Koune Rajel, obéis à ta femme : un débat filandreux
Par Hassan Alaoui
Peut-être que les esprits se sont-ils calmés, rattrapés par le nécessaire silence qui suit la tempête. Dans ce débat qui n’en a que le nom, des veillées d’armes se sont succédé, et chacun y allant de son couplet, intellectuels ou prétendus tels, avocats de toutes les causes – dont beaucoup perdues – , moralisateurs en tous genres, les défenseurs de la femme, les rigoristes et islamistes, les maîtres à penser de la morale, les libertaires ont croisé le fer.
Paradoxalement, la femme est toujours constamment au centre de ce débat masculin. Car c’est l’homme qui entend et veut parler en son nom, et lui seul tranche. Il s’est levé un beau matin d’un mauvais sommeil ou d’un cauchemar et a décidé que la femme serait de nouveau sa lubie, l’objet de sa rancœur, ce corps adulé et méprisé, dont il faut retracer les contours, effacer la présence et souiller la beauté, défigurer les traits, commander le destin.
D’un claquement de doigts, on décide alors que la femme devrait subir le jugement du tribunal de l’été. Le couperet estival de parjure et de négationnisme. On bombe le torse, on sort l’artillerie réactionnaire et fasciste, on fait violence à la difficile morale de tolérance et tout simplement de liberté, d’esprit et de corps qui est à l’histoire de l’humanité ce que des siècles de lutte sont à son émancipation. Celui, celle ou ceux qui ont lancé le slogan de « Koune Rajel » ne croyaient pas si bien dire, ceux qui les ont suivis sur ce sentier filandreux, les milliers d’autres qui leur filent le train, en rangs compassés, moutons de Panurge aveuglés, la horde de manipulateurs camouflés, déguisés et planqués dans leur repaire, enfin cette masse de gavroches que nous sommes…n’est-ce pas là l’un des derniers avatars d’une société en crise ?
La culture de masse, disait-on autrefois, lissée comme disent les sociologues. Elle vit de rêves, de frustrations et de violences, elle est l’objet adulé des faiseurs de mythes. Dans la région de Midelt, un charlatan a mené en bateau des milliers de personnes, leur faisant croire à l’existence d’un fabuleux et miraculeux trésor qui surgirait de terre…Ils l’ont suivi à la trace, et dans ses pas ils ont ruminé leurs fantasmes avant de tomber à la renverse… Ce faux messie a fini par se convaincre lui-même de sa désillusion. Bien sûr, le slogan « Koune Rajel » est la forme la plus prononcée de la détestation de la femme, de son âme, de sa beauté et de son existence. C’est l’insulte la plus vulgaire à son intelligence et à son statut.
Or, plutôt que de répondre directement, ad-hominem même à ceux qui ont « vendu » ce mot d’ordre moyenâgeux, d’aucuns, faute de mieux en cerner l’enjeu vicieux, ont préféré concentrer leurs « réponses », leurs attaques sur les institutions et même le pouvoir, instruisant le procès de ce dernier et rajoutant de l’eau au moulin de ses détracteurs et des sectaires qui alimentent le mépris de la femme, avec cette volonté de la ranger dans l’armoire des accessoires. Les haineux « Koune Rajel » ne sont pas seulement les coupeurs de cheveux en quatre qui enterrent l’image de la femme libérée, émancipée, spirituelle, artiste, belle en l’occurrence, libre et respectueuse ! Ils sont les tenants d’un ordre, jadis et il y a longtemps, actifs dans la culture du mépris, de cette Jahilya… si lointaine et répugnante.
Alors qu’un pays comme l’Iran, disons cette République islamique d’Iran, fondée dans la violence en 1979, qui leur sert de modèle, est en train d’opérer un mouvement de recul, voire un retour du bâton, que sa jeunesse brise les chaînes et les nœuds de l’esclavagisme islamiste, alors que la « révolution khoméiniste » tombe le voile – c’est le cas de le dire – sous la poussée populaire qui veut en finir avec les Mollahs, voilà que nos idéologues , incultes et nourris d’une culture de bazar, entendent au contraire nous enferrer dans la chape de plomb de que les Iraniens eux-mêmes commencent à rejeter…
Alors, on rétorque : Koune Rajel, obéis à te femme ! L’ordre du monde est dans sa liberté et son intelligence plus que dans celle de l’homme…