La complicité maroco-allemande, un outil de développement
En Allemagne, on ne peut parler du mois d’octobre sans se rappeler de la réunification du pays. C’était un matin de 03 octobre 1990, que l’Allemagne de l’Est et celle de l’Ouest se réunifiaient pour donner la République Fédérale d’Allemagne. A l’occasion de la 28e année de cet évènement mémorable, MAROC DIPLOMATIQUE a interviewé S.E.M. Götz Schmidt-Bremme, ambassadeur de l’Allemagne au Maroc. Au cours de cet entretien, le diplomate s’est prononcé, entre autres, sur les questions migratoires, du développement et des relations maroco-allemande.
- MAROC DIPLOMATIQUE : Le 3 octobre 1990, après près d’un-siècle de souffrance, l’Allemagne se réunissait. Comment se porte aujourd’hui, la société allemande ?
– Pendant des décennies, la séparation des deux Allemagne a constitué le défi majeur de la politique de mon pays, aussi bien au niveau de la politique intérieure qu’extérieure. La question des deux Etats allemands reste aujourd’hui plutôt une question à laquelle s’intéressent les générations qui ont vécu l’existence du mur divisant l’Ouest de l’Est. En intégrant le ministère allemand des affaires étrangères en 1989, je faisais partie de la dernière promotion qui a effectué un déplacement à Berlin-Est, qui était, à l’époque, la capitale de l’Allemagne de l’Est. Il faut se souvenir que beaucoup de citoyens de la République Démocratique d’Allemagne ont souffert, d’abord, de la dictature nazie qui a été suivie par la dictature du parti socialiste unifié d’Allemagne. En revanche, pour mes enfants qui sont nés au début des années 1990, la ville de Dresde est tout comme Düsseldorf, la capitale d’un des 16 « Länder » (états fédéraux). Pour eux, cette division dans les têtes entre l’Est et l’Ouest n’a jamais existé.
- La société allemande porte-t-elle encore les séquelles de sa tragique histoire du siècle passé ?
– Je me félicite, après constat, de dire que la société allemande est très sensible aux questions de la xénophobie, du racisme et du rejet de l’autre. Cela est, entre autres, le résultat des efforts déployés depuis des décennies pour promouvoir une « culture de la mémoire », notamment par rapport aux crimes terribles commis au nom de l’Allemagne et sous le régime national-socialiste.
C’est pour cela que je suis préoccupé par le discours haineux tenu, actuellement, par un parti populiste de droite qui a intégré le parlement fédéral en 2017. Cela nous interpelle pour rester vigilants par rapport à toute forme d’extrémisme politique.
- Nous avons vu qu’aujourd’hui, l’Allemagne fait partie des vaches laitières de l’économie d’Europe malgré la conjoncture économique. Quels sont les leviers économiques de votre pays ?
– Il convient de signaler que l’économie allemande a profité, comme aucune autre, de l’intégration économique européenne. A mon avis, il n’y a pas lieu de parler de « vaches laitières ». Il est un fait établi que l’Union Européenne repose sur le principe de la solidarité de tous ses membres. Cette question a été évoquée récemment dans le contexte de la gestion des flux migratoires sur laquelle nous reviendrons certainement au cours de cet entretien.
Le succès de l’économie allemande repose sur la grande capacité d’innovation des PME, qui sont souvent leaders dans leurs marchés, mais pas forcément connues par tout le monde. Nous les désignons aussi comme des «champions discrets». Cela vaut en particulier pour le secteur de la construction mécanique. Ces PME sont rarement des sociétés anonymes, mais en majeure partie des entreprises familiales, ce qui leur permet de suivre une stratégie axée sur le long terme et de réinvestir leurs dividendes dans l’entreprise même au lieu de les distribuer aux actionnaires.
- Aujourd’hui, vous êtes le représentant diplomatique de votre pays au Maroc. Comment évaluez-vous les relations entre les deux pays ?
– Les relations bilatérales sont excellentes comme le prouve la co-présidence maroco-allemande du Forum Mondial sur la Migration et le Développement. Il ne faut pas sous-estimer l’importance de cette initiative commune sachant que la migration constitue pour l’Allemagne et l’Europe, en général, une question primordiale. Le Maroc est à ce niveau un partenaire clé en Afrique du Nord. Nous partageons avec le Royaume la conviction commune que la migration doit être bénéfique pour l’ensemble des parties concernées, à savoir les pays d’origine, de transit, d’accueil ainsi que pour les migrants eux-mêmes. C’est la raison pour laquelle nous sommes décidés à lutter contre l’immigration irrégulière tout en ouvrant de nouvelles voies pour l’immigration régulière.
- Vous le savez sans doute, le Maroc est le point de ralliement des migrants en direction de l’Europe, selon vous, quelle politique faudrait-il mettre sur pied pour arrêter l’émigration clandestine ?
– La migration irrégulière est le mauvais choix. C’est la raison pour laquelle il est absolument nécessaire de rapatrier les immigrants qui se sont rendus en Europe, d’une manière irrégulière, sachant que cette question est assez sensible pour les pays de transit et les pays d’origine. Parallèlement, nous voulons nous engager plus fortement dans la formation professionnelle au sein des pays d’origine en vue d’ouvrir des perspectives professionnelles, notamment pour les jeunes, sur les marchés de travail marocain et allemand. Cependant, nous ne voulons en aucun cas favoriser la fuite des cerveaux. En revanche, nous croyons aux avantages potentiels de la migration circulaire en fonction des besoins spécifiques des pays concernés.
A moyen terme, il est impératif de s’attaquer au défi démographique. Je suis convaincu qu’il nous faut investir maintenant ,davantage, dans la scolarisation des jeunes filles. Ceci aura un impact positif et immédiat sur la maternité précoce dans les sociétés qui connaissent un très haut taux des très jeunes mères.
- Y a-t-il des projets économiques en cours ou en gestation ? Si oui quel est l’état de leur évolution ?
– Le secteur des énergies renouvelables constitue un exemple de la coopération sur le plan économique, étant donné le fait que les deux pays sont des pionniers en matière de transition énergétique. La preuve la plus visible est la centrale solaire de Ouarzazate, que j’ai visitée au début de ma prise de fonction. Je me félicite aussi de l’inauguration de l’usine des pales éoliennes, à Tanger, de la société SIEMENS-GAMESA. Il s’agit là d’un autre exemple réussi de la coopération au niveau de la haute technologie. Les ingénieurs allemands ont trouvé, à Tanger, des experts marocains tout aussi performants et hautement qualifiés. Ce genre de projets pourraient ouvrir la voie à des coopérations tripartites entre l’Allemagne, le Maroc et les pays subsahariens à l’avenir.
L’exemple de l’usine SIEMENS-GAMESA me ramène à l’histoire de la présence allemande dans la ville du détroit. L’association maroco-allemande (« Deutsch-Marokkanische Gesellschaft, DMG Nord ») a d’ailleurs réalisé à ce sujet, une exposition dont quelques objets seront présentés à l’occasion de notre fête nationale. J’invite vos lecteurs à découvrir l’ensemble de l’exposition lors de leur prochaine visite à Tanger.
- Nous voyons beaucoup de fondations allemandes présentes en Afrique, notamment au Maroc, qui oeuvrent le plus souvent, dans le social et travaillent pour un équilibre des sexes. Qu’est-ce qui explique ces orientations ?
– D’abord, je me félicite d’une forte présence des fondations politiques allemandes ici, qui font partie intégrante de la coopération bilatérale. Il convient de signaler que toute fondation a sa propre ligne éditoriale qu’elle observe indépendamment du gouvernement allemand et en fonction de sa proximité idéologique avec le parti politique dont elle partage les convictions. Cinq fondations politiques allemandes sont actuellement présentes au Maroc, à savoir la fondation Friedrich Ebert, la fondation Friedrich Naumann, la fondation Hanns Seidel, la fondation Heinrich Böll et la fondation Konrad Adenauer.
L’égalité des sexes constitue, par ailleurs, pour nous, en tant que gouvernement, un sujet transversal.
- Vous êtes en fonction au Maroc depuis bientôy un an et deux mois, quelle lecture faites-vous de la société marocaine et de son évolution ?
– Ce qui m’étonne encore et toujours, ce sont les contrastes que je rencontre presque quotidiennement. Par exemple, les grands projets d’infrastructures réussis face aux retards accumulés dans certains secteurs, comme la santé et l’éducation où, en dépit d’efforts financiers considérables, les résultats restent en dessous des attentes, comme l’a souligné, récemment, Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Dans tous les cas, l’Allemagne est entièrement disposée à accompagner le Maroc dans son processus de réforme et de mise à niveau.