Inégalités alimentaires : un Ramadan sous tension

À l’approche du mois sacré du Ramadan, les foyers marocains s’activent dans les préparatifs de cette période synonyme de partage et de traditions culinaires. Mais derrière l’effervescence des marchés et la frénésie des emplettes, une réalité plus sombre s’impose : les inégalités alimentaires se creusent inexorablement, exacerbées par l’inflation et la stagnation du pouvoir d’achat.
Selon un rapport du Haut-Commissariat au Plan (HCP), les modes de consommation des Marocains ont subi de profonds bouleversements entre 2014 et 2022, illustrant une fracture croissante entre ménages aisés et foyers précaires.
Si les plus modestes allouent encore l’essentiel de leur budget aux produits de première nécessité – céréales, légumes et huile – les plus fortunés, eux, privilégient une alimentation plus variée et plus coûteuse. La part des dépenses consacrées aux céréales a chuté de 16 % à 12,5 %, tandis que la consommation de légumes frais a connu une légère hausse, passant de 8 % à 10,2 %, notamment dans les foyers à revenus moyens et élevés.
Mais c’est surtout dans les dépenses liées aux repas pris à l’extérieur que l’écart est le plus frappant. En 2014, les Marocains consacraient en moyenne 6,5 % de leur budget alimentaire aux restaurants. Huit ans plus tard, ce chiffre a presque doublé, atteignant 12,8 %, une tendance particulièrement marquée dans les grandes villes où le rythme effréné de la vie pousse de plus en plus de ménages vers la restauration rapide et les plats préparés.
Les écarts se manifestent aussi dans la consommation de viande et de poisson. Tandis que les ménages pauvres consacrent une part significative de leurs revenus aux céréales (14,6 % contre 10,6 % pour les plus riches) et aux légumes (14,8 % contre 7 %), les foyers aisés privilégient des aliments perçus comme des symboles de statut social : viandes rouges, poissons et produits laitiers de qualité.
Lire aussi : Ramadan 2025 : De nouvelles actions pour sécuriser l’approvisionnement et lutter contre la fraude
Le cocktail explosif de l’inflation et de la crise climatique
Si ces inégalités alimentaires étaient déjà présentes il y a une décennie, les crises successives les ont considérablement aggravées. La pandémie de COVID-19 a eu des répercussions économiques profondes, suivie d’une inflation galopante qui a lourdement pesé sur le pouvoir d’achat.
Entre 2019 et 2022, les 20 % des Marocains les plus riches ont vu leur pouvoir d’achat baisser de 1,7 %, un recul certes perceptible, mais qui ne les a pas empêchés de maintenir leur niveau de consommation. À l’inverse, pour les 20 % les plus pauvres, l’impact a été bien plus sévère : une chute brutale de 4,6 % qui les a contraints à revoir drastiquement leurs dépenses alimentaires, se rabattant sur des produits de moindre qualité ou réduisant tout simplement leurs portions quotidiennes.
La classe moyenne, elle aussi fragilisée, a enregistré une baisse de 4,3 %, réduisant son accès à une alimentation diversifiée. Dans ce contexte, l’inflation alimentaire, qui continue de faire grimper le prix des denrées de base, s’annonce comme un défi majeur à l’approche du Ramadan, une période où les dépenses des ménages explosent.
Des disparités régionales criantes
Au-delà des écarts entre catégories sociales, les inégalités alimentaires se manifestent également selon les régions. À Dakhla-Oued Ed-Dahab, où l’économie repose sur la pêche et le tourisme, le revenu moyen annuel par habitant s’élève à 34 691 dirhams, bien au-dessus de la moyenne nationale. Casablanca-Settat et Rabat-Salé-Kénitra affichent respectivement des revenus annuels de 25 742 et 24 335 dirhams, permettant à une partie de la population d’accéder à une alimentation plus diversifiée.
En revanche, dans les zones rurales et les régions économiquement en difficulté, les revenus bien plus faibles rendent l’accès à une alimentation saine et équilibrée particulièrement ardu. L’inflation sur les produits de base y est ressentie avec encore plus d’intensité, renforçant le sentiment d’injustice sociale.
Face à cette aggravation des inégalités alimentaires, de nombreuses voix s’élèvent pour réclamer des mesures structurelles. Les experts plaident pour une régulation plus stricte des prix des denrées essentielles, une révision des mécanismes de subvention pour mieux cibler les populations vulnérables, ainsi qu’un soutien à une agriculture durable capable de stabiliser l’offre locale.