La candidature de Zemmour à la présidentielle française ou les « non-dits » d’une « islamophobie » injustifiée
Par Taoufiq Boudchiche (*)
Des discours xénophobes incendiaires dans un monde tourmenté qui rappelle le climat de l’avant-veille de la deuxième guerre mondiale
Une invitation à relire les « damnés de la terre » de Frantz Fanon publié en 1961
La campagne présidentielle française semble passer à la vitesse supérieure et le ton en est donné avec la candidature d’Eric Zemmour. Par les commentaires et les réactions que cette candidature suscite, elle est pleine de sens du climat qui la dominera. Elle sera polarisée sur deux sujets : la présence de l’Islam en France et la question migratoire.
Le clivage droite/gauche incluant l’extrême droite classique hérité de l’Europe meurtrie par le traumatisme nazi qui auparavant dominait les discours politiques sur ces sujets n’est plus suffisant aux yeux d’une partie de l’électorat français qui tend à se « droitiser » pour traiter politiquement ces questions.
La toile de fond « xénophobe « plus ou moins assumée » se substitue progressivement au discours «d’ouverture à l’immigration » dans des pays autrefois exemplaires en matière de tolérance aux migrants : France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, …
De nouveaux discours politiques, à l’instar de ceux du candidat « Zemmour », au « ton radical et au style décomplexé » se sont appropriés ces sujets en France comme ailleurs au sein des grandes démocraties occidentales, sans que cela ne révolte outre mesure l’opinion publique, comme auparavant, excepté quelques esprits éclairés.
Les musulmans d’Europe, proie d’enjeux électoraux
Inaugurées dans « l’Amérique Trumpienne », les injonctions à « l’assimilation des cultures » immigrées plutôt qu’au « droit à la différence » et/ou celles de la « migration choisie » en lieu et place d’une « migration subie » prennent le dessus. Ces thématiques deviennent le curseur principal pour aller récolter le vote des électeurs. Et, parmi les candidats à l’immigration, une couche supplémentaire de discrimination s’est ajoutée dans ces discours. Les migrants en provenance des pays musulmans ne sont plus les bienvenus et désormais défavorisés par rapport à d’autres pays d’origine.
Mais comment choisir parmi les millions d’individus, incluant des familles entières avec femmes et enfants en fonction de l’origine ethnique et religieuse, ceux qui fuient les guerres et les violences communautaires. L’idée est irrecevable au plan humanitaire. De même, comment peut-on « discriminer » parmi les immigrés présents depuis plusieurs générations qui ont contribué au développement économique de l’Europe ? Une immigration « choisie » privant par exemple ces populations du « droit au regroupement familial » sera également difficilement applicable sans porter atteinte aux droits humains.
Discours, feignant également d’ignorer que plus de 60 % des migrants économiques et climatiques et réfugiés de guerre se dirigent vers les pays du voisinage. Les migrants du Moyen Orient et d’Afghanistan, sont réfugiés en majorité et par millions d’individus au Liban, en Turquie, en Jordanie, en Iran, dans le Kurdistan irakien…. Les migrants d’Afrique, quant à eux, se dirigent en premier lieu, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Maroc… Leur nombre est en proportion bien plus important que ceux qui choisissent pour destination l’Europe ou les Etats-Unis.
Fort heureusement, il y a des analystes qui face à ces visions « xénophobes et apocalyptiques » de l’avenir servies dans les médias de plus en plus complaisants au regard des succès de ces discours à l’audimat, tirent la sonnette d’alarme. Et, parfois, en guise d’avertissement, n’hésitent pas à convoquer l’histoire de l’Europe des années 30.
Une Europe qui par des formes de « convulsions » historiques régulières se crée les conditions de son « autodestruction ». Cette Europe qui à l’époque, éprouvée par la guerre 14-18 et les crises économiques des années 20 a vu « la xénophobie sous la forme particulière d’un « antisémitisme exacerbé» s’amplifier et conduire aux catastrophes « autodestructrices » de l’Europe (deuxième guerre mondiale et horreurs nazies entre autres). Le résultat a été plus de 50 millions de morts, un monde divisé en « blocs et clans idéologiques» et la planète occupée pendant plusieurs générations, à gérer l’après-guerre et les conflits géopolitiques desdits « blocs » en lieu et place de s’investir dans les solutions d’un développement humain et durable.
Un climat international délétère aggravé par la crise sanitaire, sujet à de nouvelles formes de guerre froide
Le climat actuel n’est pas sans rappeler en effet cette époque. Nous avons d’un côté, les conséquences non résolues des guerres subies du Moyen- Orient, celles du retour des Talibans ainsi que le spectre du terrorisme international cumulées aux angoisses d’une crise sanitaire dont on voit mal la fin. L’Afrique qui par ailleurs, à défaut de solutions collectives, s’enfonce dans l’insécurité politique, militaire et sanitaire. L’impact est réel sur la psychologie collective et sur l’économie mondiale rajoutant aux malheurs du monde (retour de la guerre froide entre les blocs, misère économique et sociale pour les populations vulnérables, retour de la famine dans certaines zones du monde, inégalités croissantes, violences sporadiques, etc.). Celles ci à leur tour ne manquent pas de générer des tensions en termes de replis culturels, d’extrémismes et de phénomènes de migrations massives des pays affectés vers les pays où règnent un semblant de stabilité et de prospérité.
D’un autre côté, il convient de mentionner, l’aggravation des tensions géopolitiques qui se sont accentuées entre les axes « Chine-USA », «Europe-USA-Russie », suscitant des opportunités d’alliances autour des clivages géoculturels des pays en conflits ailleurs dans le monde rajoutant à l’insécurité des populations, victimes collatérales. Viennent en effet, s’articuler autour des tensions entre ces grands pôles de puissance celles qui structurent d’autres conflits qui alimentent des adversités millénaires comme celles entre l’axe chiite/ sunnite, ou plus récentes mais non moins dangereuses, au Maghreb (Algérie /Maroc) et en Afrique (Afrique de l’Est, Sahel, Afrique Centrale qui « sur jouent » diplomatiquement de nouvelles alliances articulées autour des pôles de puissance : Russie, Chine, anciennes puissances coloniales….)
Ce tableau sombre de la géopolitique mondiale combiné aux effets de la crise sanitaire pèse déjà lourdement sur les visions qui se dégagent des discours politiques et sur les visions du monde qui se forgent progressivement dans la conscience mondiale actuelle.
Le discours nostalgique du candidat « Zemmour », ne peut prévaloir de programme politique, une invitation à relire Frantz Fanon
Monsieur Zemmour, en infusant un discours « nostalgique » de la France d’antan imputant fallacieusement à la « migration et à l’islam » la source de tous ses maux exploitent insidieusement cette toile de fond. Car en effet, les images en provenance du Moyen Orient et de certaines zones du monde arabo-musulman dépecées par des guerres successives, souvent imposées de l’extérieur, montrent un monde en ébullition qui peine à se stabiliser politiquement.
Le monde arabo-musulman est encore sous l’impact des déstabilisations de « son printemps arabe» et des autres conflits comme en « Syrie », en « Irak » au « Yémen », en « Palestine » et ne parvient pas encore à offrir à ses populations une vie décente même si ces pays disposent souvent des ressources nécessaires pour cela (ressources financières, matières premières en abondance, hydrocarbures, élites éduquées, …). Les manipulations externes pour alimenter ces tensions au sein du monde arabo-musulman ne relèvent pas non plus du simple fantasme mais représente une réalité concrète qui se traduit par la vente d’armes massives, des alliances sécuritaires et par le peu d’empressement de la communauté internationale à résoudre ces problèmes. Des maux qui nécessitent une réponse mondiale et coordonnée. On en est loin encore.
Monsieur Zemmour, en investissant par ailleurs, outre mesure le discours identitaire de l’immigré assimilé, rappelle la brillante œuvre de Frantz Fanon sur la psychologie que développe le « colonisé » qui intériorise le discours du « colonisateur ». Par un processus psychologique relativement complexe, le colonisé reproduit dans son inconscient « les attitudes, gestes et paroles » du colonisateur jusqu’à renier par là-même les souffrances de sa propre communauté et justifiant de ce fait les violences du système colonial. Le retour dans ses discours publics sur ses origines familiales parfaitement « assimilées et intégrées » à leur arrivée en France après l’Algérie, selon ce qu’il rapporte dans les médias, tout en s’autorisant au rejet des migrants non assimilés rappelle en effet le « syndrome du complexe du colonisé » parfaitement analysé par Frantz Fanon dans son ouvrage les « damnés de la terre » publié en 1961.
Un climat psychologique délétère alimenté par une médiatisation à outrance
Aussi, et fort justement, c’est sur cette toile de fond, que l’on entend parmi les voix des opposants de Monsieur Zemmour, qu’il ne suffit pas pour un candidat de poser un diagnostic mais de proposer des solutions. Non sans ironie, certains ont évoqué que l’idée « d’un changement de prénom » aux enfants d’immigrés ne peut constituer un programme politique.
Il est attendu d’un candidat d’un grand pays comme la France, non pas des « doigts d’honneur », mais des grands « projets mobilisateurs et consensuels », pour être en mesure de garantir la paix sociale, (par exemple aux populations d’Outre Mer en révolte actuellement ou celles souffrant d’exclusion dans les banlieues), la stabilité économique dans un monde incertain, le surcroît de prospérité auxquels les citoyens aspirent, une réponse satisfaisante aux crises climatiques et sanitaires, l’inclusion des minorités ethniques et religieuses selon les valeurs d’ouverture de fraternité de la République ? Dans le cas contraire, de nouvelles tensions seraient à venir. La France est aussi attendue au plan international pour son rôle de « puissance modératrice » dans la gestion des conflits géopolitiques et parfois de leader sur certains sujets comme par exemple « la lutte contre le changement climatique ».
Il y aurait lieu, en outre, de s’interroger sur les conséquences d’une « médiatisation outrancière » des discours politiques qui surfent sur ces tristes réalités suscitant plus d’animosité, de stigmatisation et d’interrogations que de solutions. Alimenter un climat de tensions ethniques et religieux, sous prétexte de l’existence de menaces plus fantasmées que réelles, n’est pas bon signe pour l’avenir.
(*) économiste