Jerada, entre test de confiance et épreuve de force
Faut-il rappeler que l’année dernière, les Marocains avaient passé un ramadan des plus tristes où les rituels religieux étaient troqués contre des contestations devenues habitude ramadanesque dans le Rif ?
Aujourd’hui encore, à presqu’un mois et demi du mois sacré, c’est l’histoire qui se répète et la sensation du déjà vu nous envahit. Jerada, cette ville marginalisée, depuis des décennies, n’a plus rien à perdre. Les mineurs qui esquivaient la mort en se jetant dans les griffes des puits ténébreux font entendre leur voix par de jeunes désespérés qui n’attendent plus rien de la vie.
Et c’était prévisible qu’il y ait d’autres mouvements calqués sur le Hirak d’al-Hoceima étant donné que les événements sont mal gérés dès le début. Nous assistons au même scénario, aux mêmes images et à la même douleur.
A Jerada, cette ville qui se raconte au passé, où la précarité est omniprésente, les spasmes duraient depuis des décennies, plus précisément, depuis la fermeture des mines de charbon, en 1998, seul gagne-pain de toute une région. Depuis, celle-ci peine à survivre en l’absence d’une alternative socio-économique. D’ailleurs, le taux de chômage y est l’un des plus élevés au Royaume. Le taux de pauvreté est accentué par la silicose qui sévit. Aussi les hommes sont-ils devenus des trompe-la mort pour pouvoir nourrir leurs familles au risque de perdre la vie dans les puits de la mort d’où ils extraient du charbon de façon précaire et artisanale. Et c’est au fond, le décès accidentel de deux mineurs, lors de l’éboulement d’une galerie clandestine, qui a ravivé la colère des habitants.
Al-Hoceima, Jerada : même scénario et mêmes erreurs
Un bon diagnostic de la crise d’al-Hoceima aurait pu nous éviter celle que nous vivons aujourd’hui, à Jerada. Au lieu de cela, tout porte à croire qu’il y en aura d’autres encore tant que des liens entre le local et le national ne sont pas tissés et que des régions sont marginalisées et écartées des programmes de développement. Que ce soit à al-Hoceima ou à Jerada, les revendications sociales et économiques sont les mêmes. Les citoyens de ces zones enclavées ne demandent qu’à être écoutés et que leurs conditions de vie soient améliorées pour les sauver de la misère humaine où ils vivent. Le même synopsis se reproduit donc dans la ville minière alors que celui du Rif traîne toujours.
Et c’est le bras de fer qui prend le dessus entre les « manifestants » qui sont généralement des adolescents qui prennent le devant de la scène des manifestations en en faisant un jeu d’enfants où le vandalisme et la provocation sont les maîtres mots, dans un hirak qui se mue en anarchie et chaos et les forces de l’ordre qui ne font qu’accomplir leur devoir de protection, de sécurité et d’ordre public et exécuter une décision prise par le gouvernement. Comme suite logique, ces protestations se répercutent automatiquement sur l’activité économique au sein de la ville et touchent même les localités avoisinantes qui risquent de prendre le train en marche. Bouarfa n’a pas tardé, pour ainsi dire, à faire entendre sa voix aussi pour exiger un peu d’intérêt.
depuis que l’activité de la ville a été gelée, tout le monde savait qu’il fallait un mode de développement alternatif. Mais rien n’a jamais été fait et il a fallu attendre que cela explose pour décider d’un plan d’urgence
Et c’est dans ce climat trouble que la récupération politique et autre bat son plein. D’un côté, des partis politiques sapent les efforts déployés par l’Etat. Et de l’autre, d’après Al Ahdath Al Maghribia, Al Adl wal Ihsane, pour donner le coup de fion, tire les ficelles comme à chaque mouvement social, preuve en est qu’il voulait surfer sur la vague du 20 février. Et c’est dans son édition du mardi 20 mars, que le journal publie un grand papier intitulé « Al Adl Wal Ihsane tire Jerada vers l’inconnu » où il met en évidence l’implication de la Jamaâ qui, bien présente à Jerada, tiendrait des réunions secrètes avec les habitants de la ville et leurs représentants dans ce mouvement contestataire afin de les marquer de son influence et les pousser à la surenchère.
Les « gueules noires » de Jerada et les fauteurs de trouble
Force est de rappeler que dans le monde, la liberté de manifester a des conditions et des limites. Autrement, des sit-in, manifestations ou rassemblements improvisés seraient le trouble garanti qui ne profite à personne. Or si la grande majorité des habitants de la Région ne fait qu’exprimer un droit constitutionnel, certains se servent de leur colère pour d’autres fins malsaines et les vidéos qui ont circulé sur la toile en sont la belle illustration. Et c’est dans ce sens que le ministère de l’Intérieur publiait, le 13 mars, un communiqué dans lequel il rappelait qu’il était habilité, à travers les prérogatives légales, à appliquer la loi interdisant les « manifestations illégales dans les lieux publics », ainsi que « les comportements et agissements irresponsables ». Ce communiqué même qui nous met, encore une fois, face à l’inefficience de nos partis politiques, des syndicats et des élus qui, ayant l’esprit d’escalier, et au lieu d’avoir du cœur à l’ouvrage, coincent la bulle. Par ailleurs, cette remise à l’ordre n’était pas du goût des agitateurs. Et c’est un autre communiqué du même ministère, rendu public mercredi soir, qui faisait état d’actes de violence qui avaient émaillé un sit-in non autorisé dans la ville de Jerada faisant des blessés, dont certains graves parmi les forces de l’ordre. C’est dire la provocation dans laquelle versent les éléments cagoulés, dont la seule finalité est de provoquer les forces publiques. « Les manifestants ont également incendié cinq voitures des forces publiques et occasionné d’importants dégâts matériels à nombre de véhicules et d’équipements utilisés par ces mêmes forces », comme l’annonçait un communiqué de la préfecture de la province de Jerada. En plus, ce qui aurait incité le ministère de l’Intérieur à interdire ladite manifestation serait la marche initiée par les organisateurs du Hirak de Jerada vers la ville minière de Laâyoune. Une manifestation jugée inacceptable, selon le ministre, qui estime qu’ « en plus de porter atteinte à la sûreté et à l’ordre », la manifestation a également eu comme conséquence d’ « élargir la contestation d’autres villes en incitant les citoyens à manifester, ce qui ne peut être accepté ». S’ensuit un autre communiqué qui relève la diffusion de fausses photos sur les réseaux sociaux et certains sites électroniques à dessein de manipuler l’opinion publique.
Réagir dans l’urgence : devise de nos politiques
C’est devenu une coutume chez nous que les responsables choisissent la politique d’autruche et attendent toujours que le lait déborde ou que Sa Majesté se mette en colère pour qu’ils réagissent. Les ministres se sont donc relayés sur place pour calmer les tensions et les esprits, mais le feu avait déjà pris. Pourtant, ne fallait-il pas se rapprocher des populations pour les écouter à temps? Pourquoi attendre qu’il y ait des protestations pour réagir dans l’urgence et la pression d’autant plus que les revendications sont claires et légitimes ? Or depuis que l’activité de la ville a été gelée, tout le monde savait qu’il fallait un mode de développement alternatif. Mais rien n’a jamais été fait et il a fallu attendre que cela explose pour décider d’un plan d’urgence dont certains chantiers sont en cours et certaines revendications satisfaites. Mais de l’autre côté, les jeunes manifestants freinent des quatre fers et continuent leurs protestations jugeant les promesses du gouvernement « sans garantie ».
Encore une fois, on peut imaginer que SM. le Roi manifeste son mécontentement, que la Cour des comptes dresse son bilan et pointe les responsables, que certaines têtes vont tomber … Mais d’ici là, les métastases apparaîtront ailleurs… Et rebelote ….
Bien sûr des mesures sociales et économiques ont été prises ces derniers temps. Bien sûr, pour le décollage économique de la province, un ensemble de projets ont été lancés sur le plan énergétique. Bien sûr sur le plan industriel, le ministre a souligné que des travaux sont en cours pour mettre en place une zone industrielle devant créer 1.500 emplois en août 2018, précisant que, dans le domaine agricole, il sera procédé à l’aménagement de 3.000 hectares devant créer 2.000 emplois. Mais les citoyens, sceptiques, ne veulent plus de solutions de replâtrage et exigent une démocratie participative où la population sera impliquée dans les projets. Le seul en qui les Marocains ont encore confiance est le Roi Mohammed VI parce qu’ayant perdu toute confiance en les institutions à cause des promesses vides, des politiques improvisées et des stratégies de développement défaillantes.
La régionalisation est la solution
Pour rattraper le coup, il est temps que l’Etat se demande pourquoi des régions sont exclues des programmes gouvernementaux. Il est temps aussi de trouver une solution économique et surtout identifier et juger les responsables de cet état des choses.
Il est clair que des citoyens marginalisés, frustrés, privés des droits fondamentaux et excédés d’accuser coup sur coup ne peuvent que se dresser contre la mauvaise gouvernance et crier leur ras-le-bol. Pour cela, le cahier revendicatif du « Hirak » de Jerada est désormais porté sur trois axes principaux : La tarification de l’eau et de l’électricité, une alternative économique et l’application du principe de reddition des comptes bien qu’un autre point ait été rajouté : la libération des détenus du mouvement.
En somme, les activistes de la ville minière demandent à bénéficier d’investissements, à avoir des emplois sûrs et stables et ce en valorisant le secteur touristique et agricole dans la province. Ils demandent aussi de faire le bilan sur les projets lancés en juin 2013, en présence du Roi, dans le cadre de l’Initiative nationale de développement humain (INDH). Des projets restés « sans impact sur la ville et sur la province« , selon les manifestants. D’autant plus que le mouvement de contestation exige des éclaircissements sur les 12,3 milliards de dirhams investis par l’Etat, depuis 2003, dans la province de Jerada, dans l’infrastructure, les secteurs productifs et des projets à portée sociale.
Au niveau où nous en sommes, il faut apaiser les tensions et les esprits pour instaurer un dialogue serein avant que la situation ne dégénère encore plus. Pour cela, il faut user de fers de lance pour réhabiliter l’image et le rôle des forces de l’ordre qui veillent à appliquer la loi et sans lesquelles la violence et les dépassements n’auront plus de limites mais tout en veillant à faire bonne contenance, ne pas succomber aux provocations ou abuser lors de leurs interventions, auquel cas ils devraient assumer leur responsabilité. Mais il faut que tout auteur d’agissements irresponsables réponde de ses actes parmi les manifestants.
En revanche, pour réhabiliter la confiance des citoyens et sortir la ville et sa province du marasme socio-économique qu’elle vit depuis la fermeture des mines de charbon, c’est d’une véritable stratégie que le pays a besoin pour arriver à un développement intégré. Et pour rappel, le Roi Mohammed VI a signifié, dans son discours devant le Parlement, les limites du modèle de développement. Aussi faudrait-il en inventer un autre qui serait plus inclusif et répondrait aux attentes des citoyens.
Bref, les contestations ne cesseront pas de sitôt. Nous continuerons à tourner en rond tant que les communes et les régions ne sont pas sur la même longueur d’ondes et que chacune tire la couverture de son côté. Soit dit en passant, bientôt le rôle de l’Etat se limitera à jouer les sapeurs-pompiers si le mode de gouvernance n’est pas révolutionné.
Faut-il donc s’étonner de ce qui se passe à Jerada? Nous, Marocains, avons besoin d’un nouveau modèle politique avant de penser au modèle économique.
Encore une fois, on peut imaginer que SM. le Roi manifeste son mécontentement, que la Cour des comptes dresse son bilan et pointe les responsables, que certaines têtes vont tomber … Mais d’ici là, les métastases apparaîtront ailleurs… Et rebelote ….