Implantation d’un cœur artificiel: Cinq questions au Dr Mohamed Amrani, chirurgien cardiovasculaire
Une équipe 100% marocaine a réalisé récemment à Casablanca la première implantation réussie du dispositif Heart-Mate 3 LVAD au Maroc (Left ventricular assist device).
Dans cet entretien, Dr Mohamed Amrani, chirurgien cardiologue qui dirige le staff médical, explique les enjeux de cet exploit qui ouvre la voie à une évolution du traitement des insuffisances cardiaques au Maroc.
Une équipe 100% marocaine, sous votre direction, a effectué la première implantation au Maroc du dispositif LVAD (Left ventricular assist device). Qu’est ce qui distingue cette opération de transplantation cardiaque?
Dr. Mohamed Amrani: Il s’agit d’une réalisation capitale, parce que jusqu’à il y a cinq ans ou dix ans, la transplantation cardiaque était pratiquement la seule option viable. La mise en place d’un dispositif d’assistance ventriculaire gauche permanent ou temporaire était en général utilisée comme pont vers la transplantation (Bridge to transplantation). En réalité cette technique s’est imposée à cause de la rareté du don d’organe. En effet, un certain nombre de patients chez qui on avait mis ce système, dans le but d’arriver à la transplantation, n’ont jamais pu avoir des organes et on s’est rendu compte entre temps que ces appareils pouvaient durer un temps beaucoup plus long que ce qui était prévu. C’est devenu donc une technique complémentaire et parallèle à la transplantation. Dans les dix dernières années, ces systèmes sont passés du Heart-Met 1 au Heart-Met 3 et sont devenus extrêmement compétitifs au point de vue efficacité à tel point que dans les prochaines années, ils seront une option réelle à côté de la transplantation.
Ainsi, cette opération est une première nationale. Et il faut souligner que c’est une équipe 100% marocaine avec aucune interférence étrangère. Il s’agit d’une intervention qui est aujourd’hui une alternative viable, au vu des progrès des dispositifs d’assistance ventriculaire. Ce qui est très important, car elle pourrait dans un futur très proche, être un substitut des transplantations cardiaques qui posent tous les problèmes qu’on connaît.
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Quelles sont les implications de cette opération pour le malade et quel en est le coût?
Les implications sont majeures, particulièrement pour le patient, et surtout marocain car si la transplantation est tributaire d’une disponibilité d’organes, celle-là engendre des problèmes d’ordre logistique évidents. En des termes plus tristes, il n’est plus tributaire du décès d’autrui. Au Maroc où la transplantation est particulièrement difficile pour toutes les raisons qu’on connaît, la possibilité d’avoir une alternative est quelque chose de capital.
Le coût en absolu du dispositif LVAD s’avère cher, soit près de 2 millions de DH. Cependant, lorsqu’on compare ce qui est comparable, à savoir la transplantation cardiaque avec le LVAD et quand on évalue la globalité des coûts des deux options, on s’aperçoit que le coût du LVAD se compare favorablement au coût de la transplantation. Il ne faut pas oublier que dans le cas des patients marocains, ils sont très souvent envoyés en France pour se faire transplantés. Il y a beaucoup à parier que le prix du système de LVAD va diminuer de manière significative comme on le voit en Hongrie, en Grande-Bretagne et ailleurs ou le prix avoisine les 100 mille euros.
Est-ce que cette opération ouvre la voie à une évolution du traitement des insuffisances cardiaques au Maroc?
Bien sûr, pour toutes les raisons que je viens d’expliquer, à savoir la non disponibilité d’organes, tous les inconvénients de se faire opérer à l’étranger, ainsi que les effets secondaires de la transplantation, en particulier les problèmes immunologiques qu’il faut monitorer au Maroc, ce LVAD comme traitement de l’insuffisance cardiaque terminale deviendra probablement la voie thérapeutique de choix au Maroc. Il faut garder en vue qu’un grand nombre de patients qui attendent et espèrent un don d’organes décèdent avant la transplantation. Ceci est davantage vrai au Maroc car ils sont tributaires d’une liste d’attente étrangère. Donc en résumé, le fait d’avoir une alternative qui est disponible (On the shelf), permet un traitement immédiat et sans aucune dépendance de contingence, comme le don d’organe.
Parlez-nous de l’équipe médicale et de l’établissement derrière cet exploit?
Personnellement, j’ai une expérience de 25 ans en Grande-Bretagne dans un service complètement dédié aux transplantations cardiaques et aux assistances ventriculaires. Armé de cette expérience, je suis revenu au Maroc où j’ai eu la chance de retrouver des équipes plus au moins formées en chirurgie cardiaque avec lesquelles nous avons évolué pendant près de 4 ans et effectué plus de 1.500 opérations cardiaques. Donc, on a simplement instillé la motivation et les compétences de manière à arriver aux résultats escomptés.
Quelle est la situation du don d’organes au Maroc et particulièrement du don de cœur?
La situation du don d’organes est catastrophique comme partout dans le monde. Au Maroc, elle est probablement plus aiguë parce que la notion du don d’organe n’est probablement pas entrée dans les mœurs. Le fait que cette pénurie est d’autant plus douloureuse rend la technique de LVAD d’autant plus précieuse au Maroc.
Avec MAP