Hissène Habré devant ses juges : une première historique en Afrique.
Le procès d’Hissène Habré, qui s’est ouvert à Dakar devant un tribunal spécial chargé de le juger – les « chambres africaines extraordinaires » – est une première. Jamais, un chef d’Etat africain déchu n’avait dû rendre des comptes devant une juridiction africaine pour des faits commis alors qu’il était en exercice.
Hissène Habré a régné sur le Tchad de 1982 à 1990. Il était soutenu par la France et les Etats-Unis qui le voyaient comme un rempart contre la Libye de Kadhafi. Il a fui sa capitale il y a vingt-cinq ans, renversé par un coup d’Etat mené par l’actuel président, Idriss Déby. Avant de gagner Dakar, il a pris soin de vider les caisses de l’Etat, si bien, qu’avant son arrestation en juillet 2013, il était resté puissant car il avait pris soin d’investir massivement au Sénégal.
Pendant les huit années de son règne, Hissène Habré s’en est pris à toute personne ou groupe perçu comme une menace pour son pouvoir : les populations du Sud, à majorité chrétienne, mais aussi ses propres alliés, dès lors qu’ils le critiquaient.
En 1992, une commission d’enquête nationale a estimé à plus de 40 000 les victimes de la dictature, assassinées ou mortes en détention. Les faits ont été qualifiés de « crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes de torture ». Pour asseoir son pouvoir, celui qui est surnommé le « Pinochet africain » avait créé la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), chargée de réprimer toute opposition. Campagnes d’assassinats, enlèvements, tortures : beaucoup des exécuteurs des basses œuvres de cette police politique sont encore en place, aujourd’hui.
Les exactions commises par la DDS ont été bien documentées. L’organisation de défense des droits de l’homme, Human Rights Watch, a retrouvé en 2001 les archives de la DDS. Les enquêteurs de l’organisation ont mis la main sur une liste de 1 208 personnes exécutées et de 12 321 victimes d’abus, des rapports d’interrogatoires, des fiches de détenus ou des certificats de décès. Les documents montrent qu’Hissène Habré était parfaitement au courant des crimes commis par cette police politique, « directement subordonnée à la présidence de la république ». Dans certains cas, Hissène Habré, aujourd’hui âgé de 72 ans, suivait même les interrogatoires d’opposants par walkie-talkie.
Un procès difficile
Hissène Habré est incarcéré depuis juillet 2013. Reste à voir comment il comparaîtra à son procès, prévu pour durer trois mois. Lors d’une audience d’introduction pour un interrogatoire d’identité, le 3 juin dernier, « il avait refusé de parler devant cette juridiction qu’il ne reconnaît pas ».
Les difficultés ne manqueront cependant pas. En mars dernier, la Justice tchadienne a condamné à la hâte des hommes de main d’Hissène Habré que réclamait le tribunal. Et le Tchad, d’Idriss Déby, fidèle à Habré avant de le renverser en 1990, refuse que ces hommes se rendent au procès à Dakar pour y témoigner.
Le président Wade, qui a toujours traîné les pieds afin de ne pas juger Habré, perd les élections présidentielles en mars 2012. La roue tourne, d’autant qu’en juillet 2012, le jugement de la CIJ tombe : obligation est faite au Sénégal de juger l’ex-président tchadien « sans délai ». Le nouveau président du Sénégal, Macky Sall, annonce qu’Hissène Habré sera jugé à Dakar par une nouvelle cour : les chambres africaines extraordinaires.
L’instruction africaine dure dix-neuf mois. Les juges ont interrogé 2 500 témoins et victimes lors de quatre commissions rogatoires au Tchad. Ils ont déterré des corps. Ils ont analysé les archives de la DDS. Ils ont décortiqué les structures du pouvoir sous Hissène Habré. La cour, qui juge l’ancien dictateur, sera composée de trois juges : un président Burkinabé et deux assesseurs sénégalais.
Mais ce procès aux intérêts divers pourrait durer longtemps.