Hydrogène vert : la transition énergétique coûtera 90 milliards de dirhams
Par Bachir Abdellah
Les scénarios de transition les plus probables, décrits par l’Agence internationale de l’énergie, offrent aux gouvernements tributaires des hydrocarbures un certain temps pour s’adapter à une baisse structurelle de la demande de pétrole et de gaz et des actifs financiers connexes. Cependant, les pressions budgétaires s’intensifieraient si la réglementation et les politiques changeaient ou si les investisseurs se retirent du secteur des hydrocarbures. Au Maroc, le gouvernement veut continuer à augmenter la part des énergies renouvelables à environ 52 % d’ici 2030. La feuille de route élaborée dans ce sens permettra-t-elle d’arriver à cet objectif ?
Le Maroc à l’instar de tous les pays est confronté à la plus grande transformation des temps modernes, le nouveau gouvernement s’est lancé dans la continuité de la politique énergétique à savoir mettre en avant la transformation énergétique et faire cap sur l’hydrogène vert.
Le Maroc a son grand plan d’investissement sur l’hydrogène vert, d’ailleurs la feuille de route a été publiée par le gouvernement, en janvier 2021, et on voit qu’il s’agit d’un énorme plan d’investissement de 90 milliards de dirhams sur les dix prochaines années.
Dans la décennie 2020-2030, les objectifs sont l’utilisation de molécules vertes, principalement l’hydrogène, l’ammoniac et le méthanol comme matière première industrielle, son exportation, notamment vers l’Europe, et l’exploration des gisements naturels d’hydrogène. Au cours de la décennie 2030-2040, il a été décidé de développer les premiers projets économiquement viables, d’exporter des carburants liquides synthétiques et d’utiliser l’hydrogène comme vecteur de stockage d’énergie. Entre 2040-2050, le Ministère approfondira l’amélioration des capacités nationales de production d’hydrogène, d’ammoniac et de carburants synthétiques verts pour accroître les exportations.
Pour avoir une idée du montant, il suffit de comparer avec les investissements des autres pays européens. Par exemple, l’Allemagne qui a pourtant des moyens d’investissement beaucoup plus importants que le Maroc, a annoncé, en 2021, le même montant pour son plan hydrogène de 8 milliards d’euros. La France, quant à elle, avait annoncé 7 milliards ; mais le Président Emmanuel Macron vient d’ajouter 1,9 milliard. Ce qui fait un total de 8,9 milliards pour la France. Le Royaume-Uni, 4 milliards et l’Espagne, seulement 1,9 milliard d’euros. Ce sont les investissements bruts.
Une politique audacieuse
Le Maroc devra se féliciter de l’avantage de son positionnement précoce qui lui permet de pouvoir consolider et développer, sereinement et systématiquement, des infrastructures. C’est la raison pour laquelle le Ministère de la Transition énergétique et du développement durable a initié la création d’une Commission nationale pour l’hydrogène vert impliquant toutes les parties prenantes afin d’évaluer et de préparer un environnement favorable à l’émergence de la filière, notamment le schéma directeur des infrastructures, le cadre réglementaire et fiscal ainsi que le renforcement des capacités et des infrastructures industrielles et de recherche et développement.
Pour mesurer l’effort du gouvernement, il faut comparer le montant de l’investissement au PIB. En observant le ratio investissement sur piles 2019, (2020 avec le Covid ce n’est pas très significatif), on voit que pour les principaux pays européens, leurs plans d’investissement dans l’hydrogène ne représentent rien par rapport à leur PIB entre 0,15% (Royaume-Uni) et 0 36% (France) du PIB. Par contre, le Maroc va plus loin et investit l’équivalent de 7 % du PIB.
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L’investissement marocain a commencé, en mai 2021, quand l’Institut de recherche sur l’énergie solaire et les énergies renouvelables (IRESEN) a lancé Benguerir GreenH2, une plateforme qui intègre chercheurs, pouvoirs publics et industriels. Ce partenariat inclut le français Engie, l’allemand Siemens Energy et le marocain Nareva, appartenant à la Société nationale d’investissement (SNI), véritable holding qui opère dans le secteur des énergies renouvelables ; Maghreb Oxygène, filiale du groupe Akwa, et du géant des phosphates OCP. Quelques jours plus tard, le 10 juin 2021, le Royaume conclut un accord avec l’Agence internationale des énergies renouvelables (IRENA) pour étudier les moyens d’impliquer les opérateurs privés dans ce nouveau secteur.
Force est de constater que Maghreb Oxygène et l’OCP se partagent ici 80% du marché marocain naissant de ce qu’on appelle «l’hydrogène gris», puisqu’il est obtenu grâce à l’électricité du réseau national, qui est produite en grande partie à partir d’énergies fossiles (on parle de «vert» lorsque la source d’énergie est renouvelable). Issu de l’Association marocaine pour l’hydrogène et le développement durable (AMHYD), qui regroupe les entreprises du secteur, au sein de la Confédération générale des entrepreneurs du Maroc (CGEM). L’hydrogène est distribué principalement par Afriquia, du groupe Akwa, et Air Liquide, et est destiné pour les secteurs agroalimentaire et industriel. Seuls les 20% restants de la production sont générés par de petites et moyennes entreprises.
Paramètres techniques
Parallèlement à la viabilité technique et financière des nouveaux projets verts, la principale question est de savoir quelles seront les conséquences pour la transition énergétique et les citoyens marocains d’une stratégie qui, au-delà de rapprocher le pays de son autonomie énergétique, est conçue et essentiellement orientée vers l’exportation. Parallèlement, l’Agence marocaine pour l’énergie solaire (MASEN) multiplie les efforts pour attirer les investisseurs, présentant le Maroc comme un lieu privilégié pour la production d’hydrogène vert en raison de ses gisements importants dans les énergies renouvelables et de la combinaison de l’énergie éolienne et solaire.
Le Royaume du Maroc a initié une dynamique régionale qui a pour objectif de créer une filière économique et industrielle autour de molécules vertes, particulièrement l’hydrogène, l’ammoniac et le méthanol, afin de consolider sa transition énergétique en contribuant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et soutenir la décarbonation de pays partenaires. Cet élan s’appuie notamment sur la valorisation d’un potentiel en sources d’énergies renouvelables exceptionnel ainsi qu’une expertise acquise par le Royaume lors de ces 10 dernières années.
En ce qui concerne les moyens techniques, Badr Ikken, Directeur général de l’Institut de Recherche en énergie solaire et énergies nouvelles (IRESEN), déclare que « la feuille de route Maroc pour l’hydrogène vert, publiée en octobre 2021, se base sur plusieurs études relatives notamment à la maturité technologique, aux infrastructures existantes et au potentiel national et international » Il précise que « Nous disposons, aujourd’hui, d’une expertise et de ressources humaines hautement qualifiées dans le domaine des énergies renouvelables ainsi que dans le domaine de la transformation chimique, deux maillons essentiels de la chaîne de valeur hydrogène vert ». La feuille de route hydrogène vert prévoit également une montée en puissance progressive qui nous permettra de couvrir les autres maillons de la chaîne de valeur, tels que le transport, le stockage, le process d’électrolyse et les différentes applications d’exploitation de l’hydrogène et ses dérivés.
Jouant un rôle très important, le transport au niveau national « constituera, au début, une part importante et pourra être consolidé par des gazoducs. Les capacités des infrastructures portuaires existantes, aujourd’hui, au Maroc, permettraient d’assurer l’export de plus d’un million de tonnes d’hydrogène et quelques millions de tonnes d’ammoniac et peuvent donc couvrir les projections à l’horizon de 2030 (plus de 10 GW d’énergies renouvelables pour produire l’électricité verte pour alimenter les électrolyseurs, les unités de dessalement et de transformation). Au-delà de cette période et pour mettre en œuvre les potentialités à l’horizon de 2040, il faudra mettre en place d’autres ports qui viendraient renforcer les 6 ports importants existants du Royaume », selon le directeur général de l’Institut.
R&D et innovation
Le secteur de la Recherche et Développement occupe une partie importante dans la politique énergétique du royaume. A ce titre, l’Institut de Recherche en énergie solaire et énergies nouvelles (IRESEN) avec l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) et le Groupe OCP ont lancé la création de la plateforme de recherche, greenH2A, dédiée à la R&D et à l’Innovation dans la filière de l’hydrogène vert et ses applications (Power-To-X). « Cette première infrastructure, à l’échelle africaine, va jouer un rôle majeur dans le déploiement industriel de la filière de l’hydrogène vert et de ses applications au Maroc. En outre, elle permettra d’investiguer, de tester, d’adapter au contexte local, de développer et de mettre à l’échelle les technologies innovantes de ce secteur porteur du futur ». Selon, Badr Ikken, « Plusieurs projets pilotes structurants sont en cours de développement et de mise en place, notamment un pilote de production d’hydrogène et d’ammoniac vert ainsi qu’un pilote de production de kérosène synthétique et de stockage de l’hydrogène ». La plateforme green H2A, quant à elle, constitue un fer-de-lance pour accompagner la montée en puissance des universités et des entreprises marocaines.
L’IRESEN a également initié, avec plusieurs acteurs du monde académique et socio-économique et avec le soutien de notre Ministère de tutelle, la création d’un Cluster dédié au sujet, le greenH2, souligne la source. Le Cluster vise la promotion de la filière hydrogène au Maroc à travers l’initiation, l’accompagnement et la coordination des projets collaboratifs innovants dans le domaine de l’hydrogène vert au Maroc, en vue d’encourager l’innovation et de contribuer à l’émergence d’une filière hydrogène compétitive.
Aujourd’hui, le Cluster compte 38 membres, appartenant à différents secteurs et domaines impliqués dans la transition énergétique y compris l’hydrogène et compte 6 Comités, à savoir : le transport de l’énergie, l’industrie des énergies renouvelables, l’industrie de la chimie, le comité Projets, la Recherche, le Développement et Innovation et le Comité Partenariat International. Le Cluster prépare le lancement de plusieurs études, particulièrement sur la chaîne de valeur hydrogène vert et le potentiel de colocalisation de la valeur au Maroc ainsi que l’étude de projets pilotes pour les secteurs industriels prioritaires.
Cette organisation et structuration contribuera à renforcer les infrastructures existantes pour l’émergence d’une filière compétitive de l’hydrogène vert au Maroc.
L’intelligence artificielle au cœur de la politique énergétique
La digitalisation et l’intelligence artificielle gagnent du terrain dans plusieurs secteurs. Ils permettent d’optimiser les ressources, les process, la productivité et dans le secteur énergétique d’arriver à une meilleure efficience énergétique. La digitalisation et le réseau électrique sont corrélés depuis plusieurs années. « Au niveau de notre plateforme de recherche, le Green Energy Park, plusieurs ingénieurs travaillent sur des projets de jumeaux numériques (digital twins), véritables modèles numériques d’installations et de process. », informe le directeur général de l’IRESEN. Ils développent ces jumeaux numériques intégrant l’intelligence artificielle afin de modéliser des réseaux électriques, améliorer l’efficience énergétique mais aussi pour simuler la durée de vie et les pannes d’une centrale solaire en vue de prévoir notamment la maintenance préventive.
Dans le même ordre d’idée, I’IRESEN est en train de finaliser, en partenariat avec la KOICA, un nouveau centre de Recherche dédié aux réseaux intelligents, au niveau de notre plateforme Green & Smart Building Park (IRESEN et UM6P). Ce centre intègre le plus grand simulateur de réseaux intelligents en Afrique permettant de simuler le réseau électrique d’une ville de la taille de Casablanca et d’évaluer, par exemple, l’impact des énergies renouvelables ainsi que de la mobilité électrique.
Ces instruments pourront être d’une grande valeur pour élaborer et optimiser, continuellement, la politique énergétique. En ce qui concerne le secteur électrique, ils permettront de renforcer l’intégration des énergies renouvelables dans le réseau, gérer leur intermittence et réaliser les objectifs de notre pays concernant la réduction des émissions carbones. L’intelligence artificielle devra être utilisée, rapidement, pour la modélisation et l’élaboration des nouveaux modèles politique et pourra, au fur et à mesure, se généraliser au niveau du secteur de la maintenance et ensuite de l’exploitation. La digitalisation et l’intelligence artificielle apporteront, sans aucun doute, de grands avantages pour la gestion du mix énergétique, mais « il faudra également gérer les risques afférents à la sécurité des données », la consommation énergétique, la décarbonation des équipements IT, l’impact social et l’équilibre des pouvoirs. L’accès à des quantités gigantesques de données, sensibles et importantes doit encourager à renforcer les capacités et doubler les investissements dans le domaine de la digitalisation afin que la transformation digitale du Maroc accompagne, faiblement, la transition énergétique, d’électrolyse et les différentes applications d’exploitation de l’hydrogène et ses dérivés.
Pour quel coût économique ?
Au-delà de ses atouts, la production massive d’hydrogène vert soulève de nombreuses questions, tant d’un point de vue écologique qu’économique. L’Institut national des sciences appliquées de l’Université de Toulouse estime que si le Maroc aspirait à produire 4% de la demande mondiale en hydrogène, il devrait multiplier par 4 sa consommation actuelle d’électricité et, par conséquent, étendre considérablement ses infrastructures, estimant que pour cela il faudrait couvrir environ 2 000 km2 de désert avec des panneaux solaires.
Les pouvoirs publics considèrent que le développement local de la production d’hydrogène vert est appelé à renforcer l’industrialisation marocaine, formant une nouvelle filière capable de créer de la richesse et des emplois, que ce soit par le démarrage de l’ammoniac, des biocarburants ou des piles à combustible. L’expérience dans la production d’énergie à partir de sources solaires est très présente, ce qui a généré des pertes de plusieurs millions de dollars pour les caisses publiques, MASEN vendant l’énergie à un coût bien inférieur à la production, présentant un déficit annuel de plus de 75 millions d’euros. A cette occasion, l’objectif est de minimiser les risques de l’État et, pour cela, l’implication du secteur privé semble clé. L’AMHYD mène une mission d’identification d’investisseurs et de clients potentiels.