La guerre des titans de la Santé au Maroc ou quand Hippocrate se transforme en Crésus
Dans le grand théâtre de la santé marocaine et dans un spectacle aussi éblouissant que peu éthique, deux colosses de la santé marocaine se disputent l’affiche, chacun clamant haut et fort détenir la clé de la suprématie médicale.
C’est lors d’une interview récente avec Jeune Afrique, que le ballet des égos a atteint son paroxysme. Oubliez les serments d’Hippocrate et autres fadaises sur le bien-être du patient ; ici, c’est le tango du dirham qui résonne sur la scène de la santé privée au Maroc.
D’un côté, Rochdi Talib, anesthésiste-réanimateur, qui, revenu de France en 1995, a troqué son masque d’anesthésiste pour celui de businessman. Son groupe Akdital, après avoir hypnotisé la Bourse de Casablanca depuis décembre 2022, déploie ses tentacules sur 22 établissements, et envisage d’implanter dix autres cliniques dans le Royaume en 2024. On applaudit la performance !
De l’autre, Redouane Semlali, radiothérapeute, qui, après avoir œuvré dans le secteur public, a succombé aux charmes du privé. Avec Oncorad, il se pavane comme le deuxième maître de ballet des cliniques privées au Maroc. Après une levée de fonds de 458 millions de dirhams, Semlali nous présente son dernier joujou : un centre de radiologie flambant neuf, promesse d’une danse endiablée entre technologie de pointe et factures salées.
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Mais là où la compétitivité aurait dû incarner une symphonie de progrès et d’innovation, c’est plutôt un duo discordant qui se joue, rythmé par les gains et la prédominance. Redouane Semlali pose en maître de l’expertise, déclarant que la grandeur ne se mesure pas en mètres carrés mais en savoir-faire. Avec une pointe de malice, il insiste : « On peut opérer avec un robot dans une petite clinique comme on peut mal opérer dans une grande clinique. Je ne vise personne en disant cela. » Cette pique, lancée avec une désinvolture feinte lors de son interview, dissimule à peine son mépris pour les installations gargantuesques de ses rivaux.
Rochdi Talib, le tycoon d’Akdital, riposte avec véhémence. « Il peut dire ce qu’il veut, je n’ai rien à prouver. J’ai des unités pluridisciplinaires dans le même hôpital. Je peux faire de la chirurgie cardiaque comme de l’oncologie et, sur ce point, je le dépasse de très loin. » s’exclame-t-il. « À vrai dire, il n’est pas encore arrivé au stade d’être mon concurrent. J’ai déjà 22 établissements réalisés, je suis en bourse… À la fin de 2024, nous serons à 35 ou 36 établissements alors qu’il n’en aura que huit ou dix, lui. » ajoute-t-il, soulignant le gouffre entre leurs nombres respectifs d’établissements.
Mais dans ce monde où les amabilités s’évaporent rapidement et que les amitiés se défont plus vite qu’une blouse de médecin, laissant place à un échange de critiques acérées, Talib ne cache pas son mécontentement envers Semlali, président de l’ANPC, l’accusant d’utiliser sa position pour des règlements de comptes personnels avec Akdital. « Semlali était un grand ami mais quand j’ai commencé à faire de l’oncologie, je suis devenu son ennemi public », confie Talib, amer. Il avait même dénoncé dans un communiqué que le président de l’ANPC « n’a eu de cesse d’instrumentaliser sa fonction au sein de l’ANCP pour régler ses petits comptes personnels avec le groupe Akdital ».
La réponse de Semlali ne se fait pas attendre à travers Jeune Afrique : « Dans le domaine médical, le leadership ne se mérite pas par l’infrastructure mais par l’expertise apportée. Et je pense que c’est Oncorad qui porte cette expertise. » Avant d’ajouter qu’« Il y a des dirigeants et investisseurs véreux qui utilisent un certain nombre de moyens contraires à la déontologie pour limiter le choix des établissements par les citoyens. Nous sommes pour le choix car cela permet d’assainir le secteur et fermer la porte aux rabatteurs. »
Au cœur de cette bataille titanique, le citoyen marocain semble être le véritable perdant. Pris en étau entre des tarifs exorbitants et un secteur public en déliquescence, il assiste, impuissant, à une guerre d’égos où la santé semble être le dernier des soucis des titans. C’est dire que la santé privée au Maroc semble suivre une chorégraphie où le patient n’est plus qu’un spectateur éberlué, se demandant si sa santé n’est finalement pas qu’un accessoire dans cette danse macabre du profit.
Et pendant que ces magnats évoluent sur la scène dorée de la santé marocaine, dans cette joute verbale où chacun tente de tirer la couverture à soi, on ne peut s’empêcher de se demander : Dans ce ballet où l’argent mène la danse, qui, vraiment, prend soin de la santé des Marocains ? Alors que le rideau tombe, le public reste en suspens, espérant secrètement une prochaine représentation un peu plus… Hippocratique.