de sécurité alimentaire, et de mise sur le marché des quantités des produits agricoles aux prix raisonnables, posent divers problèmes structurels et conjoncturels complexes.
La conjugaison de ces problèmes constitue actuellement à l’évidence la cause principale de la hausse constatée des prix des denrées dans le marché national et international. Figurent parmi ces derniers une forte demande mondiale qui met l’offre sous pression, et pas en mesure de répondre à la demande notamment dans ce contexte de guerre en Ukraine aux conséquences lourdes sur les marchés et aggravant l’insécurité alimentaire. Les conséquences de cette guerre se sont greffés sur les effets dévastateurs de la crise sanitaire qui avait d’ores est déjà déséquilibré les chaines d’approvisionnement au niveau mondial.
S’ajoutent à cela les aléas climatiques qui sont intervenus dans différents pays producteurs réduisant les récoltes et se répercutant sur les prix des produits agricoles.
Face à cette hausse, il est indéniable que les attentes des consommateurs qui se voient leur pouvoir d’achat diminué soient grandes. Nous avons constaté d’ailleurs en réponse à ces attentes un grand investissement des pouvoirs publics dans notre pays pour réguler davantage le marché en faveur des consommateurs, en dépit du retard d’anticipation des hausses continues des prix qui leur est souvent reproché. Des campagnes de contrôle ont été menées sur différents marchés et diverses mesures gouvernementales destinées à abaisser les prix ont été prises par les pouvoirs publics comme celles intéressant l’importation de 200 000 bovins pour faire face à la hausse des prix de la viande.
Nous considérons qu’il s’agit là de mesures d’urgence pour faire face à une conjoncture difficile qui ne répondent pas aux questions structurelles épineuses posés par le commerce en général et celui des denrées alimentaires en particulier. Seule la conjugaison de la dissuasion efficace et du renforcement du rôle de l’Etat dans la régulation des marchés des denrées alimentaires couplés au retour au protectionnisme ciblée, permet à notre sens de répondre à ces questions structurelles. L’abus demeure au cœur de ces questions structurelles touchant le marché dans sa totalité.
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En effet l’abus est très courant dans les relations entre professionnels et entre ces derniers et les consommateurs qui constituent les maillons faibles du marché. La loi 104/12 sur la liberté des prix et de la concurrence prévoit toute un titre relatif aux pratiques restrictives de concurrence qui permet aux professionnels de se prémunir contre les abus dont ils peuvent être victimes. Il s’agit en l’occurrence des ventes liées du refus de vente du prix imposé et des pratiques discriminatoires.
Cependant dans les faits, cet éventail de dispositions juridiques reste lettre morte et ne fait l’objet que de très rares jurisprudences. Plusieurs causes expliquent cette rareté. D’une part les professionnels ne saisissent pas la justice quand ils subissent un préjudice matériel et préfèrent semble-t-il opportunément et lâchement répercuter les pertes liées à ce préjudice sur les vulnérables consommateurs finaux. D’autre part la justice n’est pas formée et initiée aux contentieux concurrentiels.
Concernant un autre volet touchant aux problèmes structurels posés par les marchés des denrées alimentaires nous considérons que ces derniers sont propices au risque anticoncurrentiel par les abus de positions dominantes et des ententes sournoises. Le constat de ce risque majeur impose la nécessité de réglementer les circuits de distribution et les rapports contractuels qui s’attisent entre les différents intervenants au niveau de la chaine (grossiste détaillants, producteurs fournisseurs, fournisseurs distributeurs), afin de mieux identifier les abus et lutter contre l’anarchie qui caractérise ces réseaux dans notre pays.
Compte tenu de ces constats nous nous permettons de poser la question de savoir si la mission de régulation de la concurrence au sein de ces marchés est parfaitement assuré par le conseil de la concurrence et la justice. Est-ce que la mission de ces acteurs de la régulation n’est pas entravée par le lobbing des opérateurs ? De même la dissuasion qui constitue la finalité fondamentale du droit est-telle assez remplie efficacement ?
Le peu de jurisprudences produites en matière de contentieux concurrentiels ne permet pas de répondre par l’affirmative à ces questions. Il est primordial d’assurer au préalable une sensibilisation des acteurs du marché sur les moyens et les dispositions protectrices que la loi prévoit en leur faveur. Cette sensibilisation sur les apports des textes spéciaux dérogatoires au droit commun doit être destinée aussi aux juges et avocats
Nous admettons que cet examen des causes de la hausse des prix dans ce contexte inflationniste exige impérativement de lancer un appel au civisme et à la moralisation des relations commerciales au bénéfice des consommateurs. Nous appelons par ailleurs au maintien répétitif des campagnes de contrôle pour lutter contre le délit du stockage clandestin, d’accaparement et de spéculation illicite.
Par ailleurs, dans ce contexte difficile, un fort besoin de conjugaison des efforts de toutes les parties prenantes se fait sentir. Nous préconisons qu’il y’a nécessité indispensable de complémentarité d’une politique de dissuasion effective et du renforcement de l’Etat régulateur certes libéral mais qui ne lésine pas quand il y’a urgence d’avoir recours au protectionnisme ciblé.
(*) Youssef Oubejja : Docteur en droit Economique.