J’ai mal à mon pays
C’est un lieu commun que d’emboîter le pas aux esprits chagrins qui n’ont de cesse d’affirmer que rien ne va plus. A les entendre, en effet, le pays est au bord du gouffre, il a vite fait de franchir le Rubicon. S’il ne l’a pas encore fait, c’est alors une simple question de temps…
Il souffle un vent de déclinisme qui me rappelle, il y a fort longtemps, mes premières lectures d’Oswald Spengler, philosophe allemand qui a commis entre 1918 et 1922 deux grands tomes d’un essai intitulé… « Le Déclin de l’Occident » sur lequel je m’étais jeté en 1970 dans un Paris qui ne sortait pas encore des effluves de Mai 1968.
Il se répand une fumée de défaitisme, insaisissable et collante qui nous pend au nez. Le triomphe ahurissant des fake-news et la montée en puissance des GAFA qui leur servent de palissade, cette orgie de malveillance à tout bout de champ sont le tribut payé à la liberté.
Mais une liberté prise à l’envers, ou par-devers ! Elle n’a jamais été conquise, comme le furent les autres libertés arrachées autrefois face à des dictatures ou théocraties. La liberté à présent, ostentatoire, est une liberté facile, concédée dont on ne mesure pourtant point la fragilité.
J’en viens aux Cassandre qui grossissent le spectre des amateurs de cette antienne : « Le pire est devant nous » ! Et qui, balustrés sur leur confort, geignent et gémissent sans jamais rien proposer en retour.
Le président des Etats-Unis John Kennedy avait prononcé cette phrase prodigieuse lors de l’accession à la Maison Blanche le 20 janvier 1961 : « Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais plutôt ce que vous devez faire pour votre pays » ! Elle constituait un paradigme dans une Amérique qui sortait difficilement des limbes du républicanisme.
Je ne vois personne chez nous s’inquiéter de cette déliquescence de la parole, elle-même abaissement sémantique de la Raison. C’est à qui mieux-mieux nous précipitera dans le fossé du chaos du langage.
Les penseurs, les gloseurs et les « docteur tant-pis », ce qu’on qualifie faute de mieux d’intellectuels semblent se complaire dans la démission ou la culpabilisation réminiscente. Ils revendiquent le titre mais, à de très rares exceptions, n’en assument guère la charge.
Autrefois, on invoquait non sans tressaillir une « vague brune », déferlant sur les terres d’Europe, et comme une traînée de poudre répandant ses vents fumigènes jusqu’au monde arabe et persique. Nul n’oubliera non plus que c’est au cœur de l’Egypte qu’est né le mouvement des frères musulmans qui a eu maille à partir avec Nasser, ses successeurs Anouar al-Sadate, Hosni Moubarak et à présent le général Sissi. Ce Moloch islamiste qui a mis à l’épreuve la transition démocratique, déchiré le tissu social et voué le monde arabe à ses fantasmagories moyenâgeuses.
Ecrire à présent, après l’avoir subi, que sept ans de désenchantement ça suffit…ce n’est pas verser dans le complotisme dont certains s’éreintent à en faire un argument fallacieux et une réponse déplacée. Le dire encore et encore : il n’y a pas de fatalité à l’Histoire, ne nous complaisons pas dans cet excès d’amertume. Pas plus que d’autres pays, nous n’avons de raisons de désespérer…Arrêtons cette autoflagellation et rangeons aux vestiaires nos rengaines.
Le complot est plutôt là : il se glisse dans les interstices de notre ignorance et notre paresse à résister au diable introduit dans nos foyers voire dans nos âmes.