Hydrogène vert : le Maroc, futur champion mondial ?
Face aux enjeux climatiques et environnementaux, le Maroc se positionne peu à peu comme un véritable pionnier en matière d’énergies renouvelables, grâce à une vision Royale clairvoyante et stratégique. Ainsi, les différents acteurs marocains s’activent dans le déploiement d’une source d’énergie qui fait beaucoup parler d’elle depuis quelques années, l’hydrogène vert, que certains spécialistes voient déjà comme le «futur or vert.» Clé de voute de la transition énergétique européenne, c’est dans cette branche que le Maroc ambitionne de devenir un important exportateur mondial…
Qu’est-ce qui explique un tel engouement autour de cette source d’énergie ? Quels sont les enjeux géopolitiques et quels seront les apports pour le Royaume ? MAROC DIPLOMATIQUE s’est entretenu avec des experts marocains et européens pour nous éclairer sur le sujet.
L’hydrogène vert, «le pétrole du XXIe siècle» ?
L’hydrogène est progressivement devenu un levier de la transition énergétique et au centre des stratégies de tous les gouvernements qui y investissent des milliards. Un engouement mondial dû notamment au fait qu’il s’agit d’une solution prometteuse, moins chère que les énergies fossiles, et qui pourrait doter les États d’une ressource illimitée, décarbonée, stockable et transportable, nous explique Anas Abdoun, consultant-analyste en risque géopolitique dans le secteur des énergies hydrocarbures. «L’hydrogène vert réconcilie ainsi les idéaux politiques de protection de l’environnement, aux impératifs économiques qui restent un élément crucial des périodes de transition énergétique».
À l’instar du pétrole ou d’autres sources énergétiques très convoitées, l’hydrogène vert devient donc peu à peu un atout de compétitivité économique et stratégique. «Avec la taxe carbone relative aux importations, orienter l’énergie renouvelable vers l’industrie permet à la production de biens d’être décarbonée, ce qui leur donne une plus grande compétitivité sur le marché», ajoute le spécialiste. L’hydrogène vert pourra même, à l’avenir, remplacer la plupart des usages du gaz naturel mais aussi servir de matière première dans l’industrie chimique et pétrochimique, notamment dans la production d’engrais, ou encore comme carburant pour le transport (en particulier le transport lourd comme les trains, camions, bateaux) à travers les piles à combustible, explique quant à lui, Philippe Bozier, Associé PwC, en charge du secteur de l’énergie et infrastructures. «En théorie, les débouchés pour l’hydrogène sont donc colossaux et certains y voient le pétrole du XXIème siècle», ajoute-t-il.
Une stratégie marocaine ambitieuse
À un moment charnière de sa stratégie énergétique, l’objectif du Maroc de s’équiper d’une usine d’hydrogène vert à l’horizon 2025 et de devenir un grand exportateur à l’horizon 2030, témoigne d’une vision ambitieuse et pertinente. A ce titre, dès 2019, une Commission nationale d’hydrogène a été créée pour diriger et assurer le suivi de la réalisation des études dans ce domaine, ainsi que d’examiner la mise en œuvre de la feuille de route de production d’hydrogène. En parallèle, une série de projets de recherches et de développement a été lancée. Il est alors envisagé d’atteindre un mix énergétique renouvelable d’au moins 52% d’ici 2030, ce qui devrait accroître fortement les capacités de production du pays, et lui donnera les outils indispensables pour devenir un acteur essentiel du marché, se réjouit Mountacir Zian, Directeur Général de la CMAIS.
C’est, en effet, un secteur dans lequel le Maroc a un véritable atout stratégique, souligne-t-il. Un atout qu’il doit à une prise de conscience avancée, de sa capacité solaire et éolienne exceptionnelle. «À long terme, le ministère de l’Énergie en coopération avec MASEN et l’IRESEN ambitionnent de faire du Maroc un leader africain dans les énergies renouvelables et un champion mondial de l’hydrogène vert ce qui renforcera davantage son statut de hub énergétique», complète Anas Abdoun.
Des atouts incontestables
En plaçant l’hydrogène au cœur de sa stratégie énergétique, le Royaume entend profiter de sa position géographique d’exception et de son climat pour répondre à une demande mondiale considérable.
Pour Philippe Bozier, le Maroc dispose d’arguments convaincants pour prendre une place dans le futur paysage mondial de l’hydrogène. «La production massive d’hydrogène vert requerra d’énormes capacités de production d’énergie électrique. Le Maroc bénéficie d’une expérience de premier plan en la matière, de conditions d’ensoleillement et de vent parmi les meilleures du monde, et de très importantes réserves foncières (on parle ici de centrales de plusieurs centaines voire plusieurs milliers d’hectares, ce qui est très contraignant dans les pays plus densément peuplés)». De plus, l’hydrogène, à la différence par exemple de l’énergie solaire, il y a quelques années, ne nécessite pas une révolution technologique majeure, mais plutôt l’évolution de technologies déjà existantes. Ces expertises (mécaniques, chimiques) existent majoritairement déjà au Maroc, assure-t-il.
Des défis de taille à relever
Des questions se posent toutefois, notamment sur le besoin en eau qui représente un défi majeur pour le Royaume, confronté à des problématiques de sécheresse, mais loin d’être insurmontable selon nos intervenants. Le dessalement de l’eau de Mer est une solution à court terme. «À ce titre, le Maroc compte 8 stations de dessalement et est sur le point de finaliser la plus grande station d’Afrique», rappelle Anas Abdoun. Autre possibilité ajoute-t-il, des chercheurs belges et Hollandais ont déjà réussi à convertir l’humidité de l’air en hydrogène. Enfin, l’emplacement stratégique du Maroc qui dispose de deux frontières naturelles : l’océan Atlantique et la mer Méditerranée. Cette situation donne accès au Maroc à des réserves importantes en eau, explique Mountacir Zian. «Vous comprenez, avec 3600 Km de côtes, c’est une découverte majeure pour l’avenir de l’Hydrogène vert produit au Maroc», conclut Anas Abdoun.
Autre challenge à relever, le Maroc ne produit pas encore ses propres panneaux solaires et ses propres éoliennes. Il devient donc crucial de mettre en place une stratégie permettant une maîtrise et une remontée progressive de la chaîne des valeurs dans l’industrie des énergies renouvelables, rappelle Anas Abdoun. «À ce titre, l’annonce de l’IRESEN de la première borne de rechargement de voiture électrique 100% marocaine est une nouvelle très encourageante.»
Enfin, si l’Europe peut devenir un marché d’export pour le Maroc, ce dernier doit relever d’importants défis d’ordre logistique et réfléchir davantage aux technologies de transport de l’hydrogène vers le continent européen. Pour cela, le Maroc dispose de deux options, cite la même source. La première, serait la construction d’un hydrogénoduc reliant le Maroc à l’Espagne, et ce, précisément au moment où Bruxelles, dans le cadre de son pacte vert, se penche sur un projet de réseau d’hydrogénoduc à travers tout le continent. Cela conférerait à Rabat une «position unique, de partenaire, dans la réflexion des tracés des réseaux mais aussi d’assurer un raccordement des infrastructures marocaines aux réseaux européens». La seconde option que suggère le spécialiste, serait la conversion du Gazoduc GME qui exporte le gaz algérien vers l’Espagne. «En 2020, un certain nombre de litiges sont survenus entre la Sonatrach et la société importatrice espagnole Naturgy Energy, alors que les exportations algériennes vers l’Espagne diminuent sans cesse. Il est donc pertinent d’évaluer cette option dans la mesure où elle serait moins coûteuse, et que l’accord maroco-algérien prend fin cette année».
Le Maroc comme acteur privilégié et stratégique
Classé cinquième mondial pour l’indice The Green Future 2021, élaboré par le MIT, devant le Danemark ou encore la France, le Maroc bénéficie d’une crédibilité incontestable en matière d’énergies vertes, ce qui en fait un partenaire de choix. Mais que gagne le Maroc dans l’histoire ? En effet, si le développement des énergies renouvelables est un outil d’indépendance énergétique, à l’heure où tous les gouvernements prennent un virage «green», investir dans un secteur clé comme celui-ci, incitera également le Royaume à procéder à des réformes lui permettant d’accélérer son processus d’harmonisation avec son voisin européen, dans le cadre du «Statut avancé», relève Philippe Bozier. Cela lui permettra de fonctionner d’une manière «compatible» avec le marché européen, dans le domaine de l’électricité et des énergies renouvelables, dont l’hydrogène vert, de contribuer à la mise en place d’un espace économique commun entre l’UE et le Maroc et une intégration poussée de l’économie marocaine à celle de l’UE. Tout cela «en autorisant l’implication du secteur privé dans la production et la distribution/vente d’électricité et en étant régulé par une autorité indépendante.» Dans le domaine de l’électricité, cela est d’ailleurs en cours d’implémentation, ajoute-t-il : «Les lois existent (en particulier la loi 48-15), l’ANRE est en train de prendre opérationnellement ses fonctions. La prochaine étape sera l’autonomie du transport d’électricité au sein de l’ONEE. Ces nouvelles dispositions devront permettre au Maroc et à l’UE d’intensifier l’export et l’import de l’énergie de part et d’autre de la Méditerranée.». Ainsi, même s’il n’est pas encore pleinement exploité, l’hydrogène vert peut être un véritable accélérateur dans la décarbonisation de l’économie mondiale, résume Abdoun.
Ce chantier lui permettrait donc de se positionner en véritable champion continental voire mondial, dans la mesure où il sera en capacité de fournir les plus grands marchés économiques du monde et de devenir un hub énergétique majeur entre l’Afrique et l’Europe.
Un partenariat euro-marocain renforcé
Le Maroc vit un tournant historique de sa stratégie énergétique mais aussi de celle de son voisinage. En effet, l’Union européenne a fait de l’hydrogène une «clé de voute» de la transition énergétique. Pour rappel, le plan de relance européen post-Covid repose en partie sur la stratégie énergétique. Bruxelles a incité les Etats membres à investir dans l’hydrogène vert à travers les fonds alloués dans le cadre du plan de relance baptisé Next Generation EU. La Commission européenne a alors affirmé que la transition énergétique permettrait de stimuler l’innovation et de créer de nouveaux emplois en vue d’assurer la croissance. À ce jour, le Maroc s’est associé avec l’Allemagne en signant un partenariat visant entre autres, la construction dans le Royaume d’une unité de production d’hydrogène vert, qui serait la première sur le continent. «Le Maroc a déjà été choisi comme le premier à bénéficier du volet partenariat international de la stratégie. Avec ce pays d’Afrique du Nord, nous sommes en train de développer la première usine industrielle de production de gaz vert sur le continent africain », a indiqué Gerd Müller, ministre fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement. « Les conditions pour la production de l’hydrogène vert en Afrique sont idéales ». Même son de cloche avec le Portugal qui a signé, début février, une déclaration de coopération destinée à mettre en place les bases nécessaires pour développer le partenariat dans la filière de l’énergie propre entre les acteurs économiques des deux pays. De la même manière que le Britannique Xlinks qui compte produire de l’Énergie verte à TanTan et qui démontre que le Maroc est dans le radar des États européens désireux de se lancer dans cette transition énergétique, précise Anas Abdoun.
Par ailleurs, il s’agit d’une branche qui nécessite des investissements colossaux. Le plan européen pour l’hydrogène, c’est un investissement de 1400 milliards d’euros, d’autant plus que l’hydrogène ne représente que 2% du mix énergétique mondial. «Le Maroc ne dispose pas de leviers financiers aussi importants que les pays économiquement avancés, et qui doit également penser ses investissements dans d’autres secteurs de développement plus prioritaire.» précise-t-il.
Pour pallier cette faiblesse, le Maroc s’est engagé à travers une multitude de partenariats techniques et économiques, stratégiques et «gagnant-gagnant. Le Maroc répond à son problème de financement par des partenariats bilatéraux tandis que les Européens, soucieux de sécuriser leurs approvisionnements énergétiques de demain, investissent au Maroc grâce à son fort potentiel de production ».
Ainsi, l’UE met à disposition du Maroc des instruments de coopération, sous forme d’accès à des financements et à de l’assistance technique nous explique Philippe Bozier. «Un jumelage Maroc-UE existe notamment pour accompagner l’évolution réglementaire du secteur de l’énergie marocain.»
Un enjeu géopolitique de taille
Les énergies renouvelables représentent un véritable atout géopolitique et un instrument même du soft-power au 21E siècle. Mais le Maroc n’est pas le seul pays qui excelle en la matière, bien que peu de pays en Afrique possèdent des atouts compétitifs équivalents. «L’Afrique du Sud est le pays le plus avancé dans la réflexion sur l’H2 vert, mais ne dispose pas de l’avantage géographique du Maroc», constate Philippe Bozier. L’Algérie quant à elle, «bénéficie d’atouts climatiques et géographiques proches de ceux du Maroc, mais elle est aujourd’hui beaucoup moins en pointe que le Maroc dans le domaine des énergies renouvelables».
En dehors du continent Africain, le Maroc n’est pas le seul pays sur la ligne départ dans cette course à l’H2 vert, ajoute-t-il. «Un pays comme l’Espagne, par exemple, avec des conditions d’ensoleillement proches de celle du nord du Maroc, est plus avancé que le Maroc dans ses plans de développement d’une infrastructure H2 et a l’énorme avantage d’un accès direct, sans frontière, au marché européen». À ce titre, l’harmonisation avec l’espace européen demeure un point essentiel, souligne-t-il.
Plus à l’est, le «Japon envisage aussi de transiter une partie de son mix énergétique du nucléaire vers l’hydrogène d’ici 2035. Un investissement de 15 milliards d’euros à cet horizon est prévu. L’objectif pour l’Etat insulaire est de réduire le risque nucléaire suite à l’incident de Fukushima.» En ce sens, la proximité du Maroc avec le marché européen et l’interconnexion existante avec la péninsule ibérique sont des atouts majeurs pour que le pays devienne un fournisseur du continent.
En conclusion, la place du Maroc se confirme peu à peu, et ses stratégies lui permettront à terme de devenir un fournisseur de taille d’hydrogène vert. Il peut se positionner en véritable porte de l’Afrique pour l’Europe, en ce qui concerne également l’acheminement des hydrocarbures du Nigeria, en plus de ceux de l’Algérie avec le GME. Cela est d’autant plus important que l’Europe cherche activement à diversifier son approvisionnement énergétique qui reste trop dépendant de la Russie.