Kamal Daissaoui : « Il y a une campagne de dénigrement populiste qui fait passer les écoles privées pour des suceurs de sang »
Le jeudi 3 septembre, date du dernier délai pour que les parents disent leur mot, en remplissant un formulaire sur le portail Massar ou en se rendant directement à l’école de leur enfant. À en croire le chiffre révélé par Saaid Amzazi, quelques 80% ont donc opté pour l’enseignement en présentiel. Une situation qui semblerait en faveur des patrons d’écoles. MAROC DIPLOMATIQUE fait le point avec Kamal Daissaoui, président de l’EMSI, qui vient d’être élu ce 3 septembre à la tête de la Fédération de l’enseignement privé (FEP) au sein de la CGEM.
- MAROC DIPLOMATIQUE : 80% des parents ont opté pour le présentiel, les écoles privées sont-elles prêtes à abriter tout ce nombre ?
Kamal Daissaoui : Oui, même si cela pose quelques soucis. S’il y a 80% des élèves, cela veut dire qu’ils seront partagés en deux groupes pour des raisons sanitaires de distanciation, en plus des 20% restants qui vont être constitués en groupe pour l’enseignement à distance, donc, pour une classe, il va y avoir le même effort effectué trois fois. Ce qui va augmenter de manière conséquente les coûts pour les écoles. Il y a aussi l’aspect sanitaire. Il faudra, donc, investir en plexiglas pour la distanciation, en masque et en différents produits de nettoyage. Il y a un coût d’investissement et un coût de fonctionnement en triplant pour une classe le coût de l’enseignement. On ne le sait que trop bien, nous serons confrontés à des difficultés majeures, mais en tant qu’écoles citoyennes, nous devons mettre l’intérêt de l’enfant et de l’étudiant au-dessus de toutes les contingences et assurer cette rentrée scolaire. D’autant plus que cette rentrée scolaire va permettre à l’école de jouer un rôle outre que l’accumulation de la connaissance, celui de la socialisation de l’enfant, puisque le trimestre dernier, l’élève n’a pas eu le droit de voir ses camarades de classe, ni à jouer avec eux dans la cour, il n’a pas eu droit à la présence de son maître. Ce rôle éducatif a manqué durant tout un trimestre et nous sommes contents que nos étudiants puissent retrouver l’école, malgré les contraintes sanitaires, pour qu’on puisse en tant qu’école participer à l’éducation des enfants.
- MD : Étiez-vous surpris par le nombre de parents qui ont opté pour le présentiel ?
– KD : Oui, agréablement surpris. En définitive, cela montre que les parents sont conscients que l’école est doublement nécessaire à leurs enfants, à la fois, pour le savoir et pour la socialisation. C’est sûr qu’à l’intérieur de la famille, les parents ont dû entendre leurs enfants solliciter leur retour à l’école.
- MD : Le présentiel serait-il la meilleure option pour les écoles ?
– KD : Contrairement à ce qu’on croit, le coût est très important. Il y a une campagne de dénigrement populiste qui nous fait passer pour des suceurs de sang, tandis que les écoles essaient d’équilibrer leurs comptes par les temps qui courent sans pouvoir y arriver. D’ailleurs, une récente étude que nous avons effectuée, présentée en marge de l’assemblée élective, montre que le coût se calcule en milliards de dirhams.
- MD : Qui supporte finalement ce coût ?
– KD : Ce sont les écoles. Certaines ont déjà mis les clés sous le paillasson. Les autres sont déjà en difficulté majeure, nous espérons qu’elles pourront surmonter cette crise. Les grands groupes sont généralement sous l’impulsion des crédits. Sinon, ce sont les crédits qui font vivre les écoles actuellement.
- MD : Cela veut dire que, quelle que soit la formule adoptée, c’est l’école qui trinque…
– KD : Oui, nous avons étudié tous les scénarios possibles et il n’y a aucun qui représente la meilleure solution. Par exemple, le choix de l’hybride va tripler les coûts. Dans tous les cas de figure, tant qu’on n’a pas trouvé de vaccins, on est obligés maintenir la distanciation sociale et tout ce qui en découle, notamment, la division des classes en groupes.
- MD : En France, trois jours après la rentrée scolaire, des classes, voire des établissements entiers, ont dû fermer leurs portes en raison de cas avérés de Covid-19. Au Maroc, quel est le protocole à suivre si jamais des cas avérés ont été notifiés ?
– KD : C’est une pandémie, dans n’importe quel milieu, le risque est là, donc, soit on arrête tout, dans ce cas, le prix à payer serait colossal ou bien on fait avec, en prenant les précautions nécessaires, pour minimiser le risque. Si jamais des cas avérés sont identifiés au sein des établissements d’enseignement, nous suivrons le protocole sanitaire national prévu par le ministère de tutelle pour de telles situations.
- MD : Après le bras de fer entre les parents d’élèves et les patrons d’écoles, beaucoup de parents ont exprimé leur volonté de migrer vers le public, avez-vous observé une baisse du nombre d’élèves inscrits pour cette rentrée ?
– KD : Je tiens à souligner que personne ne les a obligés à inscrire leurs enfants dans le privé, si ces parents ont opté pour le privé, c’est parce qu’ils estiment que ce secteur délivre un enseignement de qualité. On sait très bien que les recettes de l’école privée sont basées sur le paiement des parents, sinon on ne pourra payer nos enseignants, nos salariés, les factures d’eau et d’électricité et l’ensemble des charges. Certes, c’est un service public éducatif, mais qui demande aussi de l’argent et comme toute entreprise, les écoles ont besoin d’équilibrer leurs comptes et aujourd’hui les écoles ont du mal à y parvenir.
- MD : Justement, l’exode des élèves vers l’école publique ne risquerait-il pas d’aggraver une situation déjà critique ?
– KD : Nous n’avons pas remarqué cet exode et il n’aura pas lieu, parce que les parents qui font confiance à l’école privée vont continuer à lui faire confiance. Ceci dit, l’école privée a toujours été synonyme de qualité et les parents qui inscrivent leurs enfants dans le privé, ne le font pas par plaisir, mais parce qu’ils veulent la meilleure école pour leurs enfants, même si celle-ci est payante, ce qui a conduit les parents à faire ce choix.