Inégalités sur le marché du travail : Oxfam au Maroc propose une radioscopie
Par Mouhamet NDIONGUE
Le marché du travail a toujours été l’épine dorsale pour évaluer les prouesses d’un gouvernement quant à sa réussite ou son échec. Au Maroc, le gouvernement d’Aziz Akhannouch l’a compris et promis 250.000 emplois. En attendant de voir les promesses du nouvel Exécutif sur la question, regardons ce que dit le rapport d’Oxfam au Maroc concernant les inégalités sur le marché du travail.
Le 12janvier 2022, Oxfam Maroc lance un nouveau policy pape intitulé : «Le marché du travail au Maroc : défis structurels et pistes de réforme pour réduire les inégalités». Un document à travers lequel Oxfam dresse un bilan précis et synthétique des problématiques de ce secteur afin de proposer plusieurs axes de réformes.
Dans son rapport, Oxfam décrit le marché du travail marocain, profondément inégalitaire, ce qui reflète des insuffisances de la trajectoire de croissance actuelle et d’une société peu inclusive, qui marginalise femmes et jeunes. Ce diagnostic conforte ainsi une réalité déjà inquiétante sur le marché du travail marocain caractérisé par une forte précarité, en lien avec la prépondérance de l’informalité.
Le document révèle que « l’emploi informel se concentre dans les secteurs les plus précaires : Le commerce (53 %), en particulier le micro-commerce ambulant et de rue, dans le cadre d’auto-emploi (marchands ambulants et autres). », indique le rapport. Ce secteur regroupe des jeunes, des personnes migrantes, des femmes, des enfants et des personnes déscolarisées.
Dans le détail, Oxfam rapporte que « les jeunes urbains subissent un chômage massif malgré l’allongement progressif de la scolarisation. ». Il ajoute même qu’au sein des 15-24 ans, « le taux de chômage concerne près d’un jeune sur 4 (24% en 2019) et suit une tendance haussière ces dernières années. » En effet, les personnes de cette tranche d’âge résidant en ville sont affectées par un taux de chômage entre 3 et 4 fois plus élevé que la population marocaine (38% en 2019 et jusqu’à 42% en 2017). Le chômage des 25-34 ans est également plus élevé que celui du reste de la population puisqu’il touche environ 15% de la population active de cette classe d’âge. « Parmi les 25-34 ans urbains, près d’un jeune sur 5 est touché par le chômage. « , estime Oxfam.
Pour Hiba El Khamal, responsable du programme Justice Économique et Environnementale : «l’impact immédiat de la crise Covid-19 sur le marché du travail marocain a renforcé ses faiblesses préexistantes. Les destructions d’emplois, ainsi que les emplois qui n’ont pas été créés, contribuent à l’augmentation de l’inactivité, déjà massive, et du chômage. Par conséquent, les conditions d’existence de nombreux Marocains devraient en être dégradées. Selon les dernières estimations de la Banque mondiale, le taux de pauvreté aurait augmenté de 1,3 point lors de la crise Covid-19, passant de 5,8% de la population en 2019 à 7,1% en 2020. Concrètement, cela signifierait que près de 470.000 Marocains seraient devenus pauvres en 2020.»
Le rapport sur «Le marché du travail au Maroc : défis structurels et pistes de réforme pour réduire les inégalités» précise que les créations d’emplois sont insuffisantes pour absorber l’augmentation de la population en âge de travailler. La population marocaine a augmenté de 7,7 millions de personnes entre 2000 et 2020, soit une hausse annuelle moyenne de 383.400 de personnes. La population en âge de travailler a crû d’environ 7,5 millions de personnes, correspondant à une hausse moyenne d’environ 370.000 personnes. Par conséquent, 186.000 personnes environ, gonflent, chaque année, en moyenne, sur les deux dernières décennies le groupe des inactifs. Autrement dit, le marché du travail marocain aurait dû créer, en moyenne, environ 280.000 emplois par an. Toutefois, seulement 90.000 ont été créés, conduisant, une part, toujours plus importante de la population à l’inactivité.
Les femmes demeurent par ailleurs surreprésentées dans les secteurs où l’emploi est précaire et les conditions de travail plus difficiles : agriculture, travail domestique, textile-habillement et économie informelle, en général.
Pour Abdeljalil Laroussi, Responsable de plaidoyer et campagne «Au Maroc, la moitié de la fenêtre démographique s’est déjà refermée et le pays n’a pas su bénéficier de cette opportunité. Les insuffisances du marché du travail sont en effet trop importantes pour entraîner une hausse rapide et soutenable du PIB par habitant et pour inclure les populations les plus vulnérables ».
Comment corriger les dysfonctionnements ?
Des mesures fortes et urgentes s’imposent pour répondre à la crise des inégalités et d’injustice sociales. Pour cela Oxfam Maroc propose que la généralisation de la protection sociale soit un moyen d’infléchir les inégalités femmes-hommes. Mieux, elle insiste pour que soit découplé l’accès à une couverture sociale de l’occupation d’un emploi qui est à même de servir l’amélioration des conditions de vie des femmes marocaines.
Autre point, le rapport préconise de protéger l’emploi, surtout les PME et TPE, à travers un plan ciblant prioritairement les jeunes et les femmes : mettre en place un plan de formalisation de l’activité économique, mais aussi améliorer la flexibilité des procédures administratives et investir dans les programmes d’accompagnement et de mentorat post-création tout en instaurant des abattements fiscaux pour les entreprises pour l’embauche de jeunes en CDI.
Le vieux pieu d’Oxfam c’est que le gouvernement doit investir dans l’employabilité des jeunes en impulsant des mesures telles que l’amélioration de la qualité des formations post baccalauréat, notamment en les rapprochant des besoins du secteur privé, et en multipliant par exemple les stages rémunérés ; investir dans les secteurs d’activité pour lesquels le Maroc dispose d’ores et déjà, d’une main d’œuvre qualifiée.