Industrialisation militaire : un enjeu de souveraineté pour le Maroc
Dans un contexte de sécurité en constante évolution, le Maroc renforce sa stratégie de défense en diversifiant ses sources d’approvisionnement et en établissant des bases industrielles locales. Récemment, le Royaume a acquis des munitions pour armes légères auprès de l’entreprise indienne Ordnance Factory Varangaon, une étape significative dans son engagement à développer une industrie de défense robuste. En collaboration avec des acteurs internationaux tels que Tata Motors, le Maroc s’efforce non seulement de sécuriser ses frontières mais aussi de réduire sa dépendance vis-à-vis des fournisseurs étrangers. Dans une interview avec « Maroc Diplomatique », le spécialiste en défense Mohamed Badine El Yattioui met en lumière l’importance d’une vision à long terme pour positionner le Maroc comme une puissance émergente en Afrique, tout en soulignant les défis et opportunités qui se présentent dans cette dynamique d’autonomisation stratégique.
Le Maroc s’est récemment affirmé comme un partenaire stratégique de premier plan pour l’Inde dans le domaine de la défense. Cette évolution fait suite à un accord important avec Tata Motors, qui a permis l’établissement d’une usine indienne sur le sol marocain. Ce partenariat témoigne non seulement de la volonté des deux nations de renforcer leur coopération, mais également de l’intérêt croissant du Maroc pour moderniser son secteur de défense.
Dans cette dynamique, Rabat a franchi une nouvelle étape en acquérant des munitions pour armes légères auprès de l’entreprise indienne Ordnance Factory Varangaon. Cette acquisition souligne l’engagement du Maroc à diversifier ses sources d’approvisionnement en matériel militaire et à renforcer ses capacités de défense.
Dr Mohamed Badine El Yattioui, expert en défense et professeur d’études stratégiques au National Defense College des Émirats arabes unis, a exposé ses points de vue à « Maroc Diplomatique » sur les défis liés à la défense au Maroc, en particulier en ce qui concerne l’acquisition d’équipements modernes et l’établissement de bases industrielles et techniques.
Dr El Yattioui a mis en avant l’importance des priorités stratégiques du Maroc en matière d’acquisition d’équipements modernes. Selon lui, sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, le développement d’une industrie de défense a pour objectif principal de renforcer la protection des intérêts nationaux. Cela s’inscrit dans une stratégie de sécurité à moyen et long terme. « Le Maroc ambitionne de se positionner comme une puissance émergente en Afrique, et pour maintenir et accroître cette influence déjà solidement établie sur le continent, il est crucial de développer cet aspect », a-t-il-déclaré.
Sécuriser les frontières dans un contexte régional instable
L’industrialisation militaire et la production d’armements au sein du royaume visent à sécuriser les territoires et les frontières tout en protégeant les intérêts stratégiques du pays, qu’ils soient économiques, énergétiques ou industriels. De plus, cela permettra aux Forces Armées Royales (FAR) d’avoir les capacités nécessaires pour défendre le territoire face à d’éventuelles agressions extérieures, surtout dans un environnement régional de plus en plus instable, comme le montre la situation au Sahel et sur la scène internationale en général.
Ainsi, la définition de la sécurité nationale au Maroc doit être continuellement renforcée, en réponse à des enjeux en perpétuelle évolution dans un monde complexe et fragmenté. Les priorités en matière d’équipement concernent les acquisitions et les productions futures destinées à protéger les frontières du royaume, qu’elles soient terrestres, aériennes ou maritimes, sur ses côtes Atlantique et Méditerranéenne. Il affirme qu’« avec les menaces potentielles, qu’elles soient étatiques ou non, il est donc crucial de disposer d’équipements modernes et de qualité. Il est également impératif de hiérarchiser les enjeux de sécurité nationale sur les 10, 20 et 30 prochaines années ».
Dans le cadre de l’établissement de bases industrielles et techniques dans le secteur de la défense, le Maroc a mis en œuvre plusieurs initiatives spécifiques. Selon Dr El Yattioui, il est clair que plusieurs actions ont été engagées dans ce sens. Parmi celles-ci, on trouve le projet de loi 10-20, qui est en cours depuis un certain temps. De plus, un décret a été annoncé en juin 2024, visant à créer ce que l’on appelle des Zones d’Activités Économiques (ZAE). Le spécialiste souligne que « l’objectif est que l’État mette à la disposition des entreprises, tant nationales qu’internationales, des terrains ainsi que des facilités sur les plans juridique, réglementaire et fiscal pour faciliter leur implantation. Il sera également nécessaire de rechercher des financements, d’identifier des partenaires internationaux et de développer des initiatives en recherche et développement (R&D) pour construire un véritable écosystème marocain dans ce secteur ».
Partenariats internationaux, clé pour le développement de l’industrie militaire
Des avancées notables ont déjà été réalisées, notamment la signature d’un accord avec un groupe indien pour la production de véhicules de combat. Par ailleurs, un projet relatif aux drones est également envisagé, car ces derniers figurent parmi les équipements stratégiques que le Maroc souhaite développer. Les drones sont non seulement très efficaces, mais ils sont également largement utilisés par de nombreux pays.
Dans un autre volet, il soutient que « leur acquisition sera cruciale pour protéger les frontières marocaines, notamment dans les zones désertiques, où des tentatives d’incursion par des séparatistes du Polisario sont fréquentes. Dans ce contexte, les drones se révèlent être des outils très efficaces pour contrer ces menaces et neutraliser de telles incursions ».
Un cadre juridique a été établi, comprenant une loi et un décret, ainsi que des facilités juridiques, réglementaires et fiscales qui sont déjà en cours de mise en place. Il est essentiel de développer un écosystème aussi large que possible pour faciliter la recherche de financements, qu’ils soient nationaux ou étrangers. L’État jouera un rôle central dans le financement national, tandis que des financements étrangers seront également cruciaux.
En parallèle, il est important de mettre en place des partenariats avec divers acteurs. Par exemple, le Brésil pourrait être un partenaire intéressant, tout comme la Turquie dans certains domaines. De plus en plus de pays cherchent à développer de telles initiatives, et la concurrence pour attirer des investissements est réelle, notamment entre les puissances régionales ou celles aspirant à le devenir. Dans ce contexte, la stabilité politique du Maroc et la vision de Sa Majesté seront des atouts précieux pour attirer les financements nécessaires.
Quant au renforcement de l’autonomie stratégique militaire du pays, « il s’agit d’un processus qui prendra plusieurs années, voire des décennies. À titre d’exemple, le succès de la Turquie a nécessité 30 ans d’efforts. Ainsi, il est impératif d’évaluer les résultats dans une décennie et de prévoir les développements sur cette même période. Il faudra au moins 20 à 30 ans pour que le Maroc puisse commencer à acquérir une autonomie stratégique militaire, qui dépendra de divers équipements. Parmi ceux-ci, on peut envisager les drones, les véhicules militaires, ainsi que des vêtements spécifiques pour les forces armées », fait-il remarquer.
L’autonomie stratégique militaire du Maroc
En outre, le Maroc pourrait développer ses capacités en matière de munitions, d’armes lourdes et légères, et d’autres secteurs liés à la défense.
Cependant, atteindre cette autonomie stratégique exigera des choix éclairés, la définition de priorités, et une concentration sur la production de ces équipements. L’initiative indienne de fabriquer des véhicules militaires au Maroc, en vue de les exporter en Afrique, illustre cette dynamique et pourrait également renforcer l’influence marocaine sur le continent.
Concernant l’impact des partenariats internationaux, notamment avec des pays tels que l’Inde, le spécialiste en défense souligne que « ces collaborations sont essentielles pour le développement de l’industrie de défense marocaine ». Selon lui, les partenariats sont essentiels. « Rien ne peut être réalisé sans l’établissement de collaborations internationales. », ajoutant des pays comme la Turquie et le Brésil. Il est indéniable que la souveraineté du Maroc doit rester au premier plan. De plus, il est crucial d’identifier des partenaires appropriés, d’établir des mécanismes de coopération efficaces et de conclure des accords qui soient véritablement bénéfiques tant pour le Maroc que pour les nations qui participeront au renforcement de l’industrie militaire du Royaume.
En ce qui concerne les principaux défis auxquels le Maroc est confronté dans le développement de son industrie de défense, Dr El Yattioui souligne les enjeux liés au financement, à la recherche de partenaires et à la formation d’une main-d’œuvre spécialisée dans ce secteur. « Il est nécessaire de développer des compétences maroco-marocaines dans les domaines de la recherche de financement, de la recherche et développement, ainsi que de la fabrication » précise-t-il. Il souligne également que « l’industrie automobile, par exemple, pourrait jouer un rôle clé dans les partenariats avec des entreprises indiennes pour la production de véhicules de combat. Il sera également fondamental de faire émerger une main-d’œuvre réellement spécialisée dans ce secteur à travers des contrats précis et des clauses de confidentialité, le tout devant être envisagé sur le long terme ».
En outre, le renforcement des capacités en études stratégiques est d’une importance capitale. Enfin, il propose que « le Maroc doit disposer d’experts compétents en matière de recherche et de connaissances variées, et mettre en place des modèles de benchmarking, par exemple ».