La 1ère conférence de la Fondation Attijariwafa Bank “Echanger pour comprendre” ou le regard lucide sur les perspectives 2019
Leila Alaoui
Le cycle des conférences « Echanger pour comprendre », de la Fondation Attijariwafa Bank au titre de l’année 2019 a commencé le jeudi 31 janvier sur des chapeaux de roue avec une première rencontre consacrée au thème « Le monde, l’Afrique, le Maroc, quelles perspectives pour 2019 ? ».
Le postulat théorique qui part du général, à savoir le monde, au particulier, le Maroc en passant par le continent africain intermédiaire s’apparente à un raccourci, mais il justifie néanmoins un choix méthodologique. Au cœur de la démarche il y a bien évidemment un souci de pragmatisme, aller du général au particulier comme dans une optique structuraliste ou plutôt un démontage de poupée russe. Trois experts ont été conviés à cette première rencontre : Fréderic Louat, directeur du Cabinet Riser Maghreb ; Abdou Diop, Managing Partner du cabinet Mazars, et El Mehdi Fakir, économiste, Senior Consultant en Stratégie et management du risque. Le débat a été animé par Talal Chakir, Chroniqueur radio et Enseignant en sciences économiques et sociales.
Ismaïl Douiri, Directeur général délégué du groupe Attijariwafa Bank a introduit le débat par une allocution où il a notamment déclaré « qu’à travers le thème de cette 45e édition baptisée : «Le Monde, L’Afrique, Le Maroc : quelles perspectives pour 2019 ? », nous avons choisi de partager quelques clés de compréhension des grandes tendances de la conjoncture mondiale pour l’année qui commence, ou au moins, vues les nombreuses incertitudes les prochains mois ». Il a ajouté : « Mais pour mieux comprendre les perspectives économiques, géopolitiques et sociales qui vont impacter notre environnement, il nous semble également opportun de dresser un bilan de la décennie qui vient de s’écouler, à la fois, pour mesurer les avancées et anticiper les opportunités futures, mais aussi, pour identifier les difficultés persistantes et les risques à venir ».
Le débat qui a suivi a surtout mis en relief trois grands pôles : le monde avec sa vastitude, ses richesses et ses inégalités, notamment le continent européen et occidental, ensuite l’Afrique et son processus de démocratisation difficile, enfin le Maroc en quête de son nouveau modèle de développement. Frédéric Louat a traité du premier volet se montrant plutôt pessimiste sur les perspectives d’une sortie de crise. « Il est important de revenir neuf mois en arrière. En avril 2018, le FMI prévoyait une croissance mondiale de 3.9%, contre 3.5% aujourd’hui. Ainsi, la croissance mondiale est en train de décélérer. Les risques à la baisse sont plus importants que les risques à la hausse. De plus, certains risques identifiés il y a 9 mois, se sont matérialisés aujourd’hui pour devenir des tendances ». Pour M. Louat, les risques majeurs susceptibles d’impacter l’économie mondiale dans les prochains mois sont multiples : le protectionnisme qui se concrétise et se généralise, les incertitudes géopolitiques et la montée du populisme qui, paradoxalement, pourrait être bénéfique à la conjoncture à court terme, dans la mesure où elle peut se traduire par une relance budgétaire, sous la pression populaire.
Abdou Diop, quant à lui, ne souscrit pas à cette fatalité, il a fait preuve d’optimisme, non seulement pour les perspectives mondiales, mais également régionales. Selon lui, l’Afrique a évolué vers plus de maturité, sur plusieurs plans. Les résultats des dernières élections confirment l’évolution positive de la gouvernance, et la reprise des cours des matières premières devrait conduire à une reprise économique. De même, les guerres civiles et ethniques sont de moins en moins nombreuses. M. Diop a insisté par ailleurs sur trois aspects déterminants pour l’avenir de l’Afrique : la jeunesse africaine, l’éducation et l’intégration régionale. « Nous ne pouvons pas avancer sans l’intégration régionale. Nous ne pouvons pas avoir 10 hubs dans le continent. Nous devons raisonner Régional. Chaque pays doit se spécialiser dans des secteurs particuliers. Ainsi, nous serons armés pour la Zone de Libre Echange Continentale ».
Pour sa part, El Mehdi Fakir a rappelé la nécessité pour l’Afrique et le Maroc de prendre en considération les aspirations des citoyens et de définir des modèles de développement inclusifs. « L’Afrique est en train de payer cher sa politique qui a omis le facteur sociétal. Les vrais défis pour le continent, y compris le Maroc, sont la répartition de la richesse et l’Education. Les décideurs africains doivent être à l’écoute des aspirations de leurs citoyens et imaginer des modèles de développement basés sur l’inclusion sociale et la répartition équitable des richesses produites. ». Le propos d’El Mehdi Fakir aura cependant surpris l’auditoire quand il affirme que le Maroc n’a jamais eu de modèle de développement économique. Affirmation délibérément limitative, alors que le Roi Mohammed VI lui-même a invoqué dans ses discours aussi bien à Al Hoceima qu’au Parlement la nécessité de mettre en œuvre un nouveau modèle de développement , sans pour autant nier que le Maroc en a connu auparavant.
On gardera de cette première conférence le goût de l’exceptionnalité propre à l’esprit qui préside à la Fondation Attijariwafa Bank. Cette 45ème édition tombe à point nommé, parce qu’elle s’inscrit dans le souci manifeste de la banque de coller à son temps, d’éclairer opérateurs et public sur les problématiques de notre époque. La Fondation Attijariwafa Bank est devenue, de ce fait, l’Agora où s’exerce une réflexion aigue, se pratique l’échange libre et décomplexé, se construit un modèle de partage remarquable.
Ismaïl Douiri : « Restons optimistes, allons de l’avant pour ne pas compromettre les avancées obtenues au prix de gros efforts. »
Voici par ailleurs l’allocution de Ismaïl Douiri :
« Bienvenue à la nouvelle édition du cycle « Echanger pour mieux comprendre » de la Fondation Attijariwafa bank et merci pour votre fidélité. Je profite de cette première rencontre de l’année pour vous présenter tous mes vœux pour 2019.
A travers le thème de cette 45e édition baptisée : «Le Monde, L’Afrique, Le Maroc : quelles perspectives pour 2019 ? », nous avons choisi de partager quelques clés de compréhension des grandes tendances de la conjoncture mondiale pour l’année qui commence, ou au moins, vues les nombreuses incertitudes les prochains mois. Mais pour mieux comprendre les perspectives économiques, géopolitiques et sociales qui vont impacter notre environnement, il nous semble également opportun de dresser un bilan de la décennie qui vient de s’écouler, à la fois, pour mesurer les avancées et anticiper les opportunités futures, mais aussi, pour identifier les difficultés persistantes et les risques à venir.
Comme vous l’aurez constaté, le Monde a profondément changé depuis la crise financière de 2008, et le rythme des mutations s’est nettement accéléré au point qu’il est de plus en plus difficile de se projeter. Mais cela ne doit pas nous empêcher de poser des questions qui s’imposent à nous parce qu’elles sont cruciales pour notre avenir :
- Avons-nous tiré tous les enseignements de cette crise qui était, au départ, financière, puis économique, avant de devenir sociale et culturelle ?
- Nos économies sont-elles véritablement immunisées contre de nouveaux chocs ?
L’autre axe de réflexion sur lequel nous devons nous pencher, concerne la révolution des pratiques et des règles qui régissent nos sociétés, suite à l’expansion fulgurante des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle. Plus particulièrement, en ce qui concerne les pays émergents, notamment en Afrique, comment peuvent-ils, saisir les opportunités ruptures offrent et en réguler les éventuels effets néfastes voire dérapages ?
Enfin, le troisième axe de réflexion est, à mon sens, le plus important car il place l’Homme au cœur des préoccupations. Il s’agit du défi du développement humain et durable qui renvoie à la problématique de redistribution des richesses, de l’avenir de l’emploi salarié, de la préservation de l’environnement, de la qualité de vie etc…
Il nous semble important de susciter un débat sans concession autour de ces questions cruciales pour notre avenir. D’autant que les prévisions pour l’année 2019 sont pour le moins pessimistes.
Mais face à cette atonie qui plane sur l’économie mondiale, nous avons toutes les raisons d’être optimistes pour l’Afrique, en dépit de ses retards et de ses difficultés. Il est vrai que sa dette a doublé en 5 ans, totalisant 57% du PIB ; que le chômage touche 60% de ses jeunes ; que ses inégalités sociales restent profondes alors que sa croissance demeure peu inclusive…
Cependant, il faut reconnaître les efforts accomplis ces dernières années et qui gagnent à être consolidés. Par exemple, le dernier classement Doing Business de la Banque Mondiale note une amélioration de l’environnement des affaires de plusieurs pays africains, et ce, grâce aux réformes engagées en faveur d’une meilleure gouvernance. C’est un signal fort en faveur des investissements directs étrangers.
Pour sa part, le Maroc s’inscrit parfaitement dans cette dynamique, et les projections concernant le Royaume forcent à l’optimisme. Le FMI table dans ses projections publiées en novembre 2018, sur un taux de croissance de 3,2% en 2019, tandis que Bank Al Maghrib prévoit un taux de 3,1%, sous réserve que soient menées à terme, toutes les réformes structurelles requises.
Au même titre que tous nos pays voisins qui sont engagés dans la voie des réformes, nous devons rester optimistes et aller de l’avant, pour ne pas compromettre les avancées obtenues au prix de gros efforts».